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La Victoire du Hamas est Bonne pour Tous

Par M. A. Muqtedar Khan
Haaretz, 31 janvier 2006

Après le 11/9, la politique étrangère américaine au Moyen-Orient a adopté un virage à 180 degrés sur la démocratie. Reconnaissant que la stabilité - l'objectif politique jusque là - ne garantissait pas la sécurité, l'administration Bush s'est engagée à promouvoir la démocratie au Moyen-Orient, travaillant sur la supposition que la démocratie est un antidote au terrorisme. C'est peut-être vrai.

Quelle publicité, pour l'idée que la démocratie transforme les terroristes en politiciens, est-elle plus spectaculaire que la victoire électorale du Hamas dans l'élection palestinienne de la semaine dernière ?

Depuis sa formation en 1987, le Hamas est devenu le pire obstacle aux objectifs américains et israéliens dans la région. Dans les Territoires palestiniens, le Hamas est un quasi-Etat fournissant plusieurs services sociaux, notamment écoles et cliniques, et il assure même localement la direction des affaires publiques et les fonctions de sécurité. Il a déversé des centaines d'attaques terroristes contre Israël, y compris des poseurs de bombe kamikazes causant de lourdes pertes civiles. Toutefois, il maintient un cessez-le-feu depuis février 2005.

Bien que ce fut une surprise, la victoire électorale du Hamas est compréhensible. D'abord, le Hamas a été, pendant plus d'une décennie, la seule réponse palestinienne à l'armée israélienne et aux opérations de construction de colonies. Deuxièmement, il a fourni des services sociaux que ni l'Autorité Palestinienne - le destinataire des aides américaines et européennes et des taxes palestiniennes - ni l'occupant israélien ne fournissent. Enfin, la corruption totale de la l'Autorité Palestinienne et l'incapacité de Mahmoud Abbas - le choix de l'administration Bush - à apporter quelque chose, que ce soit un gouvernement ou la liberté, a fait du Hamas un choix plus attirant pour les Palestiniens.

La victoire du Hamas indique non seulement le rejet de la corruption de l'Autorité Palestinienne, mais rappelle aussi que la feuille de route vers la paix n'a pas soulagé la souffrance et l'humiliation quotidiennes que subissent les Palestiniens. La promesse de paix que le retrait israélien de Gaza a générée a été perdue, puisque le chômage atteint presque 50% et que le territoire est au bord du chaos avec un A.P. échouant à apporter la loi et l'ordre, ainsi qu'à lancer toute initiative majeure de développement.

La victoire du Hamas n'est pas seulement un vote négatif contre l'A.P. ; au moment-même où les Israéliens se sont tournés vers Ariel Sharon après l'échec du processus de paix en 2001, les Palestiniens, eux aussi, se sont désormais tournés vers le Hamas après l'échec de la feuille de route, à la recherche d'une alternative. La feuille de route a été un tel échec qu'Israël, sous Sharon, l'avait déjà abandonnée pour poursuivre un programme unilatéral de séparation en se retirant de Gaza et en construisant un mur en Cisjordanie entre les deux populations.

Washington et Tel-Aviv ont tous deux exprimé leur consternation et leur inquiétude face à la tournure de ces événements et déplorent la perte d'un partenaire pour faire la paix. Alors que Condoleeza Rice a exprimé la volonté des Etats-Unis de continuer à travailler avec Mahmoud Abbas sur tous les sujets, y compris le processus de paix, Israël a réitéré sa réticence à travailler avec le Hamas. Israël et les Etats-Unis maintiennent que tant que l'objectif du Hamas reste la destruction d'Israël, il ne peut pas être un partenaire dans un processus de paix qu'il rejette explicitement.

Si je reconnais que la situation est potentiellement explosive avec le Hamas, je suggère avec humilité que la victoire du Hamas pourrait bien s'avérer être bénéfique à toutes les parties concernées. On dit généralement qu'un accord de paix qui est acceptable pour le Likoud est acceptable pour tous, aux Etats-Unis et en Israël. De la même manière, un accord de paix qui est acceptable pour le Hamas sera acceptable pour tout le monde arabe et musulman. Alors, une organisation qui s'est engagée à la destruction d'Israël négociera-t-elle ? Le Hamas a toujours négocié avec l'UE, les Etats-Unis [indirectement] et avec d'autres interlocuteurs arabes. Le cessez-le-feu actuel, en place depuis février 2005, est un résultat négocié. Alors que les Etats-Unis, Israël et le Hamas peuvent souhaiter éviter de négocier ouvertement, étant donné leurs discours passés, il est toujours possible de négocier par des intermédiaires. L'UE et l'Egypte peuvent jouer ce rôle d'intermédiaires. De façon ironique, Israël pourrait désormais avoir un véritable partenaire pour la paix, puisque le Hamas peut tenir l'engagement que l'A.P. n'a pu jamais promettre : la fin du cauchemar des poseurs de bombe suicides.

L'empêcheur de tourner en rond est maintenant en selle et il va devoir changer sa conception des choses et sa politique s'il désire rester en selle. Israël et les Etats-Unis doivent affronter cette situation avec prudence, sans perdre leur calme, et donner au Hamas le temps et l'espace nécessaire pour trouver un moyen de modifier son programme et un chemin vers la table des négociations en sauvant la face.

Les déclarations récentes du Président Bush et des chefs de file du Congrès, menaçant de stopper l'aide au gouvernement palestinien, sont contre-productives. On a l'impression que les Etats-Unis punissent les Palestiniens pour avoir pris au sérieux les appels à la démocratie et que ce ne sera qu'une chose de plus que font les Etats-Unis pour rendre la vie des Musulmans misérable. De plus, l'Iran va entrer dans la danse et combler le fossé. Il accroîtra ainsi son influence et réduira l'influence des Etats-Unis sur le nouveau gouvernement palestinien.

Le Hamas a promis d'exercer un gouvernement efficace et sans tâches et il ne peut le faire sans une coopération au jour le jour avec Israël. Jusqu'à présent, le Hamas a compté sur le financement de sympathisants islamistes dans le monde arabe pour soutenir ses activités limitées. Mais pour gouverner les Territoires, il aura besoin de l'aide financière de l'UE [$600 millions] et des Etats-Unis [$450 millions en 2005], ainsi que des taxes collectées par Israël [$50 millions en janvier 2006]. Il ne peut pas être efficace sans le soutien et la coopération de ces trois acteurs, et il devra donc trouver un moyen de calmer les craintes israéliennes et de gagner sa coopération. Dans un sens, le désir du Hamas de devenir un acteur politique, et sa victoire électorale, est une victoire pour Israël. Pour la première fois, Israël peut exercer une influence directe sur le Hamas. Si les promesses du Hamas s'avèrent aussi vides que celles de l'A.P., Israël pourra accuser le Hamas d'être inefficace et incompétent et les Palestiniens qui ont placé de grands espoirs que leurs vies s'améliorent pourront rapidement se retourner contre le Hamas.

La victoire du Hamas apporte aussi une grande crédibilité à la revendication de Washington selon laquelle les Etats-Unis sont sérieux à propos de la démocratie au Moyen-Orient. Cela contredit les Djihadistes que les Etats-Unis sont contre l'Islam. Après tout, le Président Bush a non seulement consacré l'Islam dans les constitutions de deux nations - l'Irak et l'Afghanistan -, il a facilité le chemin vers le pouvoir aux Islamistes, d'abord en Egypte et à présent en Palestine.

De toute manière, rien de sérieux ne peut arriver avant les élections israéliennes en mars prochain. C'est une bonne occasion pour toutes les parties de décompresser jusque là et de réfléchir aux nouvelles réalités. Si le volume sonore de la rhétorique reste faible, cela aidera. Le Hamas doit maintenir le cessez-le-feu et se concentrer sur le gouvernement. Israël doit reconnaître que la paix entre les Arabes et les Juifs ne peut pas être fragmentaire. Elle devra être une paix dans la région entre tous les Juifs [de gauche comme de droite] et tous les Arabes [laïques et islamistes].

Nous avons à présent une nouvelle fenêtre d'opportunité pour faire des progrès dans ce conflit. Ne la gâchons pas !

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L'auteur de cet article est professeur-assistant au Département de Science Politique et des Relations Internationales à l'Université du Delaware. Il est aussi l'auteur de Jihad for Jerusalem : Identity and Strategy in International Relations.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon