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Confessions d'un lécheur de bottes en série

Jesse Armstrong
mercredi 24 août 2005
The Guardian


Au fur et à mesure que des détails plus tristes les uns que l'autres se font jour au sujet de la mort de Jean-Charles de Menezes [le jeune brésilien tué dans la station de Stockwell], je me sens de plus en plus ridicule par rapport à ma réaction initiale, qui consistait à croire sans réserve la parole de la police. Mais cela ne devrait pas me surprendre : je suis naturellement un lécheur de bottes. J'ai juste tendance à croire les autorités. Il suffit qu'un homme apparaisse en uniforme et je le crois. C'est comme si j'étais doté d'une glande empathique démesurée, quoique réservée aux hommes en costume.

Je pense qu'il y a deux sortes de personnes dans le monde : il y a ceux qui, lorsqu'un fonctionnaire arrive et leur dit, "Excusez-moi, puis-je entrer dans votre propriété ?" lui répondent, "Mon cul ! Qu'est ce que vous me voulez ? Vous avez un mandat ? Qui êtes-vous ? C'est un coup monté ! Montrez-moi vos papiers ! Il s'agit de quelque conspiration de la CIA, n'est ce pas ?" ; et il y a les autres comme moi qui disent, "Bien sûr, je vous en prie, entrez ! Par où désirez-vous commencer vos recherches ? Mon Dieu ! J'ai fais quelque chose de mal, je suis vraiment désolé. S'agit-il de ce petit morceau de cannabis qui se trouve au fond du tiroir de ma commode ?"

Dans les deux cas, à ce stade le préposé à la redevance TV aura tendance à battre en retraite.

L'écrivain américain HL Mencken a déclaré que les journalistes devraient "réconforter ceux qui souffrent et accabler les riches" - mais vraiment, ne pouvons-nous pas laisser les riches pendant au moins une minute profiter de leurs comptes d'épargne non taxés, de leurs diamants provenant des zones de conflit et de leurs millions arrachés sans scrupules ? A cette époque où règnent le cynisme, l'incrédulité, le doute et la remise en question, qui se méfie du gros bonnet ?

Je sais quelle sorte d'individus est la plus noble : ceux qui mettent en doute, qui disent la vérité aux puissants, qui renvoient leurs décorations et qui refusent d'être surclassés dans les avions. Mais ne sont-ils pas un peu emmerdants ? Les gens qui ne peuvent pas entendre une histoire relative à un simple changement dans les taux d'intérêt sans penser qu'il s'agit d'une conspiration ? Les militants inconsidérés et ceux qui se plaignent ? C'est sûrement mieux d'être un quiétiste ou un béni-oui-oui inconsidéré. Il suffit de la boucler en permanence et de ne pas s'agiter dans tous les sens.

Avant la guerre d'Irak, je me souviens que je regardais Colin Powell aux Nations-Unies en train d'étaler toutes ces preuves concernant les ADM et je me disais, "Eh bien ! Il n'y a pas grand chose de probant dans tout ce qu'on nous montre, mais regarde un peu toutes ses médailles, regarde la détermination dans son regard d'acier. Je veux dire qu'ils n'allaient pas simplement fabriquer de toute pièce ces histoires de bombes nucléaires et d'armes chimiques. Ce serait scandaleux. S'ils faisaient cela, quelque chose de terrible se passerait. Les gens se révolteraient."

À présent, il s'avère que c'est ce qu'ils ont fait. Mais évidemment, en tant que lécheur de bottes compulsif, je crois qu'ils l'ont fait seulement parce qu'ils croyaient vraiment ce qu'ils racontaient.

Pour tous les adorateurs de l'autorité qui lisent cet article, je vous livre mon guide près à l'emploi pour justifier, dans ces temps difficiles, votre adhésion sans faille au point de vue officiel:

La tuerie de Stockwell

Le problème lorsqu'on est un défenseur bienveillant de la police, des forces armées, des services de sécurité et du gouvernement, c'est qu'on doit constamment vérifier sur leurs sites Internet pour être sûr qu'on ne défend pas des positions qu'ils ont récemment abandonnées. Cela faisait des jours que j'expliquais à quel point il est difficile pour les autorités de savoir quoi faire contre un homme sautant par-dessus les barrières du métro avec un blouson épais et ignorant les appels polis lui demandant de s'arrêter. Malheureusement, il semble maintenant que rien de tout cela n'était vrai.

Au fur et à mesure que la controverse se soulève autour des enregistrements des caméras de surveillance qui ont peut-être été rendus vierges à la compagnie du métro londonien, je concentrerais mes arguments sur le fait qu'il est très facile d'effacer accidentellement une cassette VHS - qui peut dire avec honnêteté que cela ne lui est pas arrivé au moins une fois ? Peut-être pas dans le cadre d'une enquête de police de première importance et d'intérêt international, mais pour enregistrer quelque chose que vous vouliez absolument voir, comme par exemple l'émission de télé-réalité The Apprentice.

L'Irak

Mon conseil de premier ordre en ce qui concerne l'Irak - si vous voulez être en phase avec le gouvernement, l'opposition et les Américains - est : essayez de ne pas en parler. Regarder le bout de vos chaussures ! Espérez que la conversation change de sujet, et ensuite, peut-être, disons dans 20 ans, il sera possible de revenir sur ce sujet et de dire, "Ah ! Souvenez-vous : et bien sur le long terme ça a en quelque sorte tourné pour le meilleur." Si ce n'est pas le cas, contentez-vous de la boucler !

Le Vietnam

Je vous ramène maintenant vers les plus grosses "plantades" du passé. Il est probablement meilleur de concéder que, tandis que cette guerre était une bonne idée en théorie, son exécution a quelque peu laissé à désirer. Mais vous pouvez aussi faire remarquer que l'Irak et le Vietnam ce n'est pas pareil. C'est fastoche : utilisez un atlas. Deux pays complètement différents. Pas pareil. Rien d'autre à ajouter.

L'assassinat de Kennedy

L'étoile qui brille au firmament de l'adorateur des autorités. Ce n'était qu'un tireur isolé. J'en suis pratiquement sûr. Essayez de ramener la conversation sur les fusillades de la police, l'Irak, les OGM et la guerre du Vietnam à l'assassinat de Kennedy.



Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon