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Interview exclusive de Bashar al-Assad

Par Ian Black, à Damas
The Guardian, 18 février 2009

Série de deux articles compilés par QuestionsCritiques



Bashar al-Assad dans une interview avec Ian Black.
(Photo: bureau de presse du gouvernement syrien)


L’homme fort de la Syrie est prêt à encourager Obama en desserrant les deux poings

article original : "Syria's strongman ready to woo Obama with both fists unclenched"

Le Président syrien Bashar al-Assad est activement courtisé par la nouvelle administration américaine, l’UE, ainsi que les dirigeants arabes, faisant ainsi de Damas la ville où il faut se rendre au Moyen-Orient. Interview rare et exclusive au Guardian dans la capitale syrienne.

Bashar al-Assad, le président syrien, est calé dans son fauteuil en cuir élégant dans son palais couleur de miel au sommet d’une colline et ses gestes sont élancés – les poings visiblement desserrés – tandis qu’il explique le rôle indispensable de son pays au Moyen-Orient dans l’ère Obama pleine d’espoir.

Assad est un homme très occupé. Des heures avant que le Guardian arrive, il a rencontré un commissaire européen de premier plan et le secrétaire général de la Ligue Arabe. Plus tard dans la semaine, le Sénateur John Kerry, qui préside la commission des affaires étrangères du Sénat américain, et Howard Berman, un parlementaire chevronné, lui redront visite – reflétant ainsi la relation qui s’intensifie entre les vieux adversaires qui semblent très désireux de prendre un nouveau départ.

Ces derniers mois, Damas est devenue la capitale moyen-orientale à visiter : Nicolas Sarkozy, avec son panache caractéristique, a ouvert la voie pour la France et l’Europe ; David Milliband et d’autres ministres européens des affaires étrangères ont suivi. La Turquie joue également un rôle clé.

Tandis que le monde attend les premières mesures pratiques de l’administration Obama, les espoirs de changement sont très grands, bien qu’ils aient été tempérés par la guerre de Gaza et le résultat de l’élection israélienne, qui aura probablement pour conséquence un gouvernement de droite dirigé par Benjamin Netanyahou du Likoud. Assad dit spontanément qu’il n’a jamais beaucoup espéré de changement en Israël – et certainement pas avec Netanyahou qui a promis de ne jamais rendre le Golan à la Syrie – mais il à foi dans le nouveau rôle américain.

« Nous avons l’impression que cette administration sera différente », dit-il, « et nous avons vu les signaux. Mais il nous faut attendre les résultats pour le vérifier. » Il espère « en principe » rencontrer Obama, « mais cela dépend de ce dont nous discuterons. Je serais très heureux de discuter de paix. » Toutefois, il est inquiet de l’impact des « autres groupes de pression et autres acteurs ».

Détendu et prévenant, portant un costume sombre, Assad semble désireux d’envoyer des messages positifs et de souligner son point de vue, hérité se son père, Hafez, selon lequel la Syrie est indispensable. « Si l’on veut une paix générale au Moyen-Orient, on ne peut y parvenir sans la Syrie », dit-il. « Nous sommes un acteur dans la région. Si l’on veut parler de la paix, on ne peut pas avancer sans nous. »

Le soulagement d’Assad que l’ère de Bush est terminée est palpable. Bien qu’il n’ait jamais fait partie de « l’axe du mal » de l’ancien président étasunien, la Syrie a été en disgrâce depuis 2003 : son opposition à la guerre en Irak, les accusations qu’elle a laissé des combattants étrangers franchir ses frontières, sa présence au Liban et son soutien à des groupes tels que le Hezbollah et le Hamas ont fait d’elle le vilain canard de la région pour Washington et ses alliés. Les sanctions américaines, en vertu de la « loi sur la responsabilité de la Syrie », restent en vigueur.

« Bush a tout raté », dit le président. « Ils [l’administration Bush] ont travaillé dur en vue d’un changement de régime. Mais ça n’a pas marché. Ça n’a pas marché parce que je ne suis pas un pantin de l’Amérique et que j’ai de bonnes relations avec mon peuple. »

Mais Assad considère que le rôle de l’Amérique est crucial, si des progrès peuvent être faits dans la quête de la paix dans la région. Washington doit être le « principal arbitre », dit-il, mais le temps est venu pour une approche basée sur le principe de la terre en échange de la paix, principe énoncé dans les résolutions onusiennes remontant à des dizaines d’années et incorporé dans la conférence de paix de Madrid de 1991, le seul forum où Israël s’est retrouvé face à tous ses ennemis arabes. « Madrid est toujours viable », suggère Assad. « C’est un bon modèle. »

L’Initiative de Paix Arabe, dévoilée pour la première fois en 2002 et réaffirmée en 2007, n’est pas tout à fait morte – comme il l’a déclaré de façon spectaculaire au plus fort des massacres de Gaza le mois dernier, mais elle est plutôt « dans le coma ». Quelle que soit l’analogie médicale précise, il reconnaît dans un rictus que c’est Israël qui a rejeté cette offre de paix arabe collective sans précédent en échange d’un retour aux frontières de 1967.

Après la confusion autour de la crise de Gaza, avec le camp arabe, soutenu par les Occidentaux, de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite affrontant la Syrie, le Qatar et l’Iran non-arabe –, les signes montrent qu’il y a une nouvelle urgence pour une coordination et une réconciliation inter-arabes.

A part Amr Moussa de la Ligue Arabe, un autre visiteur important à Damas, cette semaine, a été le Prince Muqrin, le chef des services de renseignements saoudiens – un geste vu comme un signe annonciateur d’un réel dégel entre Damas et Riyad.

Le sommet arabe du mois prochain, qui se tiendra à Doha, dans la capitale du Qatar, pourrait être l’occasion d’une réponse arabe collective aux récents événements : une question clé, dit Assad, est de restaurer l’unité palestinienne après la division paralysante entre l’OLP en Cisjordanie et les Islamistes du Hamas dans la Bande de Gaza.

Le Hamas est une question sensible en Syrie. Son dirigeant en exil, Khaled Meshal – qui a été une fois la cible l’une équipe de tueurs du Mossad – est basé à Damas et bénéficie de la protection des autorités. Mais Assad est prompt à défendre son droit de résistance vis-à-vis d’Israël – largement soutenu par les citoyens ordinaires – et de minimiser sa propre influence sur le mouvement palestinien.

Chose curieuse, dit-il, dans l’une de ses apartés riches en réflexion : « On ne peut pas seulement traiter avec des gens biens. S’ils peuvent pourrir les choses ou placer des obstacles en travers de votre chemin, vous devez traiter avec eux. Et je n’entend pas par là la Syrie ou l’Iran. C’est un principe. Cela s’applique partout dans le monde. Oubliez les étiquettes et la rhétorique. »

A la lumière de tels commentaires, les suggestions qu’il pourrait dégrader sa relation avec le Hamas ou le Hezbollah semblent être complètement à côté de la plaque. Mais les diplomates occidentaux disent que si Assad veut voir un réel changement avec les Etats-Unis, il sera confronté à des pressions pour ne pas permettre au Hezbollah d’être approvisionné, via la Syrie, en missiles à longue portée ou en armes anti-aériennes qui pourraient changer l’équation stratégique au Liban.

Dans l’ensemble, son point de vue est que la violence est un symptôme, pas la cause des problèmes au Moyen-Orient.

La relation stratégique de la Syrie avec l’Iran, son allié depuis la révolution de 1979, n’est pas négociable non plus. Le dialogue avec Téhéran devrait commencer immédiatement, dit-il, et les occidentaux ne devraient pas « perdre leur temps » à imaginer que l’élection présidentielle de juin prochain changera quoi que ce soit de fondamental.

