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Israël ne veut pas la paix avec la Syrie, point final !

Opération "Paix pour l'entreprise vinicole"

Par Gideon Levy
Haaretz, dimanche 1er octobre 2006
article original : "Operation Peace for the Winery"

Comment appelez-vous un rejet de la paix qui risque de conduire à la guerre? Quel est le qualificatif pour un Etat qui ne veut même pas s'asseoir à la table des négociations avec un chef d'Etat qui a émis publiquement une proposition de paix explicite ? Le seul côté positif du refus israélien de prendre en considération les propositions du président syrien est qu'il révèle la triste vérité : Israël ne veut pas de la paix avec la Syrie - point final. Aucune astuce de langage et aucune contorsion diplomatique ne peuvent changer ce fait sans équivoque. Nous ne serons plus jamais capables de déclarer que nous recherchons la paix avec nos voisins : nous ne nous tournons pas vers eux pour la paix. Au Proche-Orient, un nouvel axe du refus s'est formé : Israël et les Etats-Unis, qui disent " non " à la Syrie. L'Iran n'est pas seul à mettre en danger la paix de la région, il y a aussi Israël. Ce serait mieux que nous l'admettions.

Le bon sens n'aide pas à comprendre et le cœur refuse d'accepter comment cela a pu arriver qu'un Etat arabe important ait offert de forger un accord de paix avec nous et que nous l'ayons repoussé avec arrogance. "Ce n'est pas le bon moment", ont dit les hommes d'Etat à Jérusalem. Avec la Syrie, ce n'est pas le bon moment. Avec les Palestiniens, ce n'est pas le bon partenaire. Et quand est-ce que ce sera le bon moment ? Seulement après la prochaine guerre ? Ce type de refus, qui risque de conduire à un nouveau cycle de bain de sang, est un crime.

Derrière le tout dernier refus israélien se cache la lâcheté et derrière cette lâcheté se trouve le Premier ministre. Ehoud Olmert sait très bien qu'Israël finira par se retirer du Plateau du Golan, mais il manque de courage pour en prendre l'initiative. À l'instar de son prédécesseur, Ehoud Barak, qui était sur le point de conclure un accord avec la Syrie, Olmert est dépourvu de la qualité la plus importante dont a besoin un dirigeant israélien - le courage.

Surtout après le fiasco de la guerre au Liban et une popularité qui a atteint un plus bas irrécupérable, on aurait pu s'attendre d'Olmert qu'il essaye de prendre une initiative audacieuse - d'un genre relativement facile comparé à la paix avec les Palestiniens. Mais Olmert a les P-É-T-O-C-H-E-S. Il a peut-être peur des protestataires israéliens qui sont postés devant sa maison ou peur de l'Amérique qu'elle pointe son nez. Ce ne sont pas des raisons suffisantes pour s'abstenir de mettre Assad à l'épreuve.

Or, qu'avons nous avons à perdre ? Supposons qu'Assad ne soit pas prêt à respecter sa parole. Supposons qu'il ne soit pas capable de signer un accord avec Israël. Pourquoi ne pas le mettre à l'épreuve ? Qu'est-ce qu'Israël aurait à perdre si Olmert relevait le gant syrien et disait à Assad : Rencontrons-nous ! À la place, Jdanov-Olmert[1] interdit à ses ministres de s'exprimer favorablement pour des négociations et il menace même de les expulser du gouvernement. Olmert est plus lâche que Barak : Il n'est même pas prêt à se rendre à la table des négociations. Par conséquent, l'Histoire se souviendra de lui comme de celui qui a torpillé un possible accord de paix qui aurait changé la face du Proche-Orient. Cet échec est encore plus sévère que celui de s'être embarqué dans la guerre futile au Liban. Lorsque la prochaine guerre avec la Syrie se déclenchera - une guerre qui sera incommensurablement plus difficile que celle du Liban - nous nous souviendrons très bien de son responsable. Il n'y aura besoin d'aucune commission d'enquête.

