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     C'est au cœur de la crise libanaise que
réside l'erreur fatale de George W. Bush
    Par Jonathan Freedland
The Guardian, mercredi 26 juillet 2006

Au lieu de poursuivre la recherche d'un accord de paix au Proche-Orient, la grande idée de la Maison-Blanche a été de bombarder les peuples vers la démocratie


Ce devait être désormais fini. Il y a exactement une semaine, les planificateurs militaires israéliens exigeaient 72 heures supplémentaires pour finir le boulot : c'était tout ce dont ils avaient besoin, avaient-ils promis, pour nettoyer le sud-Liban du Hezbollah. Pourtant, l'ennemi a montré de l'entêtement. Malgré deux semaines de bombardements, le formidable arsenal du Hezbollah reste en place. Hier, il a tiré encore plus de missiles - 60 - loin à l'intérieur d'Israël, atteignant la ville de Haïfa et tuant une adolescente dans le village arabe de Maghar.

Cette persévérance est la cause des premiers murmures de crainte qui bruissent en Israël. Pourquoi est-ce que les Katyoucha "continuent de tomber et de tuer ?" demande un chroniqueur israélien. Les Forces de Défense d'Israël [Israel Defense Forces - IDF] sont-elles en train de perdre l'avantage ? interroge un autre, se demandant si "au lieu d'une armée petite mais futée, nous ne commençons pas à entrevoir une armée qui est grosse, riche et stupide". Les hauts-gradés nient avoir été surpris par la force du Hezbollah. Ils disent qu'ils ne s'attendaient à rien de moins - car l'Iran a fourni des armes à ce mouvement pour un montant supérieur à 100 millions de dollars (75 M€). Ce qui expliquerait la grosse artillerie, dont des missiles à longue-portée, à la disposition du Hezbollah.

Jusqu'à présent, rien de tout cela n'a entamé le niveau étonnamment élevé du soutien des Israéliens à cette guerre. Hier, j'ai discuté avec un objecteur de conscience, un soldat israélien dont les principes l'ont contraint à passer un mois en prison au lieu de servir en Cisjordanie ou à Gaza. Même lui a été clair : "Nous n'avions pas d'autre choix que celui de riposter". Cela n'a rien à voir avec la défense d'un territoire occupé car Israël n'est pas un véritable occupant au Liban. Il s'agit, dit-il, de défendre notre pays contre l'armée mandatée par un Etat, l'Iran, qui s'est engagé à détruire Israël.

Il n'y a pas grand chose qui puisse altérer l'assurance des Israéliens. Sur leurs chaînes de télévision, ils voient peu des images que nous voyons sur les nôtres, montrant des enfants libanais, couverts de sang et qui pleurent ; ils ont leurs propres victimes à s'occuper. Quant au reste de la condamnation mondiale, cela n'a aucun effet sur eux. Pourquoi les Israéliens devraient-ils écouter Vladimir Poutine lorsqu'il leur dit que leur riposte à été "disproportionnée" ? Le pilonnage de Groznyï a-t-il été proportionné ? Quant aux complaintes de la Grande-Bretagne et de l'Europe à propos des 390 civils tués au Liban, ceux-ci nous rappellent les plus de 3.000 civils tués dans l'attaque de l'Afghanistan en 2001 : à quel point cela a-t-il été proportionné ? Kim Howells avait raison d'être horrifié par ce qu'il a vu à Beyrouth. Mais il aurait sûrement été tout aussi choqué s'il avait visité la ville irakienne de Falloujah après que les Américains l'avaient réduite en cendres.

D'ailleurs, ces critiques, y compris celle d'Howells, ont très peu percé [en Israël]. Le message asséné par la plupart des médias israéliens est que le petit morceau du monde qui compte - les Etats-Unis - est derrière eux. Le gouvernement [israélien] reprend cette ligne et, hier, il aura été enhardi par la compréhension que Condoleeza Rice a montrée.

Pour Ehoud Olmert, le soutien des Etats-Unis se trouve vraiment au cœur de tout ce que cette guerre signifie. L'analyste de l'Université de Tel Aviv, le Dr Gary Sussman, l'appelle une "guerre pour la légitimité de l'unilatéralisme". Cette approche, d'abord poursuivie par Ariel Sharon et, à présent, par le programme déterminé d'Ehoud Olmert, dit aux Israéliens que c'est ok de se retirer des territoires occupés - que ce soit du sud-Liban en 2000 ou de Gaza en 2005 - parce qu'après leur retrait il y aura une frontière claire et reconnue, derrière laquelle Israël pourra se défendre avec plus de vigueur que jamais.

C'est pourquoi, après la capture des deux soldats israéliens par le Hezbollah, Olmert devait riposter. S'il ne l'avait pas fait, il aurait été vilipendé par les critiques qui désignent le retrait unilatéral comme une retraite dont on fait l'éloge et qui met en danger la sécurité d'Israël. Il devait prouver que se retirer ne signifiait pas se sauver, qu'Israël pouvait toujours se défendre. Qui plus est, s'il se retirait derrière les frontières internationalement reconnues, Israël bénéficierait alors de la légitimité internationale. Washington a joué aimablement ce rôle, apportant le soutien confirmant la logique d'Olmert.

Ce message ne s'adresse pas seulement au peuple israélien. Il est aussi destiné à restaurer la "dissuasion" du pays, en disant au Hezbollah et au reste de la région qu'ils ne peuvent pas traverser les frontières d'Israël ou capturer son personnel dans l'impunité (quelle que soit la manière dont Israël se comporte). Israël est surtout très content de réfuter la "théorie de la toile d'araignée", que le Hezbollah a fait circuler : tirez sur un des fils israéliens, tel que sa présence de 18 ans au Liban, jusqu'en 2000, et tout l'ouvrage se défait. L'opération actuelle est destinée à démontrer qu'Israël ne se défait pas.

Il y a un dernier public auquel s'adresse cette guerre. Olmert veut que les Palestiniens perçoivent que si Israël se retire un peu plus des Territoires, comme il en a l'intention, il ne sera pas le dindon de la farce. Au contraire, comme le monde a pu s'en apercevoir, si l'on égratigne Israël pas plus que cela, il ripostera très violemment. Le Premier ministre veut que ce point soit bien imprimé dans les têtes du Hamas et du Fatah, afin qu'ils se souviennent du jour où Israël se retira de certaines parties de la Cisjordanie.

De son propre point de vue, Olmert n'avait pas beaucoup le choix. S'il avait accepté l'enlèvement des soldats et négocié leur retour par les voies diplomatiques, cela en aurait été fini (c'est ce que disent la plupart des analystes israéliens). Il aurait confirmé sa propre faiblesse - un civil sans passé militaire - et cela aurait donné raison aux anti-unilatéralisme. Son propre plan, consistant à se retirer un peu plus des territoires occupés, serait en miettes. Telles qu'en sont les choses, il devrait avoir à présent la crédibilité pour avancer.

Voilà toute la consolation que l'on peut tirer des décombres de ces deux dernières semaines. Pourtant, il n'était pas utile d'en arriver là. Que l'un des acteurs-clés de ce drame se soit comporté différemment et tout ce désastre aurait pu être évité.

Je pense aux Etats-Unis. Il est de bon ton d'accuser les Etats-Unis de tous les maux de la terre, mais, cette fois-ci, les crimes de l'administration Bush, à la fois de n'être pas intervenu et d'avoir été le commanditaire, sont vraiment au cœur du problème.

Depuis le début, la diplomatie s'est heurtée à une tâche difficile, en partie parce que les Etats-Unis ne sont pas vus comme des médiateurs sincères, mais au contraire comme alignés trop étroitement sur Israël. Le gouvernement américain est depuis longtemps pro-israélien. Mais, sous le Président Clinton et le premier Président Bush, des efforts furent faits pour qu'il soit vu comme un possible médiateur. Pas sous George W. Bush. Loin de garder les lignes de communication ouvertes avec les deux patrons-clés du Hezbollah - la Syrie et l'Iran - Bush les a jetés au plus profond des ténèbres, les a désignés comme les empêcheurs de tourner en rond, ou les satellites, de l'axe du mal. En conséquence, il n'y a eu aucun mécanisme pour contenir le Hezbollah. À présent que les Etats-Unis ont besoin de l'aide de la Syrie, il est peut-être trop tard. Sans aucun doute, Damas extorquera un prix élevé en demandant le droit de revenir, d'une manière ou d'une autre, au Liban. La Maison-Blanche ne peut pas accorder cela - pas lorsqu'elle considère l'éviction de la Syrie du Liban en 2005 comme l'un de ses rares succès en politique étrangère.

Mais la liste des échecs est bien plus grande. Ça a commencé pendant la première semaine de son premier mandat, lorsque Bush décida qu'il ne répèterait pas ce qu'il percevait comme l'erreur de son prédécesseur, en laissant sa présidence se perdre dans la recherche infructueuse d'une paix israélo-palestinienne. Même si Clinton fut à deux doigts d'y parvenir, Bush décida qu'il fallait laisser tomber. Alors qu'Henry Kissinger a parcouru autrefois 38.986 kilomètres en seulement 34 jours de démarches diplomatiques, les envoyés de Bush ont économisé leurs visites dans la région.

Le résultat est que cela a permis au cœur du conflit de s'envenimer. S'il avait été résolu ou même si un effort sérieux avait été entrepris pour le résoudre, la crise actuelle aurait été inimaginable. Au lieu de cela, la grande idée de Bush a été que les peuples du Proche-Orient peuvent être bombardés vers la démocratie et terrorisés vers la modération. Cela a prouvé être l'une des grandes erreurs meurtrières de cette présidence abominable - et les peuples d'Israël et du Liban en payent le prix.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]