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EDITORIAL
     L'Afghanistan et la Drogue
   
Samedi 27 novembre 2004 ; Washington Post, Page A30

LE PRÉSIDENT BUSH a rendu visite à la Colombie mardi dernier pour célébrer les progrès que cette nation a accompli dans la guerre contre la drogue. Avec l'aide de l'argent et des équipements militaires des États-Unis, les Colombiens ont mené une offensive contre des trafiquants, extradant des douzaines de leurs dirigeants et fumigeant des hectares de récoltes de coca. En conséquence, la culture de la coca est tombée environ de deux tiers au cours des trois dernières années. L'administration Bush espère renouveler son succès, cette fois-ci en Afghanistan. La semaine dernière le gouvernement a demandé au Congrès de financer une offensive coûtant 780 millions dollars contre le commerce afghan de l'opium.

Le défi en Afghanistan est plus rude par certains côtés que le défi colombien. Dans le cas de la Colombie, le revenu de la drogue représente environ 3,5 pour-cent de la production économique déclarée ; en Afghanistan la part de celui-ci dans l'économie s'élève à plus de 50 pour-cent. Le commerce de l'opium a fleuri depuis la chute du régime Taliban il y a trois ans, générant des revenus de 2,2 milliards de dollars en 2002-2003 pour les fermiers, soit 15 fois plus que dans les deux premières années qui ont fait suite au départ des Taliban. Une offensive déterminée contre la drogue, qui se concentrerait essentiellement sur l'éradication des récoltes, risque de générer un retour de manivelle contre le fragile gouvernement démocratique.

C'est un risque qui doit toutefois être pris. Les drogues constituent une base empoisonnée pour le développement : Les profits qui tombent dans l'escarcelle des fermiers ordinaires sont largement dépassés par ceux qui enrichissent les trafiquants qui achètent des fonctionnaires du gouvernement, détiennent des armées privées et sapent l'autorité légitime de l'Etat. Plus de temps passe, plus il est probable que les trafiquants se retranchent, investissant dans de nouvelles unités de production. Ils captureront ainsi une plus grande part des profits. Des signes indiquent que cela a déjà commencé : En 2002 les trafiquants ont capté la moitié des revenus de l'opium, l'autre moitié étant revenues aux fermiers. En 2004 la part des trafiquants représente environ les quatre-cinquièmes [des revenus totaux].

Les Etats-Unis doivent se dépêcher d'appliquer leur stratégie contre-narcotique avant que les positions des trafiquants ne croissent encore. Cela veut dire : cibler avant tout les trafiquants et leurs protecteurs, qui incluent des personnalités prééminentes du gouvernement ainsi que des chefs de guerre avec lesquels les Etats-Unis travaillèrent à traquer les Taliban et les vestiges d'Al-Qaida. La chasse aux terroristes doit continuer, mais pas en consolidant le statut émergeant de l'Afghanistan en tant que narco-État.


Traduit de l'américain par Jean-François Goulon