La Reine vient d'effectuer une rare intervention dans le domaine de la politique afin d'alerter Tony Blair sur ses vives inquiétudes à propos de la position adoptée par la Maison Blanche sur le réchauffement de la planète.
Après avoir observé l'impact alarmant du changement de temps en Grande-Bretagne sur ses domaines de Balmoral en Écosse et de Sandringham dans le Norfolk, la Reine d'Angleterre aurait demandé à Downing Street de faire pression sur les États-Unis. Cette fuite nous montre une autre face de l'esprit du monarque, qui s'efforce généralement de rester au-dessus de la politique.
Cette semaine, alors qu'elle ouvrira l'une des conférences les plus huppées traitant de ce sujet et jamais accueillie en Europe, elle nous donnera l'occasion d'en apprendre plus sur sa vision des choses. Elle voudra que cela soit interprété comme une déclaration symbolique et politique.
Le sommet de Berlin se tiendra le lendemain des élections présidentielles américaines et de leurs résultats en dépendra l'ordre du jour des futurs pourparlers sur le climat. L'administration de George Bush est restée hostile aux tentatives internationales de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
"Des échanges ont eu lieu entre Downing Street et Buckingham Palace sur toutes les questions touchant au changement climatique, y compris celles concernant la position des Etats-Unis ainsi que les toutes dernières connaissances scientifiques. Elle est prête à s'impliquer," a dit l'un des experts en changement climatique les plus éminents du royaume. Il a accepté de se confier à The Observer sous condition d'anonymat.
Il a ajouté : "A partir de ses propres observations sur le climat, elle s'est inquiètée, comme le reste d'entre nous. Et elle a bien fait comprendre qu'elle veut soulever l'importance de cette question."
En plus de son travail de terrain, la Reine a trouvé son inspiration dans des notes que lui ont fait passer Sir David King, le scientifique en chef de Blair qui a dépeint la menace que constitue le changement climatique comme étant bien pire que le terrorisme mondial, et John Schellnhuber, le directeur de la recherche du Tyndall Centre, où sont menés en Grande-Bretagne les travaux les plus pointus sur le réchauffement de la planète.
Lors de cette conférence [ du 3 novembre 2004 ] , Tony Blair qui sera en duplex, appellera à une nouvelle alliance anglo-allemande pour convaincre les autres pays, y compris les Etats-Unis, de réduire l'impact du réchauffement planétaire.
Schellnhuber, qui sera fait cette semaine Commandeur de l'Empire Britannique par la Reine pour l'ensemble de son travail sur le changement climatique, a ajouté que le nom du futur président des Etats-Unis, le plus gros pollueur de la planète, dominerait les discussions.
"Si John Kerry gagne, [ on sait maintenant qu'il a reconnu sa défaite ] , un dialogue pourrait s'ouvrir et donner l'impression de pouvoir reprendre de zéro. Si c'est Bush qui l'emporte [ les grands électeurs se prononceront le 13 décembre ] , alors il nous faudra attendre de voir ce qui se passera," a dit quant à lui l'ancien scientifique en chef du gouvernement allemand.
Les Écologistes pensent que l'intervention de la Reine a toutes les chances de s'avérer cruciale, surtout que Blair a promis de faire du changement climatique une des questions principales lors de la prochaine réunion du G8, qui aura lieu l'année prochaine.
Parmi ceux qui seront présents pour la Reine on retrouvera Sir David King, la ministre de l'environnement, Margaret Beckett, ainsi que Jack Straw, le ministre des affaires étrangères qui n'a tiré que depuis cette semaine la sonnette d'alarme sur les périls du changement climatique.
En refusant de ratifier le protocole de Kyoto, Bush avait provoqué une condamnation internationale. La décision récente prise par la Russie de signer ce traité a isolé les Etats-Unis sur une question que Blair qualifie comme constituant la pire menace pour la planète.
Hier soir, Downing Street et Buckingham Palace se sont refusés à tout commentaire, suivant l'usage selon lequel les Premiers ministres ne révèlent jamais le contenu de leurs conversations avec la Reine.
On sait que la Reine est connue pour prendre une part active lors de ses audiences avec les Premiers ministres, et pour lesquelles elle est soigneusement briefée : depuis les décennies qu'elle trône, on dit que sa compréhension de la politique rivalise avec celle des hauts diplomates. Ces conversations ont lieu en dehors de la présence des secrétaires privés et ne sont traditionnellement jamais dévoilées par aucune des deux parties — bien que la Reine ait admis autrefois qu'une de ses audiences les plus joyeuses avait été avec Winston Churchill.
Les rares fois où la Reine exprime avec fermeté une opinion personnelle sur des questions de politique, le protocole exige que le Premier ministre soulève ce sujet avec le chef d'état ou le ministre approprié — mais il doit le faire discrètement, de façon à ne pas la compromettre. Il est extrêmement rare que les opinions de le Reine soient rendues publiques.
En contraste, le Prince Charles exerce de plus en plus ouvertement des pressions sur des questions de politique, expédiant souvent des notes écrites — surnommées à Whitehall "les mémos de l'araignée noire", à cause de son écriture — directement aux ministres sur des sujets allant de la médecine complémentaire à la chasse.
Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon