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Les Mystères de l'Amérique


Air Condi

Par Gideon Levy
CounterPunch, 9 octobre 2006
article original : "Air Condi"

Cela arrive environ tous les deux mois. À la manière d'un parent particulièrement dérangeant qui vous rend visite périodiquement, Condoleeza Rice était encore ici. Mêmes déclarations, mêmes textes creux, même flagornerie, même avion officiel repartant là d'où il était venu. Toujours les mêmes résultats : En décembre dernier, après une nuit de discussions houleuses, Israël avait promis d'ouvrir un "passage sûr" entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie ; Cette fois-ci, dans ce qui est considéré comme la "réussite" de cette visite, Israël a aussi promis d'ouvrir le passage de Karni. Karni sera ouvert - on peut supposer - seulement un tout petit peu plus que le "passage sûr" qui n'a jamais été ouvert après la visite futile précédente.

En l'espace d'un an et demi, Rice est venue six fois ici. Et qu'en est-il sorti ? Quelqu'un lui a-t-il posé des questions à ce sujet ? S'interroge-t-elle ?

Il est difficile de comprendre comment la secrétaire d'Etat se permet d'être humiliée à ce point. Il est même encore plus difficile de comprendre comment la superpuissance qu'elle représente se permet d'agir d'une façon aussi vaine et inutile. Le mystère de l'Amérique n'est toujours pas résolu : Pourquoi les Etats-Unis ne font-ils rien pour apporter une solution au conflit le plus dangereux et le plus long de la planète ? Pourquoi la seule superpuissance du monde, qui a le pouvoir de faciliter rapidement une solution, ne lève-t-elle pas le petit doigt pour l'encourager ?

Que s'est-il passé depuis 1956, lorsque les Etats-Unis, immédiatement après le discours de David Ben Gourion (le dirigeant israélien le plus puissant de tous les temps) sur le "Troisième Royaume d'Israël", ont obligé Israël à se retirer du Sinaï, du jour au lendemain, sur un simple coup de fil ? Aujourd'hui, alors que l'occupation se poursuit depuis des années et que le gouvernement [israélien] est non moins dépendant des bonnes grâces des Etats-Unis que par le passé, pourquoi l'Amérique n'est-elle plus qu'un simple badaud ?

Après les innombrables voyages des présidents et des secrétaires d'Etat [américains], après des initiatives de paix et des plans de paix en veux-tu en voilà, du Plan Rogers[1] à la Feuille de Route en passant par le "réexamen", des pourparlers stériles et des déclarations fleuries, des pressions et des promesses, des discussions et des décisions : RIEN NE S'EST PRODUIT. En toile de fond, une question fondamentale résonne, sans réponse : L'Amérique est-elle intéressée par amener le Proche-Orient vers une solution ? Est-il possible qu'elle ne comprenne pas à quel point la fin de ce conflit est cruciale ?

Telles que les choses apparaissent, l'Amérique peut mais ne le veut pas. Aucun gouvernement en Israël - et certainement pas les plus récents, qui sont terrifiés par l'administration américaine - tiendraient tête à l'Amérique si elle exigeait sans détour de mettre un terme à l'occupation. Mais le problème, c'est qu'aucun président américain n'a jamais voulu mettre un terme à l'occupation. L'Amérique ne comprend-elle pas qu'il n'y aura pas de paix sans la fin de l'occupation? La paix dans la région porterait au terrorisme un coup bien plus grand que toutes les guerres que l'Amérique a poursuivies, en Irak ou en Afghanistan. L'Amérique ne le comprend-elle pas ? Tout cela peut-il être attribué au lobby juif tout-puissant, qui fait plus de mal que de bien à Israël ?

L'objectif déclaré de la politique étasunienne au Proche-Orient est d'apporter la démocratie dans la région. Apparemment, c'est aussi pour cette raison que les Etats-Unis sont partis en guerre contre l'Irak. Même si l'on ignore l'hypocrisie, l'autosatisfaction et le double-langage de l'administration Bush, qui soutien un certain nombre de régimes despotiques, on devrait demander au grand Ordonnanceur de la démocratie : Votre vue est-elle si mauvaise que vos yeux ne vous ont pas montré que le régime le moins démocratique et le plus brutal de la région est l'occupation israélienne des Territoires ? Et comment la Maison Blanche concilie-t-elle la contradiction entre l'aspiration à insuffler la démocratie aux peuples de la région et le boycott du gouvernement du Hamas, qui a été choisi dans des élections démocratiques, ainsi que l'Amérique le voulait et qu'elle l'a prêché ?

Les Etats-Unis parlent aussi de la paix avec hauteur. Mais en même temps, leur président met en garde Israël contre toute tentative de forger la paix avec la Syrie. Ici, l'Amérique adopte une position qui non seulement fait échec à tout accord mais qui en sape les fondements. Depuis que les Etats-Unis ont commencé à donner carte blanche à Israël pour imposer l'occupation brutale des Territoires, ils sont devenus la partie qui transmet les valeurs non-démocratiques au monde entier. Où sont les jours où, à Jérusalem, on se préoccupait de la réaction des Etats-Unis avant chaque opération militaire ? À cette époque, Israël y réfléchissait à deux fois avant chaque assassinat et chaque arrestation. Toute démolition d'une maison palestinienne et toute implantation nocturne d'une nouvelle colonie faisaient craindre la réaction d'Oncle Sam. Mais à présent, c'est comme on veut quand on veut. Chaque action belliqueuse d'Israël reçoit son chèque en blanc. Devrait-on appeler aussi cela une initiative de paix, un effort pour la démocratie ?

Ces dernières années n'ont pas été bonnes pour l'Amérique. Elle est passée du statut de "chef de file du monde libre" à celui de "détestée par le monde entier". Non seulement l'Afrique du Sud, l'Asie et l'Afrique ressentent une forte animosité à son égard, mais la plus grande partie de l'opinion publique en Europe s'en est aussi détournée. Y a-t-il quelqu'un dans l'administration [américaine] pour demander pourquoi le monde adore tant haïr l'Amérique ? Et quelles implications ce sentiment mondial croissant aura-t-il sur la force des Etats-Unis dans les années à venir ? Le dollar, les missiles Tomahawk et les F-16 peuvent-ils apporter une réponse à tout ? Au Proche-Orient, les Etats-Unis ont une occasion de changer fondamentalement leur image, de va-t-en guerre à faiseur de paix.

Et comment les Etats-Unis répondent-il à ce défi ? Ils envoient Rice pour dire à Ehoud Olmert-l'excité comment elle s'endort facilement pendant les vols ridicules et inutiles entre les Etats-Unis et le Proche-Orient !

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

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Note:

[1] Le Plan Rogers : Du nom du secrétaire d'Etat de l'époque, William Rogers. Le 3 novembre 1969, est signé au Caire un accord libano-palestinien qui autorise les fedayin palestiniens à accéder à l'extrême sud du Liban pour combattre Israël. Les régimes arabes, Israël et ses protecteurs ne le voient pas d'un bon oeil. Une initiative politique américaine vient au secours de leurs alliés. C'est le plan Rogers. Le 9 décembre 1969, William Rogers prononce à Washington un discours dans lequel il apporte une première explication concrète de l'interprétation américaine de la résolution 242 de l'ONU. Concernant le retrait d'Israël des territoires qu'elle occupe et les frontières, il dit notamment : "tout changement devra être limité à des modifications mineures nécessitées par la sécurité mutuelle". Il insiste aussi sur les futures relations entre Israël et ses voisins : "Il doit y avoir des zones démilitarisées liées à des arrangements de sécurité plus crédibles que ceux qui existaient dans cette région par le passé." Pour les Palestiniens c'est simple, ce plan signifie la fin de leur présence armée sur les territoires arabes et le statu quo pour les frontières actuelles avec Israël et le début des affrontements entre les organisations de fedayin et les régimes arabes. Le 7 août 1970, un cessez le feu est proposé au Proche-Orient par le même William Rogers qui sera accepté par l'Egypte et la Jordanie. Les Palestiniens refusent les propositions Rogers.