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     Ils voulaient seulement rentrer ensemble chez eux
    D'après Amira Hass
Haaretz
, mercredi 22 février 2006

R. et M. étaient tous deux à Ramallah. Elle y était pour une réunion de travail ; lui, parce qu'il y travaille. Palestiniens, mariés depuis 10 ans, ils habitent à Jérusalem-Est. Ils voulaient seulement rentrer ensemble chez eux.

Ils se dirigent vers le checkpoint de Hizma (village palestinien à l'est de la colonie Pisgat Ze'ev) où se trouve un poste permanent de l'IDF [Israeli Defense Force - Force de Défense Israélienne] qui contrôle tous les voyageurs qui se se dirigent vers Jérusalem.

"Vous ne pouvez pas passer par là", dirent les soldats à la femme. "Seul, votre mari y est autorisé. Passez par le checkpoint de Qalandiyah!"

M. est né à Jérusalem-Est et il a le statut de résident israélien. R., sa femme, a une carte d'identité des 'territoires' et un permis lui permettant de séjourner à Jérusalem, chez elle, avec ses enfants et son époux. Mais toujours par le statut de résidente israélienne.

Pourtant, dès leur mariage, ils ont fait la demande pour un "regroupement familial" auprès du ministère de l'Intérieur israélien . Et malgré les promesses, (y compris des promesses écrites), elle attend toujours le fameux document de résidence. Alors, il a bien fallu qu'ils s'habituent aux complications kafkaïennes. Mais cette nouvelle interdiction, les empêchant de rentrer ensemble chez eux, les a vraiment choqués.

Sur le coup, ils ont pensé avoir affaire à un caprice de soldat. Mais un article, que nous avons publié dans Haaretz vendredi dernier, leur a bien fait comprendre qu'il s'agissait d'un ordre de l'armée, signé par le général de division Yair Naveh, commandant les forces israéliennes dans la région de Judée et Samarie.

Cet ordre interdit aux Palestiniens d'entrer en Israël autrement que par les 11 passages spéciaux qui leur ont été alloués — et ils ne peuvent les traverser qu'à pied (de toute façon, les Palestiniens ne sont pas autorisés à conduire à l'intérieur d'Israël). Cet ordre interdit aussi aux Israéliens d'emmener des Palestiniens en Israël par les passages destinés exclusivement aux Israéliens.

À l'échangeur de Hizma — réservé aux Israéliens — les services de balisage du Ministère de la Défense n'ont pas encore accroché les panneaux qu'ils ont accrochés sur la route qui mène de la colonie de Ma'aleh Adumim à Jérusalem. Ces panneaux sont accrochés le long de la route et au barrage militaire. Il y est écrit en hébreux et en arabe : "Passage réservé aux Israéliens. Le transport et/ou le déplacement des personnes qui ne sont pas israéliennes est interdit par ce passage".

Les panneaux jaunes, quant à eux, expliquent qui est israélien. On en trouve la définition dans l'ordre émis par le général Naveh et elle correspond, d'ailleurs, à la définition standard utilisée dans les ordres militaires décrétant les 'zones militaires fermées' aux Palestiniens, où seuls les Israéliens peuvent pénétrer.

'Un Israélien' (c'est écrit sur l'ordre et le panneau) est un résident d'Israël, quelqu'un dont la résidence est dans la région [signifiant les territoires occupés - A.H.] et qui est citoyen israélien [un colon - A.H.] ou quelqu'un remplissant les conditions pour devenir un immigrant selon la Loi au Retour de 1950, ainsi qu'une personne qui ne réside pas dans la région mais qui détient un permis valide pour entrer en Israël [un touriste - A.H.].

Une source militaire a confirmé au journal Haaretz qu'une décision a été prise pour permettre aux Palestiniens qui travaillent pour des organisations internationales de voyager avec des collègues étrangers, à travers deux passages destinés aux seuls Israéliens, "au lieu de les obliger à passer par le bout du monde", aux passages destinés aux seuls Palestiniens. Si notre source militaire admet que le problème avec ces passages séparés est qu'ils sont isolés et éloignés, elle omet de mentionner la perte de temps impliquée pour atteindre ces passages, les tourniquets soudainement verrouillés, la foule humiliante ou les équipements technologiques aliénants.

En fait, un grand nombre de ces "passages" légitiment l'expropriation supplémentaire de terres palestiniennes et leur annexion par Israël. Et ce problème constitue un nouvel élément sur lequel se base la politique de 'développement séparé' entre les Juifs et les non-Juifs. L'arrière-pensée qui se cache derrière les considérations de sécurité est de préserver aux dépends des Palestiniens les privilèges hégémoniques des Juifs dans les territoires qu'ils ont conquis.

Cette politique de 'développement séparé' entre les deux groupes démographiques de la même région territoriale — la Cisjordanie occupée où l'armée israélienne est souveraine — a commencé avec la première implantation. Cela s'est poursuivi et renforcé au fur et à mesure que les colonies ont proliféré et qu'elles se sont développées en poches territoriales démographiques séparées, où la loi israélienne, qui ne s'applique pas aux habitants d'origine de la zone, est en vigueur.

Les résidents de ces poches territoriales bénéficient de droits additionnels, qui sont déniés à leurs voisins natifs et aux citoyens non-Juifs d'Israël. Parmi ceux-ci on trouve le droit de choisir où l'on veut vivre, d'un côté ou de l'autre de la Ligne Verte. Les frontières territoriales ont été établies de façon à limiter à priori le 'développement séparé' des Palestiniens natifs, des limites bureaucratiques ont été fixées et elles sont protégées par l'armée israélienne.

L'espace alloué aux Palestiniens se rétrécit progressivement. Les quotas d'eau y ont réduits en comparaison avec ce qui est disponible pour les Juifs, la liberté de mouvement y est limitée et le développement économique y est entravé et contrôlé.

Avec le temps et l'adaptation internationale et l'augmentation du nombre d'Israéliens qui bénéficient de ce système, les implantations ont été transformées de 'poches territoriales israéliennes' en contiguïté territoriale juive, dans laquelle se trouvent des 'poches peuplées' de Palestiniens; poches pauvres, privées de leurs droits, surpeuplées et inférieures.

La comparaison entre Hizma et Anata — cernées et suffocant derrière un horrible mur de ciment — et la colonie Pisgat Ze'ev, qui fleurit sur leurs terres, prouve que la politique de 'développement séparé' a débuté bien avant les attaques suicides et la montée du Hamas.

Traduit et adapté de l'anglais par Jean-François Goulon