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Bush prend un nouveau départ avec la France

Par David Ignatius
Mardi 16 novembre 2004; Page A25
Washington Post


PARIS - Les supporters de John Kerry avaient rêvé que s'il avait été élu, il aurait tendu les bras à la France et aux autres alliés européens en disgrâce et qu'il aurait travaillé avec eux sur l'Irak et le processus de paix au Proche-Orient. Il s'avère qu'une version de se rapprochement soit en train d'émerger avec un George W. Bush victorieux.

L'équipe de Bush a préparé son rameau d'olivier nord-atlantique pendant ces derniers mois, alors même que les directeurs de campagne du président huaient Kerry pour ses penchants pro-français présupposés. Un stratège qui est familier avec les plans de transition concernant l'Europe préparés par Kerry et par les conseillers de Bush en octobre dernier a déclaré qu'il était étonné de voir combien ces plans étaient similaires dans la description du problème : les deux plans reconnaissent qu'il y avait une crise dans les relations nord-atlantiques qui nécessitaient d'être réparées rapidement après l'élection.

Les Français, malgré la colère qu'ils éprouvent d'avoir été diabolisés pendant la campagne, sont prêts eux aussi à prendre un nouveau départ. Le premier pas a été un coup de fil passé la semaine dernière par Chirac à Bush. Le président français a commencé par faire la liste des domaines où la coopération franco-américaine marchait bien - comme la lutte contre le terrorisme, l'Afghanistan, les Balkans et l'Afrique. Ensuite, Chirac a cité trois domaines où il voulait faire mieux : l'Irak , l'Iran et le processus de paix du Proche-Orient.

Il y a eu une convergence de vues entre Bush et Chirac sur le processus de paix, a-t-on appris par quelqu'un au courant de cette conversation. Les deux présidents sont convenus que "le seul moyen de remettre les choses sur les rails est de donner à l'Autorité Palestinienne une nouvelle génération de dirigeants au moyen d'élections municipales et législatives," a dit ce fonctionnaire. À la fin de la conversation téléphonique, Chirac a dit qu'il voulait y donner une suite immédiate en envoyant à Washington son principal conseiller aux affaires étrangères.

Le conseiller de Chirac, Maurice Gourdalt-Montagne, a rencontré vendredi dernier pendant 90 minutes la conseillère à la sécurité nationale de Bush, Condoleeza Rice. Un témoin de cette rencontre a déclaré que les deux côtés comprenaient que ce n'est pas en parlant de sujets périphériques comme le commerce de l'acier ou les quotas sur les bananes qu'ils pourraient remettre la relation en marche, mais qu'ils devaient se concentrer sur les gros problèmes que constituent l'Irak, l'Iran et le Proche-Orient. Selon des sources françaises et américaines, la session a permis de progresser un peu.

Sur l'Irak, les français sont convenus que le seul scénario qui permettrait de faire des progrès était que les élections irakiennes se déroulent avec succès en janvier, et ils ont promis d'encourager la participation des Musulmans sunnites irakiens. Un premier test aura lieu lorsque le président par intérim de l'Irak, le Sunnite Ghazi Yawar, visitera Paris ce mois-ci. Yawar n'a pas apprécié l'attaque américaine du bastion sunnite de Falloujah, mais les Français vont le prier de rester en course pour les élections.

"Notre devise est 'la prise en compte' a dit un fonctionnaire français. "Au-delà de Falloujah, il est indispensable de convaincre les Sunnites du Triangle qu'il perdront tout s'ils boycottent l'élection." Les Français ont aussi accepté une formule de compromis dans laquelle il effacent plus de la moitié de la dette irakienne vis à vis de la France, et qui se monte à 2,9 milliards de dollars, ce qui est beaucoup plus que ce qu'ils avaient proposé auparavant.

La rencontre franco-américaine a aussi produit quelques idées préliminaires sur le soutien à la tenue d'élections en Palestine. Les Français et d'autres Européens apporteront des fonds ainsi que des observateurs pour aider à organer le scrutin ; les Américains, de leur côté, encourageront Israël à se faire plus discret d'ici aux élections. Les Français ont apprécié que Condoleeza Rice mentionne que le rôle du "Quartette", constitué des Etats-Unis, de l'Europe, de la Russie et de l'ONU, allait se poursuivre.

Au moment où les conseillers de Chirac et de Bush se rencontraient à Washington, un groupe de hautes personnalités se réunissaient à Paris pour discuter de ces relations problématiques. La réunion était organisée par Jean-Louis Gergorin, ancien diplomate de haut rang et maintenant stratégiste en chef à EADS, le groupe de défense européen, et par le Center for Strategic and International Studies. Du côté des Américains on retrouvait des sommités comme Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski et Robert Blackwill (le conseiller de Bush qui vient juste de démissionner). Du côté français, il y avait une liste similaire de hauts fonctionnaires actuellement en place ou l'ayant été.

Les discussions de Paris ont produit une ébauche de consensus : Continuer comme cela jusqu'à la fin des élections de janvier et ensuite évaluer la situation ; dresser les grandes lignes de ce qu'un accord de paix impliquerait avant de pousser les négociateurs à se réunir autour de la table ; engager avec l'Iran un dialogue approfondi afin de voir si un compromis durable peut être atteint avec l'abandon de leur programme d'armement nucléaire ; et éviter de parler avec désinvolture de la démocratisation du Moyen-Orient qui pourrait avoir l'effet inverse de celui escompté.

Les Français sont parfois taxés d'être les "amis dans les coups durs", qui n'arrivent que lorsque les choses deviennent vraiment noires (description honnête de la situation actuelle !). La meilleure chose que l'on puisse dire du nouveau dégel entre Paris et Washington est qu'il est né d'un raisonnement pragmatique : Dans un monde de plus en plus dangereux, ces deux pays — si forts à se rendre fous mutuellement — doivent trouver un moyen de coopérer ensemble.

davidignatius@washpost.com

Traduit de l'anglais (américain) par Jean-François Goulon