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Sommes-nous sur le chemin de la guerre avec l'Iran?

Par Dan Plesch
Mardi 18 Octobre 2005
The Guardian


Dan Plesch évalue les preuves d'un nouveau conflit qui pointe au Moyen-Orient.

Le week-end dernier, le Sunday Telegraph a mis en garde que les Nations-Unies avaient une dernière chance d'éviter la guerre avec l'Iran. Lors d'une rencontre qui s'est tenue à London la semaine dernière, l'ambassadeur américain auprès des Nations-Unies, John Bolton, a exprimé ses regrets, disant que tout échec du conseil de sécurité dans le traitement du problème iranien mettrait en danger la pertinence du conseil de sécurité, laissant entendre que les Etats-Unis règleraient ce problème eux-mêmes. Seulement quelques jours auparavant, le secrétaire [britannique] aux affaires étrangères, Jack Straw, a écarté une action militaire, disant qu'elle était "inconcevable", tandis que le président américain et sa secrétaire d'état ont insisté pour dire que des pourparlers de guerre n'étaient pas à l'ordre du jour. Les inspecteurs onusiens de l'AIEA ont constaté que, jusqu'à présent, l'Iran n'avait pas rompu ses engagements, tels que définis par le Traité de Non-Prolifération, mêmes si les Iraniens avaient caché certaines activités dans le passé.

Il apparaît que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont décidé de faire monter les enchères dans leur confrontation avec l'Iran. Ces deux pays ont persuadé le conseil de l'AIEA — y compris l'Inde — de passer outre l'avis de ses inspecteurs, de déclarer que l'Iran viole le Traité de Non-Prolifération (TNP) et de dire que les activités de l'Iran pourraient être examinées au Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Ceux qui critiquent ce processus politique font remarquer que l'Inde, elle-même, a développé des armes nucléaires et a refusé de rejoindre le TNP, mais qu'elle a quand même accepté de dire que l'Iran a agi illégitimement. Du côté iranien, on discute aussi pas mal de la guerre et l'on évoque au haut et fort la contribution du nucléaire à la sécurité iranienne.

La manière dont les récentes accusations sur l'intervention iranienne en Irak se sont déroulées dans le temps est tout aussi significative. Dès l'instant où les Etats-Unis ont refusé de contrôler les frontières irakiennes (avril 2003), les milices soutenues par l'Iran ont dominé le Sud ; et, avec moins de 10.000 soldats parmi une population de millions de personnes, l'armée britannique n'a pas pu faire autrement que d'accepter cette situation. Jusqu'à présent il n'y a pas eu d'histoires. En ce qui concerne les bombardements des soldats britanniques, certaines sources proches des ingénieurs américains rapportent que ces systèmes prétendument sophistiqués sont fabriqués depuis de nombreux mois à l'intérieur même de l'Irak et n'ont pas besoin d'être importés.

Mais est-ce que les pourparlers de guerre sont pour de vrai ou s'agit-il seulement de rodomontades ? Il est communément admis que pour des raisons tant militaires que politiques il serait impossible pour Israël et la coalition américano-britannique d'attaquer et que, dans tous les cas, après les dommages politiques causés par la guerre d'Irak, ni Tony Blair, ni George Bush, ne pourraient réunir un soutien politique pour une autre attaque.

Mais, à Washington, Tel Aviv et Downing Street, voire au Ministère [britannique] des Affaires Etrangères, l'Iran est vu comme une menace critique. Le régime de Téhéran continue d'exiger la destruction de l'Etat d'Israël et de soutenir les forces anti-israéliennes. Dans ce qui semble être des communiqués coordonnés des services de renseignements, donnant leur avis, les services israéliens et américains ont confié que si l'Iran était à des années d'une capacité nucléaire militaire, le point technologique de non-retour était à présent imminent.

Peu de temps après les élections américaines, le vice-président Dick Cheney, a mis en garde qu'Israël pourrait attaquer l'Iran. Israël dispose de la capacité d'attaquer des cibles iraniennes avec des avions et des missiles à longue portée lancés de sous-marins, tandis que les défenses aériennes iraniennes sont toujours essentiellement basées sur du matériel vieux de 25 ans, acheté au temps du Shah. Une attaque des Etats-Unis pourrait être présentée comme une option plus raisonnable qu'une nouvelle confrontation israélo-islamique. L'armée de terre et la marine des Etats-Unis sont très impliquées en Irak, mais si l'administration Bush avait l'intention d'envahir l'Iran, elle trouverait des soldats pour le faire. Donald Rumsfeld a réorganisé l'armée de terre afin d'accroître d'un tiers les forces frontales. Ce qui est plus important, la puissance de feu des forces navales et aériennes a été très peu utilisée en Irak. Avec seulement 120 B52 et bombardiers furtifs, les Etats-Unis pourraient viser en une seule mission, grâce aux bombes à guidage par satellite, 5.000 cibles en Iran. C'est pour cette raison que John Pike, de globalsecurity.org, pense qu'une attaque américaine pourrait se déclencher sans prévenir. Une action américaine est souvent considérée comme étant impossible, pas seulement à cause de son manque supposé de puissance de feu, mais parce que les installations iraniennes sont trop difficiles à viser. Dans une logique stratégique qui est toujours en cours à Washington, la conclusion est donc que si vous n'avez pas la garantie de détruire toutes les armes supposées, alors il doit être nécessaire de supprimer le régime qui veut les obtenir, et le changement de régime est la politique officielle de Washington depuis de nombreuses années.

Pour les planificateurs politico-militaires, des attaques de précision sur quelques installations ont des désavantages qui vont au-delà de garder le régime intact. Elles permettraient au régime de disposer de trop d'options pour des représailles. Il est sûr que les voisins de l'Iran, en Arabie Saoudite et dans le Golfe, qui s'inquiètent de l'influence croissante des Chiites en Irak, voudraient que toute attaque soit décisive. A partir de cette logique, l'idée de détruire l'infrastructure politico-militaire du régime clérical, et peut-être d'encourager les séparatistes Kurdes et Azéris qui se dressent dans le Nord-Ouest, fait son chemin. Certains planificateurs de Washington espèrent que les Sunnites du Khuzestân riche en pétrole feraient sécession eux aussi.

Sur le plan politique, une nouvelle guerre pourrait ne pas être aussi désastreuse pour Washington que beaucoup le pensent. Scott Ritter, l'ancien inspecteur en armement des Nations-Unies et dénonciateur, fait remarquer qu'au sein du Parti Démocrate peu se mettront en travers du chemin de ceux qui veulent détruire ceux qui ont conduit le siège infâme de l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran, et qui a mis fin à la présidence de Jimmy Carter. M. Ritter est l'un des analystes américains, avec Seymour Hersh, qui a conduit les accusations selon lesquelles Washington est sur le chemin de la guerre avec l'Iran.

Pour un Président Bush harcelé, combattre les mollahs de Téhéran pourrait être un moyen utile de détourner l'attention de l'Irak et de rétablir le contrôle du Parti Républicain avant les élections parlementaires de l'année prochaine. De ce point de vue, même une escalade du conflit rallierait la nation derrière un président en guerre. Quant à la succession du Président Bush, Bob Woodward [l'un des deux journalistes qui ont mis au jour l'affaire "Watergate"] considère que M. Cheney est un candidat probable, une démarche qui serait plus facile dans une atmosphère de guerre. Sans nul doute, M. Cheney ferait remarquer que les dépenses militaires des Etats-Unis, tout en étant colossale comparées aux autres nations, représentent un pourcentage du PIB plus faible que sous Reagan. En ce qui concerne la position de M. Blair, il faudrait savoir s'il a engagé la Grande-Bretagne dans une prévention contre la bombe iranienne "comme ça se présentera", ainsi qu'il l'avait fait pour l'Irak.



Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon