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   Ce que Sharon avait en tête :
Manger la Palestine au p'tit-déj'
    Par Bradley Burston
Haaretz

mercredi 4 janvier (élections : J - 83)

De loin le meilleur portrait d'Ariel Sharon rendu par un artiste est aussi celui qui vous retourne le plus facilement l'estomac : le regard noir, le Premier ministre monstrueusement obèse est à genoux, nu, dans les ruines d'une Palestine dévastée par les bombes, dévorant un nourrisson en commençant par la tête.

La légende : Ben quoi !… Vous n'avez jamais vu auparavant de politicien embrasser des bébés ?

Ce dessin, la version de la campagne de réélection de Sharon en 2003 vue par le British Independent a quelque chose d'un peu archaïque.

Pourtant, alors que Sharon repart une nouvelle fois en campagne électorale, ses habitudes alimentaires restent en tête du menu des médias. La semaine dernière, le commentateur politique de premier plan, Ben Caspit, a détaillé le déjeuner de Shabbat du Premier ministre, la veille de son attaque :

"Sharon a mangé des kebabs, puis des steaks avec de la sauce chimichurri, des côtes d'agneau qui fondaient dans la bouche, quelques brochettes et aussi de la salade. Après il a mangé un gâteau au chocolat et puis, encore un autre gâteau".

Cette semaine, Caspit est revenu avec un scénario qui n'était rien d'autre qu'un plus gros repas pour Sharon : Manger la Palestine au p'tit déj' !

Sa prédiction soutient que la politique de Sharon pour son prochain mandat refaçonnerait la Cisjordanie au moyen de l'annexion de nombreuses implantations et de l'évacuation d'encore plus de colonies.

Voici l'ébauche qu'en a faite Caspit et son rédacteur en chef Amnon Denkner, en compagnie d'au moins un groupe de réflexion respecté. La prédiction d'un troisième et probablement dernier mandat de Sharon se présente ainsi :

· Les élections palestiniennes seront suivies d'une vague de terrorisme aussi intense que tout ce que nous avons déjà connu. Ensuite, Sharon abandonnera la feuille de route pour prendre une direction complètement nouvelle.

· Israël, faisant remarquer qu'il n'y a aucun partenaire palestinien pour faire la paix, entamera des pourparlers avec l'administration Bush, en tant que représentant intérimaire des Palestiniens, et négociera les frontières permanentes d'Israël.

· Israël achèvera le mur de séparation en Cisjordanie qui constituera la nouvelle frontière.

· Israël évacuera progressivement des milliers de colons des implantations extérieures aux principaux blocs de colonies auxquelles Bush a fait allusion dans le passé.

· Washington fournira une aide financière supplémentaire à grande échelle pour couvrir les coûts massifs engendrés par le déplacement des colons et pour établir la nouvelle frontière.

· Les Etats-Unis exprimeront une opposition globale au droit des Palestiniens de retourner dans des zones à l'intérieur d'Israël.

· Israël aura la souveraineté sur toute la Vieille Ville de Jérusalem, avec tous les faubourgs palestiniens de Jérusalem Est cédés à la souveraineté de l'Autorité Palestinienne.

"L'hypothèse est d'obtenir une fenêtre d'opportunité avant la fin de la présidence de Bush", a déclaré Denkner cette semaine.

"Etant donné que cette administration est celle qui soutient le plus Israël, qui s'intéresse le mieux à ses besoins attendus, cela vaut la peine de profiter de cette occasion.

"Comment faites-vous pour vendre cette idée aux Etats-Unis ? Vous leur dites — lors de discussions qui ont déjà eu lieu — que l'administration Bush peut réaliser un grand accomplissement, le premier gouvernement américain qui, avec Israël, délimite la frontière Est d'Israël, et par conséquent qui permet aussi l'établissement d'un Etat palestinien avec un territoire contigu en Cisjordanie". Denkner déclare que Bush remplirait ainsi sa "promesse quasi religieuse" en ce qui concerne l'objectif d'un Etat palestinien.

À quel point un tel scénario est-il possible ? Les opinions des spécialistes diffèrent. Mais il y a au moins quelques points de désaccords qui rendent toute cette idée difficile à réaliser.

· L'opération d'évacuation ferait ressembler le désengagement de Gaza à une promenade de santé.

Le correspondant diplomatique d'Haaretz, Aluf Benn, pense qu'au moins 60.000 colons devraient être déplacés, y compris les habitants jusqu'au-boutistes de la région de Naplouse.

· Washington pourrait exclure, ou refuser de reconnaître, toute annexion en Cisjordanie.

Les Etats-Unis pourraient rejeter catégoriquement la proposition israélienne d'annexer une bande de terre le long du Jourdain et de l'autoroute adjacente de la vallée de la Bekaa, puisque les Etats-Unis ont déclaré officiellement que cette terre fait partie d'un futur Etat palestinien.

· Sharon pourrait bien s'avérer incapable de vendre au gouvernement américain le concept d'une souveraineté israélienne sur la Vieille Ville. En même temps, il pourrait être incapable de vendre à ses électeurs toute concession que ce soit sur Jérusalem.

Tout ceci, bien sûr, suppose que Sharon sorte de son état et retrouve la santé, qu'il se sorte de son affaire de pots de vin sans avoir à subir un procès, et que la vague de terrorisme, si elle a lieu, ne fasse pas en sorte que le rêve d'un troisième mandat disparaisse en appuyant sur le bouton qui déclencherait les bombardements.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon