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     Le messager de mort de l'Amérique
    Par Shmuel Rosner, correspondant en chef de Haaretz aux Etats-Unis
Rosner's blog
, mercredi 19 juillet 2006

WASHINGTON — En face du quartier général de l'O.N.U, à New York, la Sénatrice Hillary Clinton (Démocrate, New York), se tenait sur un petit podium, orné du symbole de la Conférence des Présidents des Organisations Juives Majeures, pour donner un discours à la louange d'Israël. Derrière elle et à ses côtés, un groupe d'hommes en gris : Danny Gillerman, ambassadeur d'Israël auprès de l'O.N.U., Malcolm Hoenlein, président de la Conférence des Présidents, Arye Mekel, le Consul Général d'Israël à New York. Momifiés dans leurs cravates sous la chaleur étouffante de la côte Est, la mine sérieuse et hochant la tête. "Nous nous tiendrons aux côtés d'Israël, parce qu'Israël représente aussi bien les valeurs américaines que les valeurs israéliennes", a déclaré Clinton. Voici le tableau : toute la Torah des affaires étrangères avec les pieds légèrement moites.

Beaucoup a été dit lundi, dans ces colonnes, sur le voyage à venir de la Secrétaire d'Etat américaine au Moyen-Orient, un voyage que son porte-parole a promis lors du briefing quotidien aux journalistes. Toutefois, ce n'est pas de ce voyage qu'il s'agit, mais plutôt de son absence, de son report à une date inconnue. Et lorsque que cette date arrivera, a déclaré le porte-parole, la Secrétaire traitera des causes de la crise — les actions violentes du Hezbollah dans la zone proche de la frontière et au-delà. Le Président George W. Bush, qui, avec son charme texan typique, a été pris à jurer dans un microphone resté ouvert, n'a pas laissé beaucoup de place à l'interprétation : Non seulement l'Amérique n'est pas opposée à l'attaque israélienne, mais elle l'encourage aussi. Et pour une raison qui correspond bien à celle que Clinton a mentionnée : Cela représente un intérêt américain clair.

"Le monde", a déclaré le Président Woodrow Wilson, lors de l'une de ses fameuses interventions publiques, "doit être rendu sûr pour la démocratie". Et l'administration Bush, qui a placé la démocratisation du monde arabe en tête de son agenda, a identifié au Liban un potentiel qui n'a pas encore été entièrement réalisé. "La Révolution du Cèdre", qui a repoussé la Syrie de l'autre côté de la frontière, était perçue ici [aux Etats-Unis] comme une réussite américaine. La Secrétaire d'Etat Condoleeza Rice l'a célébrée lors de visites à Beyrouth et de déclarations solennelles mettant en avant un avenir prometteur.

Pour la Résolution 1559 du Conseil de Sécurité de l'ONU, l'administration [Bush] s'est associée au Français — ces derniers ayant contribué à la première partie, qui prend ses distances avec la Syrie, les Américains à la deuxième, qui exige le désarmement du Hezbollah. Mais les Américains ont rencontré un problème. La partie française a été exécutée, la provision américaine a été négligée, reportée et s'est évaporée — mais néanmoins, ils savaient que leur heure allait arriver, parce que sans eux il n'y aura pas de Liban qui sera rendu sûr pour la démocratie. L'expérimentation américaine en Irak, en Palestine et au Liban a donné naissance à une nouvelle variété infertile pour le format démocratique : un gouvernement élu qui est légitime, mais trop faible pour s'occuper des milices armées qui font ce qu'elles veulent sur son territoire, sous la direction d'éléments extérieurs comme la Syrie et l'Iran.

Si ce problème n'est pas réglé comme il faut, la campagne de Bush pour réformer la région ne réussira pas. Par conséquent, il a juré de continuer de combattre en Irak. Mais en Palestine et au Liban, il a confié les clés à un voisin loyal qui partage des valeurs communes avec l'Amérique — même s'il n'a pas nécessairement un enthousiasme démesuré pour cette vision de la démocratisation. En tout cas, en décidant de soutenir son action, ce n'est pas juste la sécurité d'Israël que les décideurs de l'administration ont en tête, mais aussi celle de l'Amérique.

L'action israélienne au Liban n'est pas une gêne, c'est plutôt une occasion. Un Liban démocratique — vraiment démocratique, sans le ralentisseur que constitue le Hezbollah — est le moyen de mettre à l'épreuve la vision de Bush. Dissuader la