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OPINION
     Il n'y a pas de 'Goulag' Américain
   Par Pavel Litvinov
Samedi 18 juin 2005; Page A19 du Washington Post

Il y a quelques jours, j'ai reçu un coup de fil de la part d'un vieil ami, qui travaille depuis longtemps pour Amnesty International. Il m'a demandé, en tant qu'ancien 'prisonnier de conscience" soviétique adopté par Amnesty, si je soutenais la déclaration de la directrice exécutive d'Amnesty, Irène Khan, selon laquelle la prison de Guantanamo Bay à Cuba est le "goulag de notre époque".

"Ne penses-tu pas qu'il y a une énorme différence?" lui ai-je demandé.

"Bien sûr," me répondit-il, "mais après tout, cela attire l'attention sur le problèmes des détenus de Guantanamo."

Le mot "goulag" était un acronyme bureaucratique pour parler de l'administration pénitentiaire principale dans l'Union Soviétique de Staline. Après la parution de "L'Archipel du Goulag", d'Alexandre Soljenitsyne, goulag est devenu le symbole du système de camps de travaux-forcés qui ont été une caractéristique indissociable des pays communistes. Des millions de prisonniers confinés dans le goulag n'avaient commis aucune violence ou aucun crime - ils y étaient parce qu'ils faisaient partie d'un "mauvais" groupe social, national ou politique ou qu'ils exprimaient une opinion "erronée".

La cruauté et la proportion du système de goulag sont décrites dans de nombreux ouvrages et il est donc inutile de le refaire ici. En aucune manière, tant pour leurs conditions de détention que leurs proportions, Guantanamo et les autres prisons gardées ailleurs par les Américains ne ressemblent au système de camp de concentration qui était au cœur du système communiste totalitaire.

Par exemple, les incidents blasphémateurs du Coran à Guantanamo par du personnel américain ont été largement rapportés. Mais ces Corans n'ont certainement pas été amenés à Guantanamo d'Afghanistan par les prisonniers eux-mêmes. Ils ont été fournis par l'administration américaine - malgré le fait évident que les prisonniers avaient trouvé dans le Coran, d'une manière malavisée, l'inspiration de leur haine violente contre les Etats-Unis.

En contraste, l'auteur russe Andrei Sinyavsky, qui fut condamné en 1966 à sept ans de travaux-forcés pour ses écrits, fut approché un soir, peu après son arrivée dans le camp, par un prisonnier qui lui demanda à voix basse s'il désirait écouter le récit biblique de l'Apocalypse. (La possession d'une Bible était strictement prohibée au Goulag.) L'homme entraîna Sinyavsky dans la chaufferie, où un groupe de personnes squattait dans l'obscurité. Dans la lumière de la flamme de la chaudière, un des hommes se leva et commença à réciter les passages bibliques qu'il connaissait par cœur. Lorsqu'il s'arrêta, le chauffagiste, un vieil homme, dit : "Et maintenant, c'est à toi Fiodor !" Fiodor se leva et récita le chapitre suivant. Le texte de la Bible, en entier, était réparti entre ces prisonniers, des russes ordinaires qui passaient 20 à 25 ans au Goulag, à cause de leurs croyances religieuses. Ils connaissaient les textes par cœur et se rencontraient régulièrement pour les répéter afin de ne pas les oublier. Et cela s'est passé en 1967, lorsque le goulag avait été réduit et que le régime Soviétique était devenu moins dur que sous Staline.

Amnesty International, avec son approche objective et équilibrée, basée sur les faits, de la défense des droits de l'homme, a été une source d'espoir pour tous les dissidents dans le monde. Une des idées centrales d'Amnesty a été le concept de prisonnier de conscience pour décrire une personne qui n'utilise ni ne propose la violence politique. Le simple fait de savoir que vous avez été adopté comme prisonnier de conscience, que quelque part dans le monde il y a des gens qui connaissent votre nom et qui travaillent à vous faire libérer, donne de l'espoir à un prisonnier.

Lorsque je suis arrivé aux Etats-Unis, après avoir servi ma sentence en exil sibérien, j'ai rencontré dans tout le pays des centaines de militants dévoués d'Amnesty qui écrivaient aux dirigeants des gouvernements de la planète pour exiger la libération des prisonniers de conscience. Cette activité qui fut créée par une forme spéciale de solidarité entre le militants des droits de l'homme, par-delà des frontières. Naturellement, les dirigeants communistes dénonçaient Amnesty comme étant un poste avancé de la CIA, et les dictateurs d'extrême droite dénonçaient ses membres comme étant des comploteurs communistes.

Il était donc tout naturel qu'Amnesty se développe aux Etats-Unis et en Europe Occidentale, là où les droits de l'homme sont pris très au sérieux, et que leur défense a pris une part officielle dans la politique étrangère des Etats-Unis, en grande partie grâce au Président Jimmy Carter. Il y a eu des tentatives héroïques pour créer des branches d'Amnesty dans des régimes dictatoriaux, y compris en Union Soviétique, mais la plupart de ces tentatives furent écrasées par des arrestations et l'émigration forcée.

Il y a d'amples raisons pour qu'Amnesty critique certains agissements des Etats-Unis. Mais en utilisant une hyperbole et en amalgamant des régimes répressifs aux imperfections de la démocratie, les porte-parole d'Amnesty font courir des risques à son sérieux. Les violations des droits de l'homme par les Etats-Unis semblent presque insignifiants comparés à ceux commis par Cuba, la Corée du Sud, le Pakistan ou l'Arabie Saoudite.

Le moyen le plus efficace pour critiquer le comportement des Etats-Unis est de reconnaître franchement que ce pays devrait se tenir à de meilleurs standards, en se basant sur sa propre constitution, ses propres lois et ses traditions. Nous ne pouvons pas remplir nos responsabilités en tant qu'unique superpuissance sans être perçus comme une autorité morale. Malgré les risques que pose le terrorisme, les Etats-Unis ne peuvent pas détenir indéfiniment des gens considérés comme dangereux sans des garde-fous appropriés concernant les conditions de leur détention et une révision périodique de leur statut.

Les mots sont importants. Lorsque les porte-parole d'Amnesty utilisent le mot "goulag" pour décrire les violation des droits de l'homme par les Etats-Unis, ils donnent l'occasion à l'administration Bush de rejeter des critiques justifiées et d'entamer la crédibilité d'Amnesty. Amnesty International est trop importante pour être récupérée par des dirigeants politiquement orientés.

L'auteur, qui fut un dissident actif dans les droits de l'homme en Union Soviétique, vit désormais aux Etats-Unis.


Traduit de l'anglais par [JFG]