accueil > archives > éditos


Une guerre pour l'immobilier

Par Gideon Levy
Haaretz, le 7 août 2006

Cette guerre lamentable au Liban, de plus en plus compliquée, sans aucune raison, est née de l'avidité d'Israël pour la terre. Non pas qu'Israël se batte cette fois-ci pour plus de terres, pas du tout, mais, en mettant fin à l'occupation, cette guerre inutile aurait pu être évitée. Si, de façon opportune, Israël avait rendu le Plateau du Golan et signé un traité de paix avec la Syrie, on peut penser que cette guerre ne se serait pas déclenchée.

La paix avec la Syrie aurait garanti la paix avec le Liban et la paix avec les deux aurait empêché le Hezbollah de se fortifier sur la frontière nord d'Israël. La paix avec la Syrie aurait aussi isolé l'Iran, l'ennemi véritablement dangereux d'Israël, et aurait coupé le Hezbollah d'une ou deux de ses sources d'armement et de financement. C'est si simple et si éloigné de la pensée conventionnelle israélienne, sujette au lavage de cerveau.

Pendant des années, Israël a livré une guerre contre les Palestiniens dont la motivation principale était de garder les territoires occupés. Si ce n'était pour l'entreprise de colonisation, Israël se serait depuis longtemps retiré des territoires occupés et le moteur de la lutte aurait été neutralisé de manière significative. Non pas qu'un Israël non-occupant serait devenu le chéri du monde arabe, mais le feu destructeur dont Israël est la cible aurait été considérablement atténué et ceux qui auraient continué à combattre Israël se seraient retrouvés isolés.

La guerre contre les Palestiniens est donc sans équivoque une guerre territoriale, une guerre pour les colonies. En d'autres termes, des gens ont été tués et se font tuer en Cisjordanie et à Gaza à cause de notre avidité pour les terres. De Golda Meir à Ehoud Olmert, le mensonge qui a été entretenu est que la guerre avec les Palestiniens est une guerre existentielle pour sa survie, imposée à Israël, alors qu'il est réellement en guerre pour l'immobilier, dunam après dunam qui ne nous appartiennent pas.

La situation est différente avec la Syrie. Pendant 33 ans, les Syriens ont abandonné leur ambition militaire pour réintégrer leurs terres occupées. Israël peut voter une douzaine de lois sur le Plateau du Golan, pour l'annexer, mais un territoire occupé reste un territoire occupé. Pendant les trente dernières années, le point de vue qui prévalait en Israël était qu'il n'y avait pas besoin de paix avec la Syrie : De toute manière les Syriens se tenaient tranquilles, alors pourquoi leur rendre le Golan ?

C'est le même raisonnement dangereux et fou qui a caractérisé les 20 premières années de l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza. Les Palestiniens se sont tenus tranquilles, se sont rendus, sous la botte de l'occupation israélienne, et il n'est venu à l'esprit de personne de leur rendre leur territoire. À la place, Israël a créé les colonies. Ce n'est que lorsque les Palestiniens se sont réveillés et qu'ils ont réalisé qu'ils allaient perdre leurs terres pour toujours qu'ils ont commencé leur campagne de violence ; et ce n'est qu'après que le sang a été versé, qu'Israël est sorti de ses rêves en réalisant qu'il ne pourrait pas garder tous les territoires pour toujours. Ainsi, avec un retard regrettable et des années de bains de sang, la reconnaissance de l'OLP, les accords d'Oslo, le désengagement et la convergence sont nés - toutes ces solutions partielles et truquées étaient destinées à retarder la fin de l'occupation.

Nous n'avions pas besoin de tout cela avec les Syriens - après tout, ils se sont tenus tranquilles pendant toutes ces années. À présent, est arrivée la guerre au Liban, qui se révèle être une erreur. Bien que les Syriens soient restés sur la "ligne de touche", le danger venant de cette direction n'a pas été supprimé et l'illusion selon laquelle le Golan resterait pour toujours entre les mains d'Israël, sans qu'il lui soit demandé de payer pour son occupation, nous revient en pleine gueule.

Mais cette guerre actuelle pourrait encore se révéler n'être qu'un amuse-gueule pour d'autres guerres à venir, qui seront beaucoup plus dangereuses. Le dicton selon lequel le temps est de notre côté est une autre illusion. Pendant tout ce temps, le monde arabe et musulman s'est armé et le danger que représentent les armes nucléaires et les missiles à longue-portée sont déjà des épées de Damoclès, suspendues au-dessus nos têtes. La seule réponse à cela est une neutralisation maximale des points chauds, avant que la bombe n'arrive. Mais Israël a choisi de fermer les yeux et de construire son avenir sur une tranquillité effroyablement temporaire ou sur de plus en plus d'opérations guerrières.

Juste au moment où le territoire perd de son importance à cause du développement de nouvelles technologies de combat, Israël se sert d'excuses de sécurité pour rester dans les territoires. L'ancien Premier ministre Ehoud Barak a criminellement raté l'occasion de signer un traité de paix avec la Syrie après qu'il a eu "les jetons", comme le disent les témoins, et il s'est retiré à la dernière minute. C'est ainsi que cela marche avec nous. Lorsque l'autre camp se tient tranquille, pourquoi rendre des territoires ? Et lorsqu'ils nous font vraiment la guerre, "il n'y a personne à qui parler", et certainement pas lorsque nous sommes "sous le feu".

Alors que nous sommes prêts à sauter sur toutes les occasions de faire la guerre, comme cette fois-ci, nous nous atermoyons sans fin lorsque le temps des négociations de paix est venu. Aujourd'hui, alors que la Syrie, bousculée par les Etats-Unis, veut désespérément rejoindre la "famille des nations", est aussi un moment excellent pour essayer de faire la paix avec elle - mais il y a ceux qui disent que ce n'est pas le moment. Que diront les Américains ? Après tout, ils sont contre tout accord avec Bachar el-Assad de "l'axe du mal".

Donc, nous y voilà ! Une autre excuse pour rater une occasion en or, une autre excuse lamentable. Comme dans le cas de paix avec l'Egypte, le geste qui a garanti la sécurité d'Israël, pendant des années, bien plus que n'importe quelle guerre, et qui s'est construite dans le dos des Américains, l'Amérique ne pourrait pas s'opposer à un accord de paix avec la Syrie. À présent que nous avons frappé le Hezbollah et ruiné le Liban, le Premier ministre d'Israël devrait déclarer : le Golan en échange de la paix. Cela pourrait contribuer beaucoup plus à notre sécurité que des milliers d'opérations audacieuses et inutiles sur Baalbek, mais cela nécessiterait beaucoup plus de courage que de livrer une nouvelle guerre inutile et déplacée.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]