accueil > édito


processus de paix au Proche-Orient

Remplir des chèques pour Gaza est facile. La politique est une autre paire de manches

Par Chris Patten
The Guardian, 27 janvier 2009



article original : "Writing cheques for Gaza is easy. Politics is the tricky bit"

Il est temps de s’interroger sur le rôle historique de l’Europe dans le
financement de l’échec de la politique fixée par les Etats-Unis et Israël


Peu après être devenu commissaire européen en 1999, je me suis rendu à Gaza et en Cisjordanie pour voir comment la commission européenne, sous la forte pression internationale, pouvait accélérer le déboursement de l’aide au développement. Je me souviens, en particulier, de mes visites à l’aéroport de Gaza, ravagé plus tard par l’armée israélienne, et à un hôpital de médecine générale. J’ai visité la morgue qui était en construction. Elle doit avoir été méchamment surchargée ces dernières années.

Après la deuxième Intifada, qui a débuté en automne 2000, Israël a stoppé le transfert des taxes dues à l’Autorité Palestinienne. L’été suivant, la commission a commencé le paiement d’une assistance budgétaire directe à l’Autorité. Celui-ci était assorti de conditions strictes, supervisées par les institutions financières internationales. Les infrastructures construites en Cisjordanie et à Gaza avec l’argent européen ont été systématiquement saccagées par l’armée israélienne, en 2002. Celle-ci ripostait aux attentats suicides horribles en Israël. Tout ce qui existait et qui pouvait servir de base à un gouvernement était détruit – y compris l’administration du cadastre, les tribunaux et les postes de police. Ceci n’a évidemment pas fait avancer les perspectives d’une solution à deux Etats.

Pendant toute la période où la commission européenne apportait un soutien budgétaire, elle a été accusée par certains groupes israéliens de financer le terrorisme et la corruption. Nous avions presque atteint notre objectif et réussi à maintenir à flot l’Autorité Palestinienne – voire même à la réformer. En tant que commissaire responsable, j’ai été encouragé en privé par le département d’Etat américain à poursuivre ce soutien, et les responsables israéliens ne m’ont jamais demandé de le stopper. L’Europe remplissait en fait son rôle désormais historique, consistant à financer le terrible échec de la politique, fixée non pas à Bruxelles, mais à Tel Aviv et à Washington. Il ne fait aucun doute que l’Europe s’apprête à refaire la même chose.

De 2000 à 2008, le financement de la Palestine par la commission européenne a totalisé près de 3 milliards d’€. Ces deux dernières années, environ la moitié du financement est allé à Gaza, par exemple, pour le carburant nécessaire à l’alimentation de la centrale électrique et pour une assistance aux familles nécessiteuses. Au cours des dix dernières années, environ 50 millions d’€ ont été dépensés à Gaza pour des travaux d’infrastructure, une partie d’une somme beaucoup plus importante qui avait été promise mais qui n’a jamais été versée. Tous ces chiffres devraient être ajoutés à l’aide au développement versée directement par les Etats membres.

Après la récente attaque contre Gaza, la collecte de dons a repris. Mise à part la controverse sur le refus lamentable de la BBC de diffuser l’appel du Disasters Emergency Committee [commission d’urgence aux désastres ou DEC], nous devrions être généreux au niveau des Etats membres et au niveau européen dans notre aide humanitaire. Mais cela vaut la peine de s’interroger sur l’utilité d’une aide supplémentaire au développement en l’absence de progrès politiques. En l’absence de tout mouvement politique et avec l’interdiction de tout contact avec le Hamas, le prétendu rôle de Tony Blair comme le « George Marshall » de la Palestine – apportant la paix à travers le développement – a été totalement hors sujet. Pardonnez cette question, mais n’est-ce pas le même Tony Blair qui a parlé, à juste titre, avec Gerry Adams et Martin McGuinness dans la poursuite de la paix [en Irlande] ; le même Tony Blair qui a libéré de prison les assassins terroristes [irlandais] au nom de cette cause ? Si l’Europe doit remplir plus de chèques, nous devrions sûrement insister pour qu’il y ait quelque mouvement politique.

La première étape serait de répondre positivement à l’appel de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité Palestinienne, en vue de la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Il y en avait eu un après que le Hamas avait remporté la majorité des sièges aux élections législatives de 2006. Après des efforts diplomatiques actifs de la part de l’Arabie Saoudite, le Hamas et le Fatah se sont retrouvés enfermés dans une trêve compliquée, réduite à néant par le refus des Etats-Unis et de l’Europe de traiter avec le Hamas. Tout gouvernement d’unité nationale, aujourd’hui, nécessiterait sans doute un nouvel accord entre le Hamas et le Fatah, négocié par les gouvernements arabes. Mais le monde traiterait-il alors avec le gouvernement qui en émergerait ? Sans le Hamas, comment un accord de paix pourrait-il être vendu aux Palestiniens ? L’astuce diplomatique n’est pas comment justifier l’isolement du Hamas, mais comment l’aider à sortir de son isolement, à l’amener à approuver un cessez-le-feu permanent et à libérer le caporal Shalit.

Pour qu’il y ait un réel progrès, il faudrait également reconnaître comment tous les points convergent au Proche-Orient. Il n’y aura pas d’avancée prometteuse en tenant à l’écart l’Iran, la Syrie, le Liban et le Hezbollah. Washington doit parler avec l’Iran et s'engager avec la Syrie. Les Etats-Unis devraient également encourager la diplomatie de la Turquie et du Qatar, qui sont devenus de plus en plus utiles ces derniers mois.

Il faut profiter de toute l’attention qui est portée sur le Proche-Orient pour revoir le contenu d’un accord qui puisse produire une paix durable et la sécurité pour Israël et un Etat palestinien viable. Aucune résolution ne sera possible avec autant de colonies en Cisjordanie. L’administration Obama le dira-t-elle haut et fort et clairement aux politiciens israéliens ?

Avant que l’Europe ne fasse la partie facile – même en ces temps de tension financière – et remplisse de nouveaux chèques, elle devrait au moins se demander ce qu’elle achète exactement avec son argent. Ce serait un réel soulagement si la réponse était la paix.

Chris Patten, ancien président du parti conservateur britannique et commissaire européen aux relations extérieures, est le président de l’Université d’Oxford.


Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]