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     Une stratégie vis-à-vis du Hamas
qui n'est acceptable qu'en théorie
    Par Shmuel Rosner, correspondant en chef de Haaretz aux Etats-Unis
Rosner's blog
, lundi 20 février 2006

Il se peut que punir les Palestiniens soit une mauvaise chose. C'est ce que beaucoup de personnes ont déclaré ces derniers jours. Peut-être ce peuple veut-il la paix avec Israël, peut-être que le Hamas va changer et peut-être que Abbas va diriger. Il est peut-être trop tôt pour juger, il se peut qu'ils aient un gouvernement de bureaucrates ou peut-être que ce qu'ils disent n'est pas très important, mais c'est ce qu'ils font qui l'est. Il est peut-être temps d'envisager de discuter avec le Hamas. Peut-être est-ce la faute d'Israël (ou des Etats-Unis) si le Hamas a gagné les élections.

Ecoutez attentivement tout cela, puisque vous allez l'entendre encore et encore dans les prochaines semaines (ou mois). Et si vous pensez qu'il ne s'agit que de la Palestine, réfléchissez-y une seconde fois : les mêmes arguments seront utilisés par les dirigeants qui s'opposent aux sanctions contre l'Iran.

Et bien, ce que l'on peut dire : les sanctions constituent une vilaine affaire. Vous visez toujours les dirigeants et faites du mal au "peuple". C'est quasiment inévitable. Alors, il y a un autre peut-être : peut-être que les sanctions sont toujours mauvaises. Mais quelles sont les autres alternatives ?

Il y a deux dogmes de pensée à la suite de l'élection palestinienne et de la victoire du Hamas. Le premier, mettons-leur une grosse pression et forçons-les à changer ou à s'effondrer. L'autre, impliquons-les et faisons-les changer progressivement. On peut arguer que les deux façons peuvent marcher, ou échouer, mais une chose est assez claire : vous ne pouvez pas faire les deux en même temps. Si vous voulez les forcer, ne vous déstabilisez pas en laissant trop de liberté à la manœuvre — si vous voulez les impliquer, ne perdez pas de temps en vous aliénant la population qui souffre. Bien sûr, vous pouvez commencer par la première solution et ensuite passer à l'autre, ou vice-versa, mais vous devez laisser assez de temps, quelle que soit la solution choisie, pour que ça puisse marcher avant d'essayer l'autre solution.

Mais que s'est-il passé avec le Hamas ? Une décision a été prise, et puis, presque immédiatement, elle a commencé à s'éroder. Le gouvernement israélien a été assez naïf pour ne pas remarquer que l'étonnement, voire la panique, après la soudaine victoire du Hamas s'est évaporé rapidement. Les Russes ont décidé d'engager des discussions, les Nations-Unies se sont plaintes des actions d'Israël et les Egyptiens ont commencé à arbitrer. Mais Israël a continué d'agir dans la même direction — pensant que le monde l'accepterait — et a suspendu le transfert des recettes de taxes vers l'Autorité Palestinienne. Est-ce que cela fera du mal au peuple palestinien ? Oui, bien sûr. Est-ce bien ? Non, pas du tout. Est-ce nécessaire ? Et bien, si votre intention est de montrer vos muscles, peut-être. Mais vous savez quoi ? Ça ne marchera pas. Le monde n'est pas prêt pour cela et ne le soutiendra pas à long terme.

Israël a toujours su utiliser des moyens sévères contre les Palestiniens (et d'autres) lorsqu'ils se servaient de la terreur pour tuer des civils innocents. Toutefois, suivre activement une stratégie qui fait du mal aux civils innocents de l'autre côté, en l'absence de victimes du côté israélien, est une histoire complètement différente. Pensez simplement à la destruction de la centrale nucléaire irakienne en 1981 : le monde ne l'accepta pas (alors) car il n'y avait pas eu d'actions contre Israël à la l'époque justifiant cette attaque. Le concept : "faisons quelque chose dès maintenant pour éviter un plus gros problème plus tard" est acceptable en théorie — mais pratiquement jamais dans la réalité. Il ne faut pas s'étonner si ça ne marche pas aujourd'hui. Il ne faut pas s'étonner que la pression se soit déplacée sur Israël pour que nous montrions un peu de retenue.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon