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LE DEUXIÈME MANDAT

     La Vision de Bush Pour Secouer le Monde
   Wolfowitz, Bolton et Hughes la comprennent- et la partagent

mardi 22 mars 2005, Edito par FRED BARNES - Wall Street Journal

Lorsque la rumeur est sortie dans la presse, récemment, selon laquelle Carly Fiorina, le PDG démis de Hewlett-Packard, était pressenti pour la présidence de la Banque Mondiale, cela a provoqué des éclats de rire à la Maison Blanche. Le Président Bush ne menait pas un recrutement pour ce poste à la BM. Il n'y avait pas de liste de candidats selectionnés. Il avait déjà fait son choix depuis de nombreuses semaines : Paul Wolfowitz, le Secrétaire Adjoint à la Défense. "Il y avait un consensus précoce en faveur de Paul," nous dit un haut fonctionnaire de la Maison-Blanche. Ce qui signifie que le président savait depuis le début qui il voulait. Avant que le choix de M. Wolfowitz ne soit annoncé, la semaine dernière, les dirigeants européens avaient été consultés et des discussions pour remplacer M. Wolfowitz au Pentagone était déjà bien avancées.

M. Wolfowitz est controversé, à cause de son rôle en tant qu'avocat depuis le début puis en tant qu'architecte de la guerre d'Irak. Mais sa nomination est typique du président. A des postes moins en vue de l'administration - tels que celui de ministre du commerce - M. Bush est content de recevoir des suggestions et n'écarte pas des gens qu'il connaît à peine, voire pas du tout. Mais à des postes qu'il considère comme critiques, surtout aux affaires étrangères, il préfère quelqu'un qu'il connaît bien, généralement un ancien de l'administration, dur et loyal, et qui dispose d'un programme. Son programme. Deux autres personnes nommées par Bush, John Bolton comme ambassadeur à l'O.N.U. et Karen Hugues comme sous-secrétaire d'Etat en charge de la diplomatie publique, jouent aussi dans la catégorie "programme".

Quiconque serait choqué par les nominations de MM Wolfowitz et Bolton ne comprend pas l'approche du président vis-à-vis des organisations multilatérales. L'idée convenue est que ces organisations sont merveilleuses, quoique peut-être défectueuses et empreintes d'un trop fort sentiment anti-américain. Et la principale tâche des représentants des Etats-Unis est de faire en sorte que tout se passe amicalement, et non pas de lutter contre établi et de causer des problèmes. Cette idée est populaire au sein de la presse, de la bureaucratie du Département d'Etat et dans les cercles diplomatiques, ainsi qu'auprès des "experts" en politique étrangère. Mais ce n'est pas ainsi que M. Bush voit les choses.

L'idée du président est simple : Fini les gentils ! Il pense que les organisations internationales ont largement échoué et qu'elles doivent être défiées et réformées. Il a été vexé lorsque l'ambassadeur sortant des Etats-Unis auprès de l'O.N.U., John Danforth, s'est précipité au secours de Kofi Annan au beau milieu du scandale pétrole-contre-nourriture [1]. M. Annan s'est opposé à la guerre en Irak et l'a même déclarée illégale. Et ce qui est plus important, c'est qu'il soit considéré par M. Bush comme étant une partie du problème à l'O.N.U.

En supposant que M. Wolfowitz soit confirmé à la fonction de président par les principaux leaders de la B.M., il apportera des qualifications impressionnantes et des opinions fortes. Il a l'expérience des programmes de développement dans le Tiers Monde, puisqu'il a été ambassadeur [des Etats-Unis] en Indonésie et secrétaire d'Etat assistant pour l'Extrême-Orient. Il a pris fait et cause pour la démocratie [Ndt : sic] et la liberté des marchés en tant qu'armes indispensables dans la lutte pour éradiquer la pauvreté. Ce que M. Bush admire, c'est son intrépidité et sa volonté de lutter contre le statu quo. Le président veut des résultats à la Banque Mondiale, a dit un haut conseiller. M. Bush pense qu'on a trop insisté sur le processus et pas assez sur les résultats. Á la Banque Mondiale, "le processus l'emporte sur les résultats", a dit ce conseiller. Les points de référence sont mal foutus. Le seul qui importe, selon M. Bush, est de combien la pauvreté a-t-elle été réduite. Toujours selon le conseiller, "Wolfowitz va apporter un vif recentrage sur les résultats". Voilà le programme !


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M. Bolton recentrera l'action sur la corruption, le gaspillage et l'idéologie de Gauche à l'O.N.U. - précisément les sujets sur lesquels l'O.N.U. préfère ne pas s'attarder. Ses supporteurs insistent pour dire qu'il servira, une fois qu'il sera confirmé, dans la tradition des Ambassadeurs Daniel Patrick Moynihan et Jeane Kirkpatrick[2]., tous deux critiques acerbes de l'O.N.U. Toutefois, M.Bolton est encore plus hostile qu'ils ne l'ont été contre les "petites habitudes" aux Nations-Unies, il est considérablement plus conservateur, et il est en plus un agent politique endurci.

Pour forcer son passage dans une série de postes clé de politique étrangère, il s'est fait aider par un groupe d'alliés bien en vue. Le premier d'entre eux était James Baker[3], qui préconisa à Colin Powell d'engager M. Bolton en 2001. Mais M. Powell n'a proposé à M. Bolton que des postes marginaux, que ce denier a refusés. Ce qui a fait entrer dans la danse un autre supporteur de Bolton, le Sénateur Jesse Helms[4]. En tant que président du Comité aux Relations Etrangères, M. Helms a invité M. Powell à se rendre dans son bureau et a désigné le poste exact qu'il voulait pour M. Bolton sur un organigramme du Département d'Etat - sous-secrétaire d'Etat en charge du contrôle de l'armement et des affaires de sécurité nationale. Ne revenez pas tant que M. Bolton n'a pas le poste ! a-t-il dit à M. Powell. Et Bolton a eu le job.

Avec Condoleezza Rice comme secrétaire d'Etat, M. Bolton cherchait à être secrétaire d'Etat adjoint. Il n'a pas eu le poste, mais Mme Rice a suggéré le job à l'O.N.U. Les Conservateurs à Washington ont fait du lobbying pour son compte. Et M. Bolton a eu un autre soutien influent, Dick Cheney. M. Bolton a un trait de caractère qui plaît beaucoup au président : Il se fiche pas mal d'être aimé. Aux Nations-Unis, ils ne le sera pas. Cela va avec son programme de trouble-fête.


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Mme Hugues fait partie des conseillers dont M. Bush a le plus confiance. Le chemin de son retour à Washington - elle a été directrice de la communication de la Maison-Blanche pendant les deux premières années de la présidence - a été pavé par deux sources inattendues, le spécialiste du Moyen-Orient, Bernard Lewis[5], et le politicien israélien, Natan Sharansky[6]. Tous deux ont rencontré le président en privé. Et tous deux ont fait remarqué qu'il y avait quelque chose d'anormal : Là où il y a des liens étroits entres les Etats-Unis et les gouvernements (Arabie Saoudite, Egypte), l'Amérique est impopulaire auprès du peuple. Et là où les relations sont tendues ou hostile (l'Iran), l'Amérique est populaire.

Pendant le premier mandat de M. Bush, les efforts du Département d'Etat vers la diplomatie publique ont misérablement échoué. Un patron de pub s'est avéré être la mauvaise personne pour ce poste. Le talent de Mme Hugues, c'est la communication politique. C'est pourquoi elle sait qu'elle doit adopter une tactique différente. Plutôt que de "vendre" le président ou l'Amérique, sa mission est de vendre des idées, surtout la démocratie. Il ne fait aucun doute que cela donnera des brûlures d'estomac aux élites gouvernantes de pays certes amis mais aussi autocratiques. Mais elle bénéficiera de tout le soutien dont elle a besoin dans sa campagne de "commercialisation" de la seule personne qui compte : M. Bush.

M. Barnes est directeur de la rédaction du Weekly Standard.

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) et commenté (notes de bas de page) par Jean-François Goulon




--> réagissez à cet article: questions critiques pour être publié !


[1] [Ndt] On lira l'excellent article de George Monbiot "Fraude et Corruption", où l'on apprend qu'en fait ce sont sur les Américains qui ont permis les ventes illégales de pétrole, et comment la CPA (l'Autorité transitoire en Irak) a contribué au détournement de $ 8,8 Mds (6,7 Mds €).

[2] Daniel Patrick Moynihan, décédé il y a tout juste 2 ans, était une figure plutôt controversée. Des années 1960 aux années 1990, Moynihan a fait entendre une voix, souvent discordante, à l'intérieur du consensus libéral d'après-guerre. Tour à tour universitaire, haut fonctionnaire et sénateur, il a posé un regard expert sur la société américaine et a participé à l'élaboration des politiques sociales dans les administrations démocrates et républicaines.

Jeane Kirkpatrick est conseillère au JINSA, L'Institut Juif aux Affaires de Sécurité Nationale, qui affiche sa double mission: promouvoir l'armée auprès du public américain et renforcer les liens avec Israël. Ambassadrice des Etats-Unis à l'O.N.U. de 1981 à 1985, représentante permanente des Etats-Unis à la commission des droits de l'homme, elle était chargée de bloquer les résolutions en faveur des droits des Palestiniens. Souvent présentée comme une extrémiste oecuménique (dignitaire de l'ordre de Malte et de l'Opus Dei) elle a été directrice du Fonds pour la liberté du Nicaragua de la secte Moon .

[3] James Baker fut tour à tour, sous Reagan, secrétaire général de la Maison Blanche de 1981 à 1985 puis secrétaire au trésor de 1985 à 1988, et, dans la première administration Bush, secrétaire d'Etat de 1989 à 1992. Depuis 1993, il est conseiller senior du Groupe Carlyle

[4] Jesse Helms, l'homme qui se vante de n'être jamais sorti des Etats-Unis, laisse le souvenir d'un fervent opposant au mouvement des Droits Civiques et de l'intégration raciale, des aides à l'éducation du gouvernement fédéral, des programmes de protection de l'environnement et des repas servis dans les écoles. Il s'est opposé à la création d'un jour férié national en mémoire du révérand Martin Luther King Jr, au droit à l'avortement, à la création de fonds pour le développement artistique et a mené une croisade contre l'homosexualité ! Sur le plan international, il a largement fait état de son poste à la présidence du Comité aux Relations Etrangères du Sénat et a su être à la hauteur de sa réputation : Appui au régime d'apartheid en Afrique du Sud et au régime minoritaire blanc de Rhodésie ; Appui aux Escadrons de la Mort du Salvador, à la Contra Nicaraguyenne, aux militaires Guatémaltèques, à la sécurité militaire du Honduras et à la Junte militaire en Argentine. En 1981, il a déclaré, lors d'une réception offerte à Washington au Ministre des Affaires Etrangères de Pinochet, "Nous nous devons de traiter le Chili avec équité. Le système chilien n'est pas très différent de celui que nous avons ici" ... Et pour la petite histoire, Helms a visité l'Argentine en 1976 après le coup d'Etat militaire et en 1977 prit la tête de l'opposition à la signature d'un traité sur le Canal de Panama.

[5] Lire l'article d'Alain Gresh , "A l’origine d’un concept" (Le Monde diplomatique, septembre 2004)

[6] On lira avec intérêt le billet d'Uri Avnery, "Le Gourou de Bush", 13 mars 2005.