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   Gagner du Temps
    Par Par Ze'ev Schiff, correspondant de Haaretz
Haaretz
, 8 avril 2006

Israël n'a aucune vision en ce qui concerne le Hamas et aucune idée claire sur ce que à quoi ressemblera l'avenir. Mais le Hamas, lui, a une stratégie. Que peut en faire Israël ?

Si Israël et les Etats-Unis en sont encore à chercher une stratégie vis-à-vis du Hamas, celui-ci s'est déjà présenté avec une stratégie claire de son cru. Toutefois, le Hamas n'est pas encore sûr de la tactique à utiliser. Les dirigeants israéliens sont au moins d'accord sur un point : les décisions de principe doivent être prises le plus vite possible. Seulement, Israël n'a absolument aucune vision en ce qui concerne le Hamas - lire : même si le Hamas devait échouer à la tête de l'Autorité Palestinienne [AP], Israël n'a pas d'orientation précise pour le futur.

Si le Hamas échoue, avec quelle direction palestinienne les Israéliens voudraient-il aboutir à un accord ? Voudraient-ils revenir à la vieille direction du Fatah, celle-là même qu'Israël n'a pas aidée à réussir ? Les Américains ont posé cette question à leurs interlocuteurs israéliens, sans obtenir de réponse définitive. Israël ne cherche pas à se dérober : Il n'a tout simplement pas formulé de perspectives. Naturellement, sa pensée stratégique se concentre sur les aspects négatifs. Ici et là, des dirigeants des services de renseignements disent qu'il se peut que du mal que représente la victoire du Hamas émergera un changement positif de direction. Que la responsabilité de gouverner que le Hamas devra prendre sur lui-même conduira peut-être à un changement interne. Mais cela ne va pas au-delà des "peut-être".

La position officielle d'Israël est qu'il ne veut pas avoir affaire à deux "adresses" palestiniennes. L'une étant celle de Mahmoud Abbas (Abou Mazen), le président de l'AP, qui excelle à faire des déclarations positives et agit de façon opposée. L'autre, celle du gouvernement du Hamas, qui épouse l'idée de la destruction d'Israël et qui n'observe que quelques dispositions des anciens accords conclus avec l'AP.

Si l'on observe attentivement le système palestinien qui s'est développé dans les territoires, on voit qu'il ne s'agit pas d'un système bicéphale, comme on le prétend habituellement. Il y a plus que deux têtes : Abou Mazen n'est pas exactement le Fatah (un mouvement qui inclut des forces rebelles comme les Brigades Al-Aqsa et les Tanzim) et les divers éléments du Hamas ne sont pas non plus tous taillés dans le même costume (même si de l'extérieur ce mouvement présente une unité de façade). Le bras armé du Hamas a une importance de premier ordre, mais il y a aussi des acteurs extérieurs, comme le Hezbollah et le mouvement du Djihad international. L'Iran a une influence et il y a aussi l'Egypte et la Jordanie. Tout ceci assure l'anarchie parmi les Palestiniens. Abou Mazen n'a aucune chance d'y imposer sa volonté.

Les nouveaux Problèmes

Sur le terrain, une réalité prend forme, qui est différente de celle qui existait depuis la signature des Accords d'Oslo et des autres accords passés avec les Palestiniens. La directive qui a cours dans les institutions de la défense [israéliennes] est qu'il ne devrait y avoir aucune coordination en matière de sécurité avec les organisations palestiniennes qui sont subordonnées au Hamas, aucune coordination économique complète avec l'AP et aucun passage entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie. Les idées roses du représentant du Quartette, James Wolfensohn, expliquant que des mesures de sécurité sur l'activité économique israélo-palestinienne ne sont quasiment pas nécessaires, ont été étouffées dans l'œuf.

De nouveaux problèmes ont surgi. Par exemple, comment Israël devrait-il agir lorsque des policiers palestiniens qui sont partenaires dans la surveillance du poste frontière à Rafah sont subordonnés au Hamas ? Et comment les Israéliens devraient-ils agir avec la police palestinienne qui est stationnée au poste frontière d'Allenby Bridge ? En ce qui concerne Israël, cette situation est apparemment la plus confortable, parce qu'elle est clairement en "noir et blanc".

Cependant, le passé nous enseigne que la réalité quotidienne comporte aussi beaucoup de nuances, pas très nettes, de gris. À la veille de la prestation de serment du gouvernement du Hamas, Israël a informé les Palestiniens que le poste frontière de Karni, par lequel la plupart des biens de première nécessité entrent dans la Bande de Gaza, sera fermé jusqu'à ce qu'ils arrêtent ceux qui lancent des attaques contre le terminal. Les Palestiniens ont montré leurs nez et les attaquants continuent de chercher des moyens de faire sauter Karni et de toucher des Israéliens. Néanmoins, Israël a baissé les bras et à réouvert le poste frontière.

La grippe aviaire est un autre exemple : Le jour même où le Djihad Islamique a fait entrer une voiture piégée en Israël et a lancé les fusées Qassam sur Ashkelon, Israël a fourni aux Palestiniens une assistance abondante pour contrôler la pandémie.

La stratégie du Hamas se base sur la charte de l'organisation, charte qui déborde de haine contre les Juifs, de la non-reconnaissance d'Israël, de la non-reconnaissance des accords que l'OLP a signés avec Israël (mises à part les provisions qui satisfont le Hamas) et de la poursuite de la violence contre Israël lorsque cela plaît au Hamas. En somme, Israël est l'ennemi éternel et ne peut pas changer.

Tactiquement, à ce stade, la chose la plus importante pour le Hamas est de gagner du temps. Ce mouvement à besoin de tranquillité pour s'organiser, pour se renforcer et pour nourrir son exceptionnelle première victoire qui a permis d'établir un régime sunnite. Si le calme prévaut, le Hamas pourra empêcher les conflits intérieurs et la guerre civile palestinienne. Avec un tel scénario, il sera aussi capable d'agir plus efficacement vis-à-vis des acteurs internationaux et de gagner leur reconnaissance.

C'est pourquoi, il n'y a aucun doute que ce mouvement enverra régulièrement des intermédiaires en Israël, avec ce message : Cette fois-ci, nous sommes prêts à apporter la tranquillité à Israël et à ses habitants, pour obtenir en retour la tranquillité de la part d'Israël. Cette tranquillité n'aura pas lieu dans le contexte d'un accord dressant les obligations des parties, tranquillité que le Hamas pourrait violer quand ça lui chante, exactement comme par le passé lorsqu'il avait pris l'habitude de braver les accords de trêve avec l'AP.

Les mots et les actes

Israël dispose d'un certain nombre d'options pour traiter le problème qui résulte des élections palestiniennes. Parmi celles-ci, il y a d'abord celle qui se nomme "séparer les mots des actes". Ceux qui soutiennent cette idée sont des éléments modérés palestiniens et européens, qui critiquent l'idéologie belliciste du Hamas, mais qui cherchent un moyen d'empêcher un conflit militaire entre Israël et les Palestiniens. Dans l'administration israélienne, il n'y a pas de personnalité de premier plan qui soutienne cette option qui pourrait décevoir l'opinion publique. Cette option promet la tranquillité pour une certaine période et bénéficiera au marché boursier et à l'hôtellerie.

Selon cette première possibilité, Israël devrait faire une distinction entre ce que le Hamas déclare et ce que le mouvement fait contre Israël. Dans ses déclarations, le Hamas restera extrémiste et menaçant : Le mouvement ne révoquera pas sa charte, ne reconnaîtra pas Israël et n'adoptera pas les accords que l'OLP a signés avec lui. Le Hamas soutiendra même qu'il a le droit d'utiliser la violence en réponse à la violation des droits des Palestiniens. Cependant, dans la vie de tous les jours, cette organisation s'abstiendra de commettre des actes de violence contre Israël. Selon ceux qui soutiennent cette option, c'est vraiment la chose importante.

Les Arabes qui soutiennent cette option disent que ça vaut la peine pour Israël de l'adopter, parce que non seulement le Hamas mettra ensuite fin au terrorisme, mais cela influencera aussi d'autres organisations comme le Djihad Islamique pour qu'elles fassent de même, afin d'éviter des réponses israéliennes brutales aux actes de violence. Cette option permettrait à Israël de faire l'économie d'accords signés, qui nécessiteraient de nombreuses concessions, incluant le démantèlement des implantations et encourageant le conflit avec les colons.

Le Hamas préfère aussi cette option. Mais voici quel est son inconvénient : Ainsi, le mouvement ne concède rien et gagne un temps appréciable pour s'organiser et se renforcer. Le Hamas restera calme seulement pendant une durée limitée. Dans l'entrefaite, les éléments extrémistes, comme les Iraniens, s'infiltreront dans les territoires palestiniens.

La deuxième option, qui pourrait s'intituler "changement de régime", implique un effort pour faire trébucher le gouvernement du Hamas et l'obliger à échouer. Elle implique que les choses soient rendues difficiles dans tous les domaines pour ce gouvernement et la population palestinienne doit être convaincue que ce fut une erreur d'élire un gouvernement extrémiste. Ce gouvernement n'est peut-être pas corrompu (pas encore), mais il provoquera une guerre difficile, causera des changements sociaux qui pèseront lourdement sur la population palestinienne, sur les femmes, sur l'éducation scolaire et la vie sociale. Changer le régime ne pourra être complètement accompli qu'à travers de nouvelles élections de l'AP.

L'objectif de cette option est compatible avec le désir du Fatah, qui est lui aussi intéressé à provoquer l'échec du gouvernement du Hamas. Mais c'est un dangereux partenariat. Avant de causer la chute du Hamas, certains éléments du Fatah sont capables de commettre - sans le reconnaître - des actes de terrorisme contre Israël afin qu'Israël parte en représailles contre le gouvernement du Hamas. Il est peu probable qu'Abou Mazen et les éléments du Fatah amènent un changement de régime par des moyens légaux.

Dans tous les cas, avec cette option aussi, les accords d'Oslo s'avèreront ne plus être d'actualité. Les accords de Paris et du Caire sont tombés en miettes. On n'en trouve aucune trace, si jamais il n'y en avait eu une, dans les pourparlers de Taba. L'initiative de Genève, qui a été prise entre deux mouvements publics et qui n'a jamais été finalisée, a certainement déjà disparu.

Les questions économiques

Israël rencontrera un problème difficile : Comment agir en regard des problèmes économiques qui s'accumulent dans l'AP. Les opinions sur cette question vont d'un extrême à l'autre. La première approche qui a été prise est que bien que le public palestinien ait voté contre le Fatah corrompu, il savait qu'en mettant le Hamas au pouvoir - qui soutient la poursuite de la guerre contre Israël et sa destruction - a un prix. L'argument est qu'il est absurde pour Israël d'améliorer les vies des Palestiniens sous un gouvernement du Hamas et de l'aider, indirectement, en payant les salaires des fonctionnaires du Hamas.

De l'autre côté du spectre politique se trouvent ceux qui défendent cette position précisément pour des raisons de sécurité. Il est nécessaire d'éviter la destruction de l'économie palestinienne. Dans leur opinion, Israël ne doit pas se retrouver dans une situation où ils se retrouveraient face à des masses affamées. En conséquence, ils ont fixé "un point de référence de déclin humanitaire". Des experts issus de différents domaines se sont occupés de cela. Un tel point de référence a été préparé dans le bureau du coordinateur des activités dans les territoires, le Général de division Yosef Mishlav. Un autre a été devisé dans la division de l'intelligence de l'état-major général, dirigé par le général de division Amos Yadlin.

En tout cas, un point de référence humanitaire a été présenté aux Américains. En somme, c'est une option dont le succès est incertain ; il est possible que cela conduise à une réaction opposée du côté palestinien.

"Shabbes goy"[1] est le terme approprié pour la troisième option. Il se trouve que dans les rangs de la haute direction israélienne (notamment au sein des Forces de Défense Israéliennes) certaines personnes parlent de la nécessité de trouver des intermédiaires posés pour qu'Israël et le Hamas discutent des sujets concernant la vie quotidienne. Bien qu'au niveau gouvernemental les ordres soient de ne pas établir de contacts avec le gouvernement du Hamas, il est clair qu'il doit y avoir des moyens pour éviter un effondrement total. Ainsi, il est nécessaire, par exemple, de s'occuper de la grippe aviaire afin qu'elle ne s'étende pas à Israël et il faut "coopérer" sur les problèmes d'égouts, qui incluent des municipalités dirigées par le Hamas, afin d'éviter une pollution bactérienne du côté israélien. Ceux qui soutiennent cette option nomment "interface" ce lien pratique possible. Cette "interface" sera déterminée en accord avec les intérêts israéliens et elle sera mise en place par l'intermédiaire d'éléments locaux - pas directement avec les ministères aux mains du Hamas.

Apparemment, le chef d'état-major Dan Halutz rejette cette approche, parce qu'elle permet une érosion de la position principale d'Israël. Il est clair que le Hamas verra une victoire dans ces contacts indirects. Halutz soutient depuis longtemps que ce mouvement est capable de répondre à tous les besoins du public palestinien, sans parler avec Israël. Lors des discussions internes, des dirigeants du Hamas disent qu'Israël finira par aller à leur rencontre, avec des propositions pour mener des contacts réguliers.

En adoptant cette option, le danger est que deux choses contradictoires puissent se produire simultanément. D'une part, l'isolement du gouvernement du Hamas ne serait que partiel et Israël se retrouverait à fournir des aides qui le renforceraient ; les intermédiaires et les "Shabbes goy" agiraient jusqu'où ils pourraient et, avec le temps, ils élargiraient leurs activités. Mais aussi, le terrorisme contre Israël pourrait se poursuivre (bien qu'à un niveau relativement plus bas). Le Hamas fermerait alors les yeux sur les actions du Djihad Islamique et des autres organisations. Le lancement des fusées Qassam et des Katyushas à longue portée contre Israël se poursuivrait comme d'habitude et le Hamas ne ferait rien pour l'empêcher et pourrait même aider les organisations à commettre des actes terroristes.

La quatrième option est "la guerre maintenant". C'est l'option militaire, la plus extrémiste. Elle est basée sur une estimation de la situation, selon laquelle il n'y a pas d'autres possibilités et aucune chance d'arriver à un accord ou à un compromis avec le Hamas et ses objectifs. Si le Hamas veut changer ses objectifs stratégiques, alors ce n'est plus le Hamas. C'est une organisation différente. Selon cette option, qui trouve de nombreux supporters au sein de l'état-major général des FDI, si le terrorisme continue - même à un faible niveau - Plutôt que d'engager des actions de représailles, la guerre doit être engagée contre les attaquants. C'est ce que ferait tout pays digne de ce nom. C'est à dire : le Hamas doit être vu comme un ennemi qui doit être exterminé.

Ceux qui soutiennent cette approche disent que cela doit être fait rapidement et qu'il ne faut pas laisser le temps au Hamas pour qu'il puisse s'organiser et se renforcer. Une confrontation militaire arrivera de toute façon dans le futur et il vaut mieux la livrer le plus tôt possible. Israël doit prendre l'initiative de la façon et par les moyens qui lui conviennent le mieux. En ne le faisant pas rapidement, il est assez possible que plus tard Israël ne puisse plus faire ou se permettre certaines choses…

L'inconvénient évident de cette option est qu'elle ne laisse pas le temps d'une véritable réflexion sur ce qu'Israël devrait faire pour exterminer le Hamas. Nous savons déjà qu'occuper Gaza à nouveau serait pire que d'échanger des tirs avec les Palestiniens.

Il est possible, bien sûr, que le scénario qui se met en place contienne différents éléments de toutes les options mentionnées ci-dessus. Ce qui inquiète le plus Israël en ce moment est que le Hamas choisisse une option de son côté, qui s'appelle la "hudna (trêve) unilatérale". Dans une telle situation, le Hamas n'accepterait pas les conditions qui lui ont été présentées par la communauté internationale, mais se retiendrait de commettre des actes de terrorisme et attendrait de voir ce qui se passe. Il ferait ainsi la supposition que les Israéliens, qui ont soif de sécurité et de calme immédiats, achètent cela, tout en sachant que derrière ce calme l'Iran pénètre dans des zones de plus en plus proches d'Israël et mettrait aussi la Jordanie en danger.

Une autre possibilité est que le gouvernement d'Israël, dirigé par le nouveau Premier ministre Ehud Olmert, engage une manœuvre massive de désengagement et de convergence. Une telle manœuvre diminuerait l'occupation israélienne et le contrôle de la population palestinienne. Le Hamas verrait cela comme une nouvelle fuite d'Israël. Mais les Palestiniens, et pas seulement le Hamas, refuseront de voir la ligne de la nouvelle "convergence" comme une frontière acceptée de fait. Il est possible qu'une telle manœuvre rende les choses plus faciles militairement pour Israël, mais il est clair que la nouvelle ligne qui serait dessinée servirait aussi de nouvelle base pour la poursuite de la guerre contre Israël, comme ce fut le cas à Gaza. Si Israël a la chance d'être soutenu internationalement, ce sera essentiellement dans la poursuite de son adhésion à la feuille de route, même si elle n'est pas idéale.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

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[1] Shabbes goy : terme yiddish pour désigner un goy (un non-Juif) qui est employé par une famille juive pratiquante afin d'effectuer les tâches que les Juifs ne peuvent faire lors du shabbat (allumer et éteindre la lumière, préparer la cuisine, etc.). Par extension, un non-Juif qui "sert la soupe" aux Juifs. Autrefois, Colin Powell a servi en tant que shabbes goy à New York.