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Arrêtez cette guerre immédiatement !

Par Gideon Levy,
correspondant de Haaretz, dimanche 23 juillet 2006

Cette guerre doit être stoppée maintenant, sur-le-champ. Depuis le depuis le début cette guerre est inutile. Même si son prétexte trouvait une justification, il est temps, maintenant, d'y mettre fin. Chaque jour en fait monter sans aucune raison le prix : celui du sang qui n'apporte rien en retour de tangible à Israël. C'est un bon moment pour arrêter cette guerre, parce que les deux côtés peuvent prétendre qu'ils ont gagné : Israël a mis à mal le Hezbollah et le Hezbollah a fait du mal à Israël. L'Histoire montre qu'il n'y a pas de meilleure situation pour atteindre un accord. Souvenez-vous des leçons de la Guerre du Kippour !

Israël est entré dans cette campagne militaire sur des raisons justifiées mais avec des moyens répugnants. En pratique, Israël prétend avoir déclaré la guerre au Hezbollah, mais c'est le Liban qu'il détruit. Israël a obtenu presque tout ce qu'il pouvait de cette guerre. La "série de cibles" aériennes a été en grande partie traitée. La force aérienne pourrait continuer de semer la destruction dans les zones résidentielles et les bureaux vides et pourrait aussi continuer de larguer des douzaines de tonnes de bombes sur des bunkers réels ou imaginaires et tuer des Libanais innocents, mais rien de bon n'en sortira.

Ceux qui veulent restaurer les capacités de dissuasion d'Israël ont réussi. Le Hezbollah et le reste de ses ennemis savent qu'Israël réagit avec une force énorme à toute provocation. Le sud-Liban est à présent relativement nettoyé de la présence du Hezbollah. Dans tous les cas, cette organisation y retournera probablement, comme il y a toutes les chances qu'elle se réarme. Un accord international pourrait être atteint maintenant et il ne sera pas possible d'obtenir dans le futur un meilleur accord à un prix raisonnable.

Les autres objectifs d'Israël - le retour des soldats capturés et l'élimination d'Hassan Nasrallah - seront de toute façon plus difficiles à remplir, même si la guerre se poursuit pendant des semaines et des mois. Les FDI demandent désormais "deux semaines supplémentaires" et dans deux semaines elles demanderont "deux autres semaines". Il n'y a pas de perspective pour une victoire décisive.

D'un autre côté, le prix [de cette guerre] monte en flèche. Chaque jour voit s'accroître la critique internationale vis-à-vis d'Israël et la haine à son encontre. Ceci est aussi un élément de "sécurité nationale" [à prendre en compte]. Au contraire de ceux en Israël qui se dressent en chœur pour faire une présentation mensongère, comme si le monde acclamait Israël, les images de Beyrouth causent des dommages énormes, et à juste titre, à Israël. Non seulement les rues du monde arabe sont de plus en plus semées par la haine, mais c'est vrai aussi en Occident. Non seulement les centaines de milliers de Libanais, mais aussi les dizaines de milliers d'étrangers, qui s'enfuient du Liban contribuent à la décrire Israël comme un Etat violent, fruste et destructeur.

Le fait que George Bush et Tony Blair acclament Israël pourrait être une consolation pour Ehoud Olmert et les médias israéliens, mais ce n'est pas suffisant pour persuader les millions de téléspectateurs qui voient les images de destruction et de dévastation, dont la plupart ne sont pas montrées aux israéliens. Le monde voit que des quartiers entiers ont été détruits, des centaines de milliers de réfugiés fuyant dans la panique, sans abris, et que des centaines de civils - dont de nombreux enfants qui n'ont rien à voir avec le Hezbollah - ont été tués ou blessés.

Par conséquent, la poursuite de cette guerre n'est ni morale, ni d'intérêt. Le coup économique que cette guerre a causé à Israël restera même limité, si la guerre s'arrête maintenant. Tout un été de mort entraînera à un prix économique bien plus élevé.

L'arrière-garde israélienne, qui a affiché jusqu'à présent une résistance impressionnante, ne restera pas indifférente dans les abris pendant beaucoup plus de temps. Lentement, des brèches s'ouvriront et les citoyens commenceront à demander pourquoi nous mourons et pourquoi nous tuons. C'est juste ainsi que sont les guerres. D'abord, personne ne pose de questions, mais plus les gens sont embrouillés, plus difficiles deviennent leurs questions.

Nous sommes allés là-bas auparavant - plus d'une fois. Les guerres commencent par une large approbation nationale et finissent dans une grande crise. Ceux qui tirent aujourd'hui fierté de ce consensus devraient savoir que rien ne dure éternellement. Cette deviendra un imbroglio. Lorsqu'il apparaîtra que la force aérienne ne suffit pas, l'invasion terrestre qui a déjà commencé d'intensifiera. Le cliché sur le bourbier libanais se rétablira et lorsque les soldats seront tués, comme cela se produit déjà quotidiennement, dans la chasse de maison en maison, les protestations s'élèveront et diviseront la société.

À présent, Israël espère éliminer Nasrallah. C'est une pulsion atavique, même si on peut la comprendre, qui cherche à obtenir la tête de l'ennemi afin de prouver notre victoire sur lui. Il n'y a ni sagesse, ni aspect pratique là dedans. Une fois encore, cela vaut la peine de nous souvenir des douzaines de personnes qu'Israël a assassinées au Liban et dans les Territoires, du Cheikh Abbas Moussaoui au Cheikh Ahmed Yacine, chacun remplacé par une nouvelle personne, en général plus talentueuse et plus dangereuse que le prédécesseur. Les objectifs de cette guerre ne devraient pas être dictés par des impulsions sombres, même si elles viennent en réponse aux souhaits et aux exigences de la populace. Le seul avantage dont Israël bénéficierait Israël avec l'élimination de Nasrallah serait que, peut-être, cela amènerait la fin du conflit. Mais il peut y être mis fin sans cela. L'autre objectif désiré, le retour des prisonniers, ne pourra de toute manière se faire qu'au travers de négociations sur la libération des prisonniers. Israël aurait pu faire cela avant cette guerre.

Il est trop tôt pour évaluer la part de réussite et celle de l'échec de cette guerre. Le jour viendra où il deviendra clair que c'était sans but, comme le sont toutes les guerres délibérées. Y mettre fin maintenant garantit une réussite limitée à un prix limité. La continuer garantit un prix élevé sans l'assurance d'une satisfaction appropriée. Par conséquent, Israël doit cesser le feu et s'arrêter. Le président des Etats-Unis peut nous pousser à poursuivre la guerre autant qu'il veut, le Premier ministre britannique peut nous acclamer au parlement, mais en Israël et au Liban, le sang est versé, l'horreur d'intensifie, le prix monte et tout ça pour rien.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]