Wal-Mart a enfin trouvé un syndicat avec lequel il peut s'entendre.
Jusqu'à présent, le premier employeur des États-Unis s'est opposé à toutes les initiatives de ses employés pour former un syndicat. Wal-Mart ne reconnaît pas les syndicats ; cette société ne reconnaît même pas les "employés". Le nom correct pour ceux qui travaillent chez Wal-Mart est: "associés", un terme qui a une connotation statutaire plus élevée et plus collégiale et qui veut dire en réalité des salaires plus bas et une autocratie d'entreprise. Pour avoir le privilège d'être associés à Wal-Mart, ses employés sont si peu payés qu'un grand nombre d'entre eux ne peut même pas s'offrir l'assurance santé que la société leur permet généreusement d'acheter. Une étude des services de santé de Las Vegas a révélé qu'un grand nombre de bénéficiaires de l'aide médicale de la ville travaillent chez Wal-Mart.
Mais il s'agit de l'ancienne Wal-Mart. La semaine dernière Wal-Mart a annoncé que si ses "associés" voulaient être représentés par un syndicat, cela serait au poil - tant que ce syndicat est affilié à la Fédération des Syndicats Chinois, un organisme dominé par le Parti Communiste Chinois. La déclaration officielle était laconique et sans ambiguïté : "Si les associés réclament la formation d'un syndicat, Wal-Mart Chine respectera leurs souhaits."
Bien sûr, Wal-Mart Amérique n'a pas fait de telle déclaration. Alors, pourquoi considère-t-elle que ses 20.000 associés chinois travaillant dans ses 40 magasins de Chine peuvent être représentés tandis qu'on ne peut pas faire confiance à ses millions d'employés américains de se représenter eux-mêmes ? C'est une bonne question ! D'où vient cette Sinophilie et cette Américanophobie ? Je pense que l'on peut rejeter l'hypothèse du style "racisme anti-n'importe-quoi-sauf-chinois". La réponse doit donc se trouver dans la préférence de Wal-Mart pour les syndicats dominés à l'ancienne par les communistes, dans les états communistes autoritaires, sur toute autre sorte de syndicats, partout ailleurs. Les syndicats aux États-Unis, que Wal-Mart a en horreur, ont une longue histoire d'anticommunisme, et l'AFL-CIO d'aujourd'hui est le plus ardent défenseur sur la scène politique américaine des droits démocratiques dans les nations communistes telles que la Chine. Pour cette raison, les syndicats affiliés aux partis réformateurs ou post-communistes à l'extérieur des quelques états qui sont toujours communistes ne sont jamais allés nulle part avec Wal-Mart. C'est seulement en Chine, avec son mélange inimitable de capitalisme à la Dickens et de communisme autoritaire, que Wal-Mart a trouvé un syndicat à son goût.
Et on comprend pourquoi! Les syndicats affiliés à la Fédération Chinoise réclament rarement des augmentations de salaire ou de meilleurs dispositifs de sécurité. En vérité, les syndicats locaux sont souvent dirigés par une personne issue de la direction même de l'entreprise. Ce n'est pas qu'en Chine les travailleurs ne soient pas mécontents : Chaque semaine apporte son lot de grèves spontanées, et ici et là une révolte occasionnelle sur des défauts dans les conditions de vie, comme les salaires impayés. Mais le rôle des syndicats d'état n'est pas de canaliser le mécontentement pour obtenir des avancées réalistes ; c'est de le contenir pour le bénéfice des employeurs.
En Chine, les dirigeants des véritables mouvements de travailleurs ne finissent pas à la tête de la Fédération des Syndicaux Chinois. On les trouve en prison, en exil ou ils se cachent.
En plus de cela, des syndicats vraiment démocratiques en Chine iraient à l'encontre de l'État à parti unique vraiment non démocratique. Permettre à un mouvement syndical démocratique de se former menacerait à la fois ce capitalisme rétrograde et ce communisme autoritaire, et réduirait quelques-uns uns des avantages compétitifs que la Chine a sur d'autre pays à faibles salaires, mais non-autoritaires, de l'Asie du Sud-Est, de l'Amérique Centrale et d'ailleurs. Une telle nouveauté constituerait un anathème à la fois pour le Politburo et pour le comité de direction de Wal-Mart. Cela introduirait le concept du libre choix et la perspective d'un meilleur niveau de vie, pas seulement pour les 20.000 employés des magasins chinois de Wal-Mart mais pour le nombre bien plus important d'ouvriers chinois travaillant dans la servitude de maigres salaires, à coudre des vêtements pour les contractants, les sous-contractants et sous-sous contractants dont les produits remplissent les rayons de Wal-Mart.
Lorsqu'une société telle que Wal-Mart est aussi confortable avec l'autoritarisme à l'étranger, cela vous indique quelles sont les valeurs de cette société dans son pays d'origine. Bentonville considère la perspective de la libre association et de la libre organisation des employés à l'intérieur de ses magasins avec la même peur et le même dégoût que Pékin éprouve pour la perspective d'élections libres en Chine. Les employeurs américains qui sont contre les syndicats ne peuvent pas mettre les ouvriers syndicalistes en prison. Mais l'exil reste une possibilité : Les fauteurs de trouble sont libres de partir. Selon le professeur de relations humaines de Cornell, Kate Bronfenbrenner, au moins 5% des travailleurs impliqués dans des campagnes de syndicalisation sont licenciés, ce qui est à la fois illégal et routinier : les sociétés préfèrent payer des amendes dérisoires que payer des salaires plus élevés et perdre le contrôle absolu qu'ils détiennent sur la vie professionnelle de leurs employés.
Le plus noble des objectifs de l'administration Bush est, sans aucun doute, de répandre la démocratie. Si celui-ci est vraiment sérieux quant à cette tâche à accomplir, alors, il y a des endroits plus proches que le Moyen-Orient qui pourraient faire avec un peu plus de démocratie, et les entreprises américaines sont en haut de cette liste. Renforcer le droit du travail rendrait plus difficile, pour les employeurs tels que Wal-Mart, de contrecarrer le désir des employés de s'organiser pour obtenir voix au chapitre sur le travail. Lorsque le plus gros employeur d'Amérique ressent plus d'affinité pour la légalité politique de Mao Tsé Toung que pour celle de Franklin D. Roosevelt, il est temps de démocratiser notre propre arrière-cour.
Harold Meyerson
Traduit de l'anglais (américain) par Jean-François Goulon