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Le gouvernement de voleurs leur manque

Par Amira Hass

Haaretz, le 27 septembre 2006
article original : "Missing the government of thieves"

Le Fatah et le Hamas oublient que leur boulot est de mettre fin à l'occupation


Les slogans qui sont scandés lors des manifs sonnent mieux lorsqu'ils riment. "Pas Ismail, pas Haniyeh, nous voulons retrouver haramiyeh !" Haramiyeh signifie voleurs. Et ceux qui manifestent à Ramallah — les fonctionnaires de l'Autorité Palestinienne qui n'ont pas reçu leurs salaires depuis sept mois — scandaient ce que l'on peut entendre dans les rues de Cisjordanie ou de la Bande de Gaza, à savoir : Le Hamas est peut-être propre, mais les voleurs du Fatah lui sont préférables. Après tout, le raisonnement est simple : lorsque le Fatah était au pouvoir, nos salaires étaient assurés.

La grève continuelle dans les bureaux de l'AP [Autorité Palestinienne], les rassemblements des employés et les exigences d'un gouvernement d'union sont tous des appels au gouvernement dirigé par le Hamas pour qu'il reconnaisse le solde négatif de sa brève administration. Voici comment se justifient ces reproches : Un gouvernement est censé s'assurer que les fonctionnaires touchent leurs salaires, ce qui fait partie de ses obligations consistant à protéger le bien-être de la population. Un gouvernement — même comme celui-ci, qui ne dispose pas de tous les pouvoirs en tant que gouvernement palestinien sous occupation israélienne — est censé évaluer sa plate-forme politique et idéologique à la lumière de sa capacité à remplir ses obligations civiles et économiques. Mais, sous le Hamas, la colonne vertébrale de la société s'est effondrée lorsque le gagne-pain des fonctionnaires — aussi basique et modeste qu'il était — n'était plus assuré, comme il l'avait été pendant 12 années d'instabilité chronique.

Les gouvernements [successifs] du Fatah ont légué au Hamas une dépendance des fonds des pays donateurs, que ceux-ci servent au développement ou à couvrir le budget annuel (englobant les fonds qu'Israël pille aux Palestiniens, au vu et au su de tous, sous la forme des taxes prélevées sur les transactions palestiniennes, sans les transférer au Trésor palestinien). Mais les donations globales qui ont été attribuées à l'AP ne l'ont pas été sans contrepartie. Celle-ci : un processus de négociations politiques, aussi branlant soit-il, incluant la reconnaissance par l'OLP de l'Etat d'Israël occupant et la reconnaissance par l'Etat d'Israël de l'OLP comme représentant le peuple palestinien.

Cette année, les Etats donateurs ont décidé qu'ils ne laisseraient pas le mouvement du Hamas avoir le beurre et l'argent du beurre. C'est à dire : s'abstenir de reconnaître les accords qui ont permis officiellement d'établir un "gouvernement", tout en recevant les donations fixées. Ce qui est logique. [De son côté], le mouvement du Fatah, qui a beaucoup de mal à digérer son éviction du pouvoir, compte sur cette logique (de la position internationale) et agit en ce sens pour renverser le gouvernement élu. C'est le Fatah qui est derrière les grévistes. (À l'époque d'Arafat, ceux qui menaient les luttes pour des salaires justes étaient persécutés par les services de sécurité et mis en prison).

Mais, alors que le Fatah exige du gouvernement du Hamas qu'il reconnaisse le solde négatif de son bref passage au pouvoir, lorsqu'il s'agit de la question extrêmement importante de la lutte pour l'indépendance et la libération de l'occupation israélienne, le mouvement du Fatah et ses dirigeants — à commencer par le Président de l'AP, Mahmoud Abbas — refusent de tirer les conclusions personnelles et politiques appropriées du solde négatif de la longue période où ils ont été au pouvoir. La plupart des Palestiniens soutenaient le processus d'Oslo sur la base de ses promesses. Mais la logique de "la libération graduelle de l'occupation", sur laquelle se basaient les Accords d'Oslo, a complètement échoué.

Avant les Accords d'Oslo, la Cisjordanie et la Bande de Gaza étaient des territoires occupés. Avant les Accords d'Oslo, la plupart des Israéliens considéraient comme établi qu'il n'y avait "aucune paix possible avec les implantations", ainsi que le slogan le formulait. En vertu des Accords d'Oslo, 60 % du territoire (y compris les implantations) classé en Zone C (signifiant : sous contrôle israélien, civil et en matière de sécurité) est devenu pour l'essentiel un territoire disputé — le reste du monde permettant à Israël d'utiliser sa suprématie militaire, économique et diplomatique pour en annexer des portions significatives dans le cadre d'un accord sur un statut final.

Dans cette période, les frontières des enclaves palestiniennes (Zone A et Zone B) étaient établies, créant des îlots isolés qui étaient les seules zones où Israël permettait à l'AP de se développer. Durant la période d'Oslo, il fut prouvé aux Israéliens que "la paix est possible même avec les implantations". Tandis que la direction palestinienne élue négociait avec le gouvernement israélien et était incapable d'empêcher ne serait-que la construction d'une seule maison de colon, les colonies se sont étendues et développées sans fin.

Avant que cette décennie de négociations ne commence — de la Conférence de Madrid en 1991 au processus d'Oslo — Israël respectait le droit des Palestiniens à circuler librement. Le régime de limitation de la liberté de mouvement, qui a commencé en 1991, ne s'est intensifié qu'après 1994. On se souviendra du gouvernement du Fatah comme de celui qui a collaboré aux atteintes rigoureuse et étendue au droit fondamental de la liberté de mouvement. La direction palestinienne et les dirigeants de l'OLP ont accepté un système dans lequel, avec leurs associés politiques, personnels et en affaires, ils se virent accorder une liberté de circuler dont ne disposait pas le reste de la population. Ils doivent leur situation financière personnelle, leur confort relatif et leur sensation de "liberté" à un privilège que le régime israélien d'occupation leur accordait. Sous ces circonstances, ils ne pouvaient pas mener de lutte politique contre la méthode israélienne, sévère et hautement destructrice, consistant à contrôler le temps et de la liberté de circuler des Palestiniens.

Toutefois, le solde négatif d'un mouvement n'annule pas celui de son concurrent. Visiblement, ces deux mouvements sont à présent en compétition l'un contre l'autre pour le pouvoir et ils oublient que leur boulot est d'abréger les jours de la domination étrangère — israélienne — sur leur peuple.

Traduit par [JFG-QuestionsCritiques]