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"Aujourd'hui, les politiciens français sont discrédités pour leur
incompétence... sans parler de leur arrogance et de leur ambition !"

     Watergate sur Seine
ou
comment la France
est perçue par les Anglais
   
The Guardian, jeudi 11 mai 2006
article original : Watergate sur Seine
adaptation libre de Jean-François Goulon

Une mouche qui se serait promenée sur le mur à Downing Street pendant le dîner en tête-à-tête d'hier soir, entre Tony Blair et Dominique de Villepin, pourrait avoir quelques ragots intéressants à rapporter...

Les Premiers ministres britannique et français viennent tous deux d'affronter plusieurs semaines terribles. Leur cote de popularité s'est brutalement effondrée et l'hostilité de leurs collègues, dans leur propre parti, a atteint des sommets. Mais c'est M. de Villepin qui a les plus gros ennuis. Dans le système français, Jacques Chirac peut renvoyer Villepin et le remplacer par son rival haï, Nicolas Sarkozy, l'actuel ministre de l'intérieur, président de l'UMP au pouvoir et étoile montante de la droite.

Le Premier ministre français continue de dire qu'il ne démissionnera pas à cause des accusations d'inconvenance portées contre lui, dans un scandale complexe impliquant de prétendus comptes bancaires offshore et un espion en chef obscur qui a peut-être (ou peut-être pas) enquêté pour savoir si M. Sarkozy était impliqué dans des pots-de-vin. (Imaginez Tony Blair demandant secrètement au contre-espionnage britannique de s'intéresser de très près à son ministre des finances et rival, Gordon Brown, et vous commencerez à vous faire une idée !) M. Chirac nie aussi avoir commis tout méfait. L'Affaire Clearstream, rebaptisée de manière trompeuse "le Watergate français" (tous les sales tours dans cette affaire ont été commis contre des membres du même parti), reste très glauque. Ce qui saute aux yeux, c'est que le système politique français se retrouve dans un tel état que l'on peut craindre que le gouvernement ne devienne tétraplégique.

Avec son allant et son assurance d'énarque qui écrit des poèmes et des ouvrages d'Histoire et qui vénère Napoléon, M. de Villepin a une allure qui en impose. Alors ministre des affaires étrangères, son opposition à la guerre d'Irak lui valut pas mal d'admirateurs, tant en France qu'à l'étranger. Mais ses instincts politiques au niveau national sont pauvres. Peut-être parce qu'il ne s'est jamais présenté à des élections ? Devenu Premier ministre après le rejet humiliant, l'année dernière, de la constitution européenne, il a affronté des semaines d'émeutes sérieuses dans les banlieues et a atteint un plus bas avec les manifestations anti-CPE. Villepin a fait passer à la hussarde cette loi sur l'emploi des jeunes, introduisant une plus grande flexibilité dans le marché du travail, juste pour la retirer un peu plus tard sous un feu intense. M. Sarkozy, le "super-flic" en charge du maintien de l'ordre pendant les émeutes rituelles parisiennes, a joué plus fin : il a soutenu une réforme terriblement nécessaire mais pauvrement présentée, tout en disant clairement qu'elle devait être juste — et sous-entendant par-là que son propre Premier ministre ne le comprenait pas.

"Sarko" continue de se montrer digne de sa réputation d'homme le plus intéressant dans la politique française, même si certaines de ses politiques exigent que l'on y regarde de plus près. Sa proposition de loi sur l'immigration, par exemple, a été villipendée par les chefs de l'Eglise, les associations d'immigrés et par la gauche parce qu'elle rend plus difficile le regroupement familial, forçant les nouveaux immigrés à suivre des cours de français et d'instruction civique et mettant un terme au droit automatique à la résidence de longue durée après 10 ans de résidence ininterrompue dans le pays. Il affirme qu'il combattra le racisme, mais il a été récemment accusé de xénophobie après avoir dit qu'il en avait marre de devoir s'excuser d'être français et que ceux qui n'aimaient pas la France n'avaient qu'à la quitter.

Tout porte à croire que M. Sarkozy, en agissant ainsi, essaye d'empêcher les électeurs mécontents de l'UMP de se rallier au Front National. Mais le grabuge continuel qui secoue son parti ne lui permettra pas d'y arriver. De son côté, le parti socialiste fait monter les enchères. Alors qu'il était en miettes, il se reconstitue et commence à se prendre en main avec un candidat présidentiel crédible sous la forme de Ségolène Royal. Encore faut-il qu'elle ne se contente pas de faire du mannequina et qu'elle développe de nouvelles idées qui tiennent la route ! La France est en train de se faire la réputation, en partie méritée, d'être obsédée par son propre déclin mais incapable de faire grand chose pour y remédier. Aujourd'hui, les politiciens français sont discrédités pour incompétence (sans parler de leur arrogance et de leur ambition).

Les Premiers ministres des deux côtés de la Manche seraient sûrement d'accord sur le fait qu'une perception aussi sinistre doit être changée. En prenant la défense de son Premier ministre, il se peut que M. Chirac ait aidé cet homme assiégé à rester encore un peu à Matignon. Mais, sans trop s'avancer sur le dénouement à Paris, il n'est pas trop risqué de parier que Tony Blair restera en poste plus longtemps que celui qu'il a invité à dîner.