Assad est catégorique dans son rejet de la critique concernant les libertés intérieures en Syrie et l’emprisonnement de dissidents tels que Michael Kilo et Riyad Seif. « Nos lois sont dures et strictes et définir si elles sont justes ou mauvaises regarde la Syrie », dit-il.

« Nous ne permettons à personne de faire des questions intérieures une condition pour les relations. Les Européens et les Américains ont soutenu l’occupation de l’Irak. Parler de valeurs n’a désormais plus aucune crédibilité. Et après ce qui s’est passé à Gaza, ils n’ont aucun droit [de nous critiquer]. »


Assad conseille vivement aux Etats-Unis de reconstruire la route diplomatique qui passe par Damas

article original : "Assad urges US to rebuild diplomatic road to Damascus"

Le dirigeant syrien en appelle à Obama pour rétablir en Syrie un envoyé diplomatique et tenir les promesses de dialogue

La Syrie espère que les Etats-Unis enverront bientôt un ambassadeur à Damas pour respecter l’offre d’Obama d’engager le dialogue avec les pays que l’administration Bush a dédaignés, a déclaré le Président Bashar al-Assad.

Assad a profité d’une rare interview de presse pour formuler ses espoirs d’une nouvelle relation avec les Etats-Unis, à présent que l’ère de Bush est révolue – une relation dans laquelle il espère voir Washington agir comme « arbitre principal » dans le processus de paix moribond au Moyen-Orient. « Il n’y a aucun substitut aux Etats-Unis », a dit Assad.

Se référant à l’appel d’Obama pour que certains pays « desserrent les poings », Assad a dit qu’il pensait que le nouveau président étasunien se référait à l’Iran. « Nous n’avons jamais serré les poings », a-t-il déclaré. « Nous avons toujours parlé de paix, même durant l’agression israélienne à Gaza. »

La décision des Etats-Unis d’envoyer ou non à nouveau un ambassadeur à Damas est en examen, sur l’ordre d’Obama lorsqu’il a pris ses fonctions. Les Etats-Unis sont attirés par l’idée de s’engager avec la Syrie, voyant un potentiel pour faire revenir Assad en grâce, apporter son aide dans le conflit israélo-palestinien et desserrer les liens étroits que la Syrie entretient avec l’Iran.

Plus tard dans la semaine, Assad rencontrera le Sénateur John Kerry, le président influent de la Commission des affaires étrangères du Sénat américain et l’Américain le plus haut placé à rendre visite à Damas depuis des années. Kerry a pris fait et cause pour le retour rapide d’un ambassadeur américain, rappelé en 2005 après le meurtre de l’ancien Premier ministre libanais Rafgiq al-Hariri. Son assassinat a été largement attribué à la Syrie, en dépit de démentis énergiques de Damas.

« Un ambassadeur est important », a dit Assad. « Envoyer ces délégations est important. Le nombre de ces parlementaires se rendant en Syrie est un bon geste. Cela montre que cette administration veut voir un dialogue avec la Syrie. Ce que nous avons entendu d’eux – Obama, Clinton et d’autres – est positif. » Mais il a ajouté : « Nous sommes encore dans une période de gestes et de signaux. Il n’y a encore rien de concret. »

Un tel rapprochement nécessiterait que la Syrie rompe ses liens avec le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza, tous deux classés par Washington comme groupes terroristes, et qu’elle fasse de plus gros efforts pour fermer ses frontières aux combattants étrangers en transit vers l’Irak.

Cependant, Assad n’a montré aucun signe qu’il est prêt à rompre ses liens avec l’un ou l’autre de ces groupes – ou, ainsi que les Etats-Unis aimeraient le voir, avec l’Iran, l’allié stratégique de la Syrie depuis 1979.

Interrogé sur les commentaires d’Assad d’accueillir à nouveau un ambassadeur américain, un officiel du département d’Etat a déclaré : « Notre politique vis-à-vis de la Syrie est toujours en examen. Tant que cet examen ne sera pas terminé, je ne vais pas entrer dans les détails de ces discussions. »

Soulignant ses espoirs d’un changement important d’orientation à Washington, le dirigeant syrien a dit qu’il accueillera favorablement une visite à Damas du Général David Petraeus, le chef du commandement central des Etats-Unis, pour discuter d’une collaboration sur l’Irak et d’autres sujets. Une visite programmée de Petraeus avait été bloquée par la Maison Blanche de Bush.

« Nous aimerions avoir un dialogue avec l’administration étasunienne. Nous aimerions le voir [Petraeus], ici, en Syrie », a dit Assad.

Une autre cause de tension entre les deux pays est un bâtiment détruit l’année dernière par les forces israéliennes en Syrie, bâtiment que les Etats-Unis disaient être une centrale nucléaire.

Assad a exprimé son pessimisme quant à la perspective de négocier une paix durable avec l’administration israélienne entrante, qui sera probablement une coalition de centre-droit. « Parier sur le gouvernement israélien est une perte de temps », a-t-il dit. Mais des pourparlers de paix, a-t-il prédit, finiront par avoir lieu. La récente incursion d’Israël à Gaza, a prévenu Assad, a eu des implications pour la perspective de pourparlers de paix avec la Syrie, mais il est resté confiant dans le fait qu’ils redémarreraient. « Ce sera plus difficile, mais à la fin, nous les reprendrons. »

Les Etats-Unis ne pouvaient pas se permettre d’ignorer la Syrie, a-t-il dit. « Nous sommes un acteur dans la région. Si l’on veut parler de la paix, on ne peut pas avancer sans la Syrie. »

Les relations US-syriennes se sont fortement dégradées sous l’administration Bush, qui a accusé la Syrie d’avoir permis à des combattants étrangers de traverser sa frontière avec l’Irak. La Syrie l’a démenti, disant qu’il était impossible de contrôler la frontière étendue du désert qui borde l’Irak.

Assad a aussi conseillé vivement aux Etats-Unis et à l’Europe de s’engager avec l’Iran et de ne pas attacher de faux espoirs sur un changement [de régime] lors des élections présidentielles de l’été prochain. « Il s’agit d’une question iranienne », a-t-il dit. « En Iran, il y a une unité sur les questions nationales essentielles. Oubliez les discours politiques.

« Je dirais à Obama et aux Européens : ‘Ne perdez pas votre temps avec cela. Allez dialoguer !’ La seule voie est un engagement direct. » Assad, qui se raccommode également avec l’Arabie Saoudite, une rivale de longue date, a dit qu’il soutenait le retour au format de la conférence de paix de Madrid de 1991, lorsque les Etats arabes avaient accepté de négocier une paix d’ensemble avec Israël. Le lancement par Yasser Arafat du processus d’Oslo avec Israël a été une erreur, pense-t-il.

Le dirigeant syrien a été clair sur le fait qu’il ne céderait pas à des pressions pour faire des gestes. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne aimeraient qu’il envoie un ambassadeur à Beyrouth après l’établissement l’année dernière de relations diplomatiques historiques entre la Syrie et le Liban. Mais il a prévenu : « Nous n’enverrons pas un ambassadeur au Liban parce que la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis le veulent. Ceci est une question souveraine. Nous ne le faisons pas pour l’Europe, ni pour personne d’autre. »

Assad a dit qu’il ne se sentait pas concerné par l’ouverture le 1er mars du tribunal de l’ONU enquêtant sur l’assassinat d’Hariri, et que certains observateurs sentent qu’il a été poussé par un agenda politique étasunien et qu’il pourrait devenir une barrière importante à l’accélération d’un rapprochement avec l’Ouest. Toute requête pour remettre des Syriens au tribunal nécessiterait l’accord de la Syrie, a-t-il dit.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]