Khaled Wahba - Hôpital Dana des Enfants - Tel Aviv.
"Ce qui est arrivé est arrivé et celui qui est parti est parti, mais que dire de ce petit garçon ?"
(Photo prise par Mohammed Wahba de son téléphone cellulaire)
Ils venaient de s'asseoir pour prendre le déjeuner : Il y avait d'abord Fatma, la mère, avec sa fille de 2 ans, Farah, et son fils de 1 an, Khaled ; ensuite, le frère de Fatma, le Dr Zakariya Ahmed, accompagné de Shayma, sa belle-fille, enceinte de neuf mois ; et, enfin, la grand-mère de 78 ans. Une famille réunie dans la demeure familiale, à Khan Younis, en l'honneur de leur oncle, arrivé six jours auparavant d'Arabie Saoudite.
Un énorme boum a retenti à l'extérieur. Fatma s'est précipitée pour attraper le plus petit et se mettre à l'abri vers l'intérieur de l'appartement. Mais une deuxième explosion a suivi immédiatement. Le tir direct d'un second missile, déclenché par l'excellent pilote de l'Armée de l'Air israélienne, a traversé le toit de la maison et atterri en plein milieu de la salle à manger.
Fatma, enceinte de trois mois, est tuée sur le coup par un éclat qui l'atteint à la moelle épinière. Son frère, le Dr Ahmed, touché lui aussi, meurt et sa belle-fille fait une fausse couche. La petite Farah n'est que légèrement blessée, mais Khaled, le bébé est gravement touché à la tête. Une flaque de sang grossit sur le sol. Seule, la grand-mère est indemne. Il faudra de longues minutes pour voir une ambulance arriver. Ce fut le dernier repas de la famille Wahba.
Dans la ville voisine de Rafah, le chauffeur de taxi, Mohammed Wahba, transporte une famille de vacanciers vers la plage. Il entend parler de cette catastrophe à la radio. Son téléphone cellulaire se met à biper et il se retrouve en ligne avec son frère, Nidal, le père de la famille qui vient d'être touchée. "Viens vite me chercher", lui crie Nidal. Et les deux frères se précipitent vers l'Hôpital Nasser de Khan Younis, où ils découvrent l'horreur.
Avant de devenir chauffeur de taxi, Mohammed a travaillé pendant neuf ans à l'Université de Tel Aviv comme chargé de l'entretien à la Faculté des Arts, puis, plus tard, à la Faculté de Droit. Il vivait à Ramat Aviv, rue Einstein, et il connaissait beaucoup de professeurs par leur nom. Cela fait maintenant 10 ans qu'il n'a plus reçu d'autorisation d'entrer dans sa deuxième ville, Tel Aviv. À présent, il se tient là, assis depuis 10 jours d'affilée au chevet de son nourrisson de neveu, qui se trouve sans un état critique à l'unité de soins intensifs du Dana Children's Hospital, à côté d'Ichilov.
Le petit Khaled, inconscient et paralysé, est maintenu sous respirateur artificiel. Il a été blessé à la tête par un éclat du missile. "Je ne sais pas qui condamner. Si c'est le pilote ou qui que ce soit qui a donné l'ordre d'attaquer. Qui en porte la responsabilité ?", Demande-t-il dans un excellent hébreu. L'assassinat ciblé visait un véhicule qui transportait des membres des Comités de Résistance Populaire et qui descendait la rue. À la place, c'est cette famille qui a reçut le missile au beau milieu de son déjeuner. Il dit que c'est un "accident".
Nidal, son frère désormais veuf, appelle constamment de Khan Younis pour s'enquérir de son fils, qui se trouve dans le coma. Le Bureau de Coordination et de Liaison a déjà appelé pour dire que cet enfant devait être ramené à Gaza, à cause du manque de fonds pour le garder hospitalisé en Israël. Le père et l'oncle sont terriblement inquiets des conséquences. Cette semaine, Ibrahim Habib de Physicians for Human Rights [Médecins pour les Droits de l'Homme] a essayé d'empêcher que l'enfant ne soit renvoyé à Gaza. Le couple Wahba a essayé pendant des années d'avoir un enfant. Ils ont suivi un traitement de fertilité à Gaza et, finalement, il y a deux ans et demi, leur fille Farah est née. Khaled est né un an plus tard. Nidal est ingénieur métallurgiste. Il a fait ses études en Allemagne et travaille comme directeur d'études dans des écoles professionnelles de Gaza. Fatma, elle, était professeure. Il a 40 ans, elle en avait 36. Leur maison est située derrière la pancarte " Bienvenue à Khan Younis " à l'entrée nord de la ville, sur la grand' route entre Gaza et Rafah. Il est probable que les chars israéliens rouleront dans peu de temps sur cette route, mais le mercredi 21 juin (il y a une semaine et demie), tout était calme en ville lorsque la famille prit place autour d'un déjeuner spécial, pour fêter le retour de leur oncle d'Arabie Saoudite.
Mohammed conduisait son taxi dans les rues de Rafah. Il a trente-cinq ans, il est né à Yavneh, le camp de réfugiés de Rafah. À l'âge de 14 ans il est allé à l'Université de Tel Aviv, où il a travaillé à la cafétéria de l'Association des Etudiants. Une fois adulte, il est devenu responsable de l'entretien pour la Faculté des Arts. Il vivait dans une chambre qu'il louait, dans l'appartement de la rue Einstein d'un vieil homme, Yaakov Kleiner. Il se rappelle les cigares préférés d'Arnon Zuckerman, le doyen de la faculté, et des fois où les cours étaient donnés par les professeurs invités, Haïm Yavin (le jeudi après-midi) et Rafik Halabi. Il se souvient de l'étudiant Zvika Hadar et des professeurs de comédie David Zinder, Tom Levy et Hana Taragan. Il aimait particulièrement le festival étudiant international du cinéma que le département organisait chaque année. "C'était si bien, là-bas", dit-il. Il se rappelle aussi des gens de la sécurité, mais pas leurs noms. Et il y avait aussi Livio Carmeli et ses archives cinématographiques.
Du Bâtiment Gilman, il se souvient du professeur Israël Gershoni, et de la Faculté de droit, il se souvient des professeurs Eliezer Lederman, Manashe Shava (†), Kenneth Mann et Shlomo Shoham. Ils étaient tous très amicaux avec lui. Ce fut le meilleur moment de sa vie. En 1994, alors que l'entrée en Israël fut réduite pour les hommes mariés et leurs familles, - il était encore célibataire - cette période agréable de sa vie prit fin. Il ne put revenir qu'une seule fois en Israël, il se rendit directement au campus de Ramat Aviv. C'était en 1977, juste après son mariage, et il put profiter d'une pleine journée de souvenirs. Jusqu'à aujourd'hui, il n'y était plus revenu. Il se retrouve à attendre devant la porte de l'unité de soins intensifs du service de pédiatrie. Le professeur Lederman lui a promis de lui rendre visite.
Ce 21 juin fut le jour le plus long de sa vie. Vers 14h30, Mohammed Wahba transportait dans son taxi une famille vers la plage de Rafah, non loin des ruines de Rafiah Yam, lorsqu'un reportage sur une nouvelle tentative d'assassinat ciblé fut retransmis à la radio. Au départ, l'animateur a parlé d'une "famille Barbawi" qui avait été touchée et, dans un certain sens, Mohammed fut rassuré. Il ne les connaissait pas. Mais plus tard, de retour de la plage, le reportage parla d'une professeure de 30 ans, nommée Fatma et enceinte, qui avait été tuée.
Son cœur se mit à battre très fort. Il n'y avait qu'une seule professeure enceinte nommée Fatma à Khan Younis, pensa-t-il - sa belle-sœur. Puis, son frère Nidal l'a appelé : "As-tu entendus les nouvelles ?" "Non, je ne les ai pas écoutées", mentit-il pour ne pas effrayer son frère. Il reçut aussi un appel d'un de ses beaux-frères qui travaille à l'Hôpital Nasser, et ce dernier a confirmé ses pires craintes. C'était bien la famille de son frère qui venait d'être victime de ce missile.
Il passa prendre Nidal dans le centre de Rafah et ils se rendirent ensemble à l'Hôpital de Khan Younis. Khaled était dans une situation critique, avec une hémorragie cérébrale importante. Fatma et le Dr Ahmed étaient déjà morts. Et Farah, touchée dans le dos par un éclat, était légèrement blessée. Khaled fut immédiatement emmené vers l'Hôpital Shifa de Gaza, où des chirurgiens l'ont opéré à la tête. La grand-mère leur a dit, après coup, qu'elle avait essayé de soulevé Khaled du sol et que c'est alors qu'elle avait vu que sa fille et son fils avaient été tués.
L'intervention d'un ami de la famille, un Américain qui a vécu pendant cinq ans dans le camp de Shabura à Rafah et qui appelait des Etats-Unis, a permis au petit Khaled d'être transféré à l'hôpital de Tel Aviv. L'organisation The Light to the Nations [La Lumière pour les Nations], une fondation américaine, a promis de payer pour les soins. Pas les FDI, pas l'armée de l'air, pas le ministère de la Défense.
Dimanche, trois jours après l'événement, Khaled, accompagné de son oncle Mohammed, fut transféré dans un hôpital en Israël. Cette semaine, sa condition était décrite comme proche de désespérée et on a dit à sa famille qu'il devait être ramené à Gaza. Les docteurs ont dit à Mohammed que "la situation nous échappe". Un porte-parole de l'Hôpital Ichilov a confirmé que sa condition critique résultait de sa blessure à la tête. En début de semaine, le conseiller du ministre de la défense n'avait pas répondu à la requête de Physicians for Human Rights demandant à ce que Khaled ne soit pas renvoyé à Gaza. L'oncle du garçon, Mohammed, est convaincu que ramener l'enfant à Gaza scellerait son sort.
Voici ce qu'a déclaré cette semaine le porte-parole des FDI :
"L'attaque des FDI le 21 juin était dirigée contre une cellule terroriste qui était en route pour perpétrer une attaque terroriste. Cette attaque a eu lieu peu de temps après deux précédentes attaques aériennes dans lesquelles, pour diverses raisons, des civils palestiniens qui n'étaient pas impliqués furent touchés. Dans cet assaut, les leçons apprises lors des assauts précédents ont déjà été mises en application, jusqu'à respecter des distances plus grandes pour assurer qu'aucun civil ne se trouve dans la zone à risque. "Toutefois, pour des raisons qui ne sont pas totalement claires, l'un des deux missiles qui ont été tirés a dévié de la cible vers laquelle il était dirigé. Le résultat de cette déviation fut qu'une construction résidentielle fut touchée à quelques douzaines de mètres de la cible, une construction occupée par les civils palestiniens qui ont subi ces dommages.
"Il devrait être noté que la méthode utilisée par les FDI pour accomplir de telles missions a prouvé au fil des ans sa précision et sa prudence et, dans la majorité des cas, [cette méthode] a permis aux FDI d'agir contre les organisations terroristes et les activistes qui s'abritent délibérément parmi la population civile et qui agissent depuis elle, sous le couvert d'une population qui n'est pas impliquée dans leurs activités.
"On devrait insister sur le fait que dans une situation dans laquelle il est clairement observé qu'il y a un risque pour la population qui se situe près de la cible, l'attaque prévue est alors annulée, même s'il l'on sait parfaitement que l'objet de l'attaque constitue une menace sérieuse. Malheureusement, lors de combats en cours de cette sorte, des accidents se produisent et des civils innocents sont tués. Nous regrettons cela, mais la responsabilité en incombe entièrement aux organisations terroristes ainsi qu'aux dirigeants de l'Autorité Palestinienne qui ne font rien pour les arrêter.
"Lorsque l'enquête sur cet incident sera achevée, les conclusions seront présentées à l'état-major".
"Ils ont toujours dit que les hélicoptères faisaient partie des armes les plus sophistiquées. Soudain, ce sont les armes les plus nulles", a dit Mohammed, les yeux bouffis. "C'est arrivé à d'autres familles aussi. Je ne sais pas lorsqu'ils s'arrêteront. Si cela continue ainsi, je ne sais pas comment cela se terminera. Qui peut faire arrêter cela ? Seuls, les deux peuples le peuvent. Ceux qui soufrent et qui sont dans la peine. Pas les gouvernements ou les dirigeants. Seuls les [deux] peuples peuvent mettre un terme à cette affaire. Les Israéliens et les Palestiniens. Le fils d'Olmert ne sert pas dans l'armée et le fils d'Haniyeh ne se promène pas avec un fusil en s'opposant à l'occupation."
Qu'est-ce que ça vous fait d'être de retour à Tel Aviv ?
"Ici, c'est calme et l'on s'y sent sûr. Ce n'est pas comme à Gaza. Là-bas, vous vous sentez en danger tout le temps. Ne l'oubliez pas : je suis chauffeur de taxi ! Peut-être attaqueront-ils la voiture qui se trouve devant la mienne ou celle qui se trouve derrière elle ? C'est comme lorsque j'entendais que cela vous était destiné pendant tout le temps où ont duré les attaques terroristes".
Son frère Nidal se trouve dans un état grave. Il ne vit plus que de café et de cigarettes et il souffre de crises de fureur et d'angoisse. "Ce qui est arrivé est arrivé et celui qui est parti est parti, mais que dire de ce garçonnet ?" A-t-il dit au téléphone cette semaine à son frère. Chaque demi-heure Mohammed pénètre dans la pièce des soins intensifs pour vérifier l'état de son neveu. Khaled gît là, inconscient. Des points de suture sillonnent sa petite tête et des tubes sortent de sa bouche et de son corps. Mohammed a dit que, ces deux derniers jours, Khaled avait en fait un petit peu bougé.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]