Le Plateau du Golan est désert. Peut-être que "Le peuple est avec le Golan", mais le peuple a cessé depuis longtemps de se rendre sur le Plateau du Golan. Pendant Rosh Hashanah, les randonneurs sont restés à l'écart de ce coin de terre magnifique. Quiconque s'y est rendu a vu des routes sans présence humaine, des champs éternellement pierreux et quelques colonies dont le sort a été décidé il y a longtemps. Alors pourquoi devrions-nous garder le Plateau du Golan au prix d'une guerre ? Est-ce concevable qu'à cause de la concupiscence territoriale nous provoquions une nouvelle guerre, la guerre de la "Paix pour l'entreprise vinicole" ? Un domaine vinicole et une usine d'eau minérale prospères sont-ils suffisants pour que nous annexions une terre occupée, qui n'a d'autre valeur que celle de ses raisins et des ses eaux transparentes ? Après tout, à l'époque des missiles, on ne peut plus parler sérieusement du Plateau du Golan comme d'un "actif stratégique".

Malgré la loi d'annexion que nous avons promulguée et qu'aucun pays du monde n'a reconnue, le Plateau du Golan est une terre occupée et ses colons israéliens sont comme tous les autres colons. Qui a décidé qu'un habitant d'Itamar était un colon "extrémiste", tandis qu'un colon de Meron Golan était un colon différent - l'un des nôtres ? Une main invisible a déterminé que, dans la conscience israélienne, le Plateau du Golan n'était pas occupé et que ses résidents n'étaient pas, comme les autres colons, dans la violation de la loi internationale. Nous jouons sur les mots et c'est un tour ridicule auquel nous nous livrons. Exactement comme ceux qui recherchent la paix en Israël devraient boycotter les produits originaires des colonies de Cisjordanie, la même chose devrait s'appliquer aux produits du Plateau du Golan. Ils sont originaires d'une terre qui n'est pas la nôtre. Les questions de moralité, qui se manifestent toujours ici et là, eu égard à l'occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza ne sont pas du tout à l'ordre du jour lorsqu'il s'agit du Plateau du Golan. Qui se souvient qu'en 1967 environ 100.000 personnes vivant sur le Plateau du Golan durent s'enfuir de force de leurs foyers ? Les ruines de leurs maisons sont toujours là, sur le Plateau du Golan, et ils vivent dans des camps de réfugiés près de Damas. Eux aussi, rêvent de retrouver leur terre, tout comme les habitants restés sous occupation israélienne, quoique celle-ci soit relativement confortable.

Dans une situation où le Premier ministre est bien trop lâche pour répondre à la proposition syrienne, un cri de protestation aurait dû s'élever de ceux qui souhaitent éviter la prochaine guerre, surtout après la dernière. Si les réservistes de Tsahal et le reste des mouvements de protestation veulent aussi faire quelque chose pour éviter la prochaine guerre et ne pas se contenter de ruminer sur la précédente, ils devraient crier avec détermination pour dire "oui" à la paix avec la Syrie. Les conditions de la Syrie sont simples et claires, et même justes - la paix en échange de la terre - et il semble que nous ayons un partenaire à Damas pour faire la paix. Une rencontre avec le ministre des affaires étrangères d'Oman est bon pour faire les gros titres et une rencontre sécrète récente avec un prince saoudien suscite l'imagination, mais la paix doit être faite avec la Syrie et les Palestiniens. La Syrie a dit oui, Israël a dit non. Pour des raisons que nous connaissons et dont nous nous souvenons très bien, il n'y a pas de meilleur moment que Yom Kippour pour y réfléchir.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

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note :

[1] Jdanov : Le secrétaire du Comité Central du Parti Communiste Soviétique, Andrei Jdanov, développa une doctrine culturelle en 1946. Celle-ci suggérait que le monde était divisé en deux camps : le camp impérialiste, conduit par les Etats-Unis ; et le camp pacifique, conduit par l'Union Soviétique. Le Jdanovisme devint rapidement la politique culturelle de l'Union Soviétique, selon laquelle tous les artistes, écrivains et intellectuels soviétiques devaient se conformer à la ligne du parti.