Elections 2007
Le mythe de la démocratie, répété à l'envi par la gauche et la droite, prend le progrès comme un fait établi. Il y a toujours une promesse de nirvana au-dessus de la prochaine vallée... pourvu que vous votiez pour moi encore une fois ! En fait, lorsqu'une telle rhétorique s'arrête, la magie du scrutin donne généralemant quelque chose de différent. Esquiver, se faufiler, bégayer, rester coincé : une vie entière à rectifier le cap le long d'une route sinueuse qui pourrait très bien ne pas se terminer sur le progrès.
En Amérique, après Bush le néocon, les nouveaux centristes se rassemblent donc : Barack Obama agrémente d'adjectifs rassurants le "Blairisme" du Midwest ; et, Rudy Giuliani épouse les droits de la femme au sein du repaire républicain. Après Margaret Thatcher, il y a donc David Cameron : au moins un conservateur que Willie Whitelaw aurait pu adopter ! En Allemagne, Angela Merkel démontre donc que les Démocrates Chrétiens redeviennent un genre émollient et fusionnel. Romani Prodi succède donc à Silvio Berlusconi. Et enfin, il y a la France. À présent (à la sortie des urnes) elle est sur le point de faire un choix essentiel : Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal ?
Le pire piège qui attend les commentateurs britanniques, au moment où des élections se profilent en France, est de verser dans la condescendance anglo-saxonne. [Ecoutons-les :] Notre économie est en plein essor ; la leur traîne la jambe à la manière d'un arthritique. Notre modèle apporte prospérité, flexibilité et emplois ; le leur n'inflige que gaspillage, mécontentement et désespoir. Nous sommes les fils du travail honnête ; ils sont irrémédiablement fourbes. [Etc.]
Evidemment, tout ceci n'est que du baratin complaisant. Essayez d'établir une liste équivalente, mais dans l'autre sens ! [Je vous aide:] Ils ont des transports dont ils peuvent être fiers, un service public de santé dont ils peuvent se gargariser, un appétit pour la technologie qui fait d'eux des leaders européens dans beaucoup de domaines, une batterie d'administratifs qualifiés adaptés aux Temps Modernes, un sens de l'histoire et un statut national permanent. Ils ont une très bonne équipe nationale de football, ils mangent sainement, ils ont une industrie cinématographique unique, ils construisent toujours massivement des automobiles et ils possèdent une force de dissuasion plutôt indépendante. De plus, ils avaient raison sur l'Irak. Et nous ?
Bien sûr ! La France connaît des stagnations et a ses déceptions. Bien sûr ! La déception conduit toujours à se poser des questions qui font mal. Mais le choix qui s'est déterminé hier n'a rien à voir avec un baroud d'honneur dans un salon de la dernière chance. Voici un pays qui évolue à l'intérieur d'une Europe elle-même en évolution. La France a ses problèmes - et un système politique qui tend d'abord à accentuer les extrêmes. Mais une nouvelle génération est en train de prendre les choses en main dans des termes que l'ancienne génération comprend.
Sarkozy n'est pas un nouveau venu. Il est le Monsieur Continuité des années Chirac, un ministre de l'intérieur mordant qui s'affiche dans le monde (un peu comme si John Reid était le successeur de Blair). Il peut bien laisser croire à un changement profond sur l'immigration lorsqu'il s'adresse avec dureté sur le flanc sud de Jean-Marie Le Pen. Et il peut bien sembler suggérer une action encore plus dure lorsqu'il s'adresse aux syndicats du service public. Mais, en réalité, son jeu s'appelle plus "transition" que "révolution", exactement comme pour Royal tout au long de sa campagne hésitante - pleine de style, mais pourtant curieusement traditionnelle en substance - du vieux socialisme relooké.
Ici, le mythe du "progrès" existe toujours (du moins en partie). Depuis De Gaulle, la France a surtout été dirigée au centre-droit. Mais elle a embrassé la générosité du centre-gauche que Mitterrand lui a prodiguée. Royal peut bien admonester la "politique de brutalité" de Sarkozy, exactement comme ce dernier peut bien se moquer de la vacuité de centre-mou [de sa rivale] sur les questions pointues, mais, ni l'un ni l'autre, une fois au pouvoir, ne pourra apporter de grandes corrections au parcours [de la France]. Certains problèmes, comme le chômage des jeunes, seront abordés. Certaines questions, comme la place de la France en Europe, devront trouver une nouvelle réponse. Mais, à la fin du prochain mandat présidentiel, il y aura toujours une France reconnaissable qui suivra une ligne française bien tracée.
Bien sûr, les politiciens raillent la mièvrerie du centre. Nico et Ségo ont enfoncé François Bayrou comme une sorte de Roy Jenkins[1] gaulois, qui prêche l'harmonie pour le salut de l'harmonie. Mais la réalité de la candidature de Bayrou a été une aide puissante à chacun d'eux. Cela ne fait pas du tout partie (pour reprendre la formulation de David Miliband[2] d'un leadership désintéressé) de quelque bataille essentielle et éternelle entre les Socialistes et les Conservateurs. La question est : que se passera-t-il une fois le processus électoral terminé ?
Alors, mettez de côté votre manuel britannique qui a réponse à tout ! Un socialiste sans beaucoup de programme peut-il apporter le changement et la réussite ? Absolument. Voilà pourquoi José Luis Zapatero, symbole d'une telle réussite, a traversé la frontière espagnole pour se tenir aux côtés de Ségolène Royal. La société française peut-elle s'en sortir dans un monde globalisé ? C'est la question suivante. Toutefois, enchâssée dans l'Europe autant que dans sa propre histoire, les résultats, quels qu'ils soient, ne susciteront que peu d'applaudissements à Westminster. Nous sommes tous victimes de nos propres mythes qui perdurent.
Traduction : JFG/QuestionsCritiques
Notes :
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[1] Roy Harris Jenkins était un homme politique britannique. Après avoir été un depute travailliste de premier plan dans les années 60 et 70, il devint l'un des quatre principaux fondateurs du Social Democratic Party (SDP) en 1981. Il était aussi un écrivain émérite, en particulier de biographies.
[2] David Wright Miliband, né à Londres le 15 juillet 1965, est un homme politique britannique membre du Parti travailliste. Député depuis 2001 pour la circonscription de South Shields, au Nord de l'Angleterre, il est depuis mai 2006 secrétaire à l'Environnement. Proche du Premier ministre Tony Blair, qui le considère comme un possible successeur, il est l'une des principales figures de la jeune génération du Parti travailliste.