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Abou Tir ou Abou Tur

Par Gideon Levy
Haaretz, dimanche 28 mai 2006
titre original: "Abu Tir or Abu Tur"

Israël ne reste pas silencieux face aux attaques terroristes : après consultation des ministres dans le bureau du Premier-ministre, la réponse à l'attaque de Tel Aviv qui a été décidée est de "déchoir de leur résidence" trois membres Hamas du parlement palestinien qui habitent Jérusalem-Est. En langage simple, cela s'appelle une expulsion. Le procureur général, Menachem Mazuz, a été prompt à certifier que cette abomination était "casher". Dans cette affaire, il n'a pas eu besoin de temps pour prendre sa décision. Pourtant, cela constitue une punition collective ! Seulement, "les dirigeants du Hamas n'ont pas dénoncé cette attaque" et "certains l'ont même justifiée".

Il ne s'agit pas seulement de l'expulsion de personnes innocentes. C'est aussi la liberté de parole qui a est en cause et cela n'a pas l'air d'intéresser grand monde. Au lieu de recevoir le soutien des députés juifs qui défendent la cause des droits de l'homme, les députés arabes de la Knesset qui ont rencontré les trois candidats à l'expulsion ont été vivement condamnés. Pourtant, c'est l'essence même de la liberté de parole qui est en jeu. Et celle-ci se mesure lorsque des mots écœurants sont prononcés (cela s'applique aussi aux officiels palestiniens élus).

Les pauvres policiers de Jérusalem ne savent plus quoi faire : un jour on leur dit d'empêcher les officiels palestiniens élus qui vivent dans la ville de voyager dans les territoires et le lendemain on leur dit de les expulser de la ville vers les territoires. Voici à quoi ressemble la politique cohérente israélienne !

La réponse israélienne ridicule consistant à "déchoir de résidence" ces trois députés palestiniens a été concoctée par la ministre "modérée" et "éclairée" des affaires étrangères, Tzipi Livni. C'est une insulte à l'intelligence de ces Israéliens qui souhaitent justement voir leur gouvernement "faire quelque chose" contre le terrorisme. Et cela soulève une question bien plus profonde : que voulons-nous exactement pour Jérusalem ? Voulons-nous annexer ses secteurs occupés et en payer le prix fort — tant sur le plan politique que sur le plan démographique — ou avons-nous prévu de donner aux Palestiniens ce qui appartient aux Palestiniens et aux Juifs ce qui appartient aux Juifs ?

Soit Jérusalem et ses sections occupées deviendront inséparables de l'Etat d'Israël et tous les habitants (y compris ceux qui ont voté pour le Hamas lors des élections démocratiques de l'Autorité Palestinienne) bénéficieront de tous les droits accordés à tous. Soit Israël se séparera de la partie occupée de la ville et la transfèrera aux Palestiniens. Vous ne voulez pas du Hamas à Jérusalem ? Alors, SVP, faite la séparation ! Même à Jérusalem, vous ne pouvez avoir le beurre et l'argent du beurre.

Ceci est encore plus vrai parce que depuis quelques temps c'est un combat d'arrière-garde. L'avenir de Jérusalem a déjà été décidé et quiconque a un tant soit peu de jugeote peut voir que la ville sera vraiment divisée, malgré les efforts d'annexion par Israël qui ont atteint un pic lorsque Ehud Olmert en était le maire. Chaque organisation nationaliste extrémiste, chaque ONG délirante et toutes les yeshivas excentriques, qui aspirent à envahir plus et plus de maisons arabes dans la capitale, reçurent le soutient d'Olmert. Et pourtant, la ville est restée clairement binationale.

Même les 1.000 officiers de la Police de Jérusalem, en service sur le terrain de foot de Zur Baher pour empêcher le Hamas d'organiser des rassemblements électoraux, n'ont pas convaincu les résidents qui le soutiennent et qui ont voté pour cette organisation de cesser de le soutenir. Tout comme les convocations régulières au commissariat du député palestinien représentant Jérusalem, Mahmoud Abou Tir, soupçonné de violation d'un ordre interdisant les rassemblements électoraux à Zur Baher, ne feront qu'accroître l'influence de cet homme à la barbe rousse, lequel était, jusqu'à récemment, inconnu de la plupart des Palestiniens. Tout comme la fermeture grandiloquente de la Maison de l'Orient sous l'administration d'Ehud Olmert n'a pas réduit le soutien au Fatah exprimé par la plupart des habitants.

Et qu'avons-nous obtenu après la fermeture de la Maison de l'Orient ? Le terrain de foot du Hamas. À présent, nous ne pouvons que nous souvenir avec nostalgie de la Maison de l'Orient — pas seulement à cause de son architecture stylée, mais surtout parce que derrière ses murs a été menée une véritable discussion pour négocier avec Israël et tenter de réaliser la paix. Sur le terrain de foot de Zur Baher, d'autres voix, beaucoup plus extrêmes, auraient pu se faire entendre si le rassemblement avait eu lieu. Et peut-être que ces voix extrémistes ne se seraient pas élevées si la Maison de l'Orient n'avait pas été fermée.

250.000 Palestiniens vivent à Jérusalem, soit environ un-tiers de tous les habitants de la ville. L'aspiration israélienne à s'accrocher au territoire occupé, mais sans ses habitants, n'est pas réaliste. L'aspiration à perpétuer un régime d'apartheid dans la ville est aussi hors de question. Les premiers qui auraient dû appeler à la division de la ville sont ceux qui aspirent à une "majorité juive" et sèment la crainte du "danger démographique".

En un claquement de doigt, Israël aurait pu se "débarrasser" de 250.000 Palestiniens, dont le pourcentage dans la population de la ville ne fera que croître. Mais Israël a choisi de poursuivre l'annexion de Jérusalem-Est et ceci a un prix. […]. Une Jérusalem unifiée est une Jérusalem dont Abou Tir est le représentant authentique des habitants et le Hamas se rassemblera sur l'un des terrains de foot. Ehud Olmert doit enfin donner une réponse sincère : Abou Tir ou Abou Tur. [NdT : a-Tur est un quartier palestinien de Jérusalem-Est].

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]