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     Pris en otage par les émotions
    Par Akiva Eldar, correspondant de Haaretz
Haaretz
, mercredi 28 juin 2006

Début juin de l'année dernière, peu avant l'évacuation de Gaza, un dirigeant israélien s'est présenté devant un auditoire juif à New York et a prononcé les mots courageux suivants: "Nous sommes las de nous battre, nous sommes las d'être courageux, nous sommes las de gagner, nous sommes las de vaincre nos ennemis. Nous voulons pouvoir vivre dans un environnement de relations avec nos ennemis complètement différent. Nous voulons qu'ils soient nos amis, nos partenaires, nos bons voisins". Il termina sa plaidoirie émotionnelle avec ces mots : "Ce n'est pas impossible. Cela est à notre portée si nous sommes habiles, si nous osons, si nous sommes prêts à prendre le risque et si nous sommes capables de convaincre nos partenaires palestiniens d'être capables de faire pareil. C'est ainsi qu'ensemble nous avancerons dans cette direction consistant à construire des relations différentes, une meilleure compréhension et une plus grande confiance entre nous et eux". Cet orateur était Ehud Olmert, alors Premier ministre-adjoint.

Un an plus tard, cette fois à Jérusalem, sans la mention 'adjoint' derrière son titre, Olmert s'est tourné vers un auditoire juif lors de la convention de l'Agence Juive et a dit : "Je considère l'Autorité Palestinienne, conduite par [Mahmoud] Abbas et le gouvernement de l'AP, comme responsable de l'acte de terrorisme qui a eu lieu hier". Il a ajouté : "Tous ceux qui représentent l'AP sont responsables de ce qu'elle fait et nous n'accorderons l'immunité à personne". Et lors de la réunion de sécurité à son cabinet, lundi soir, il a déclaré : "Le monde en a marre des Palestiniens. Jusqu'à présent nous avons retenu notre réponse. Plus jamais". La lassitude de la guerre était passée comme si elle n'avait jamais existé, la sagesse a cédé sa place à l'héroïsme et le langage de la menace a remplacé l'appel au partenariat.

Est-il possible qu'un homme d'Etat sage change sa doctrine à cause d'une bande de lanceurs de roquettes ? Est-il concevable qu'un dirigeant mette de côté sa sagacité à cause d'un échec militaire qui a coûté les précieuses vies de deux soldats et la capture de leur pote ? N'avons-nous pas encore appris que dans nos relations avec nos voisins, la force est le problème, pas la solution ? Ariel Sharon s'est servi de la tentative d'assassinat par le groupe Abou Nidal contre l'Ambassadeur Shlomo Argov à Londres, en juin 1982, pour pourchasser Yasser Arafat et plonger Israël dans le bourbier libanais. L'attaque terroriste de Netanya en mars 2002 a fourni à Sharon un prétexte pour conquérir les territoires et éliminer l'AP sous la direction d'Arafat.

Les appels à la vengeance ont mis de côté les appels à la réconciliation de la part de l'Arabie Saoudite. Les combats de l'Opération 'Bouclier Défensif' qui lui ont fait écho ont triomphé de la déclaration de paix émise par la Ligue Arabe à Beyrouth. Et aujourd'hui, la rage et l'humiliation ne laissent aucune chance à la première initiative de réconciliation faite par des militants clés du Fatah et du Hamas emprisonnés en Israël. Ce n'est pas un accident si le groupe qui a planifié et conduit les attaques de Rafah a donné à son opération le nom de code "Illusions Brisées". Ces "illusions" se référaient au Document des Prisonniers, que le Premier ministre de l'Autorité Palestinienne, Ismail Haniyeh, et son Président, Mahmoud Abbas, s'apprêtaient à signer.

Ce document, qui se base sur la cessation de toute violence à l'intérieur des frontières de l'Etat d'Israël, aurait pu sauver les vies de citoyens israéliens. L'objectif de ceux qui ont capturé le soldat [israélien] était de prendre en otage le cessez-le-feu et la chance d'une reprise du dialogue entre Israël et une coalition palestinienne pragmatique. Si Olmert jouissait vraiment du courage de ses mots qu'il a eus à New York, il aurait offert d'échanger Shalit [le soldat kidnappé] contre les signataires du Document des Prisonniers, Marwan Barghouti du Fatah et Abdul Khaled Natsche du Hamas. Leur libération aurait été le coup décisif porté contre Khaled Meshal, qui est prêt à se battre contre les enfants juifs jusqu'à la dernière goutte de sang des enfants palestiniens. Il n'y aurait pu avoir de signal plus clair de l'intention israélienne d'effectuer un véritable changement dans les relations avec les nombreux Palestiniens qui sont aussi las des combats.

Si le Premier ministre n'a pas la force d'utiliser cette occasion qui se présente à lui de libérer ces deux hommes et de renforcer leur camp, il pourrait au moins utiliser ce document comme levier pour progresser dans le processus de paix en acceptant le cessez-le-feu bilatéral qu'il propose. La crainte d'une invasion israélienne de Gaza renforce les liens entre Haniyeh et Abbas et augmente la probabilité que le feu s'éteindra vraiment. Mais rien de tout cela ne peut se produire tant que des passages de tempêtes émotionnelles prennent en otage le jugement de nos dirigeants et qu'ils se comportent comme si c'était eux-mêmes qui avaient été kidnappés.

Traduit par [JFG-QuestionsCritiques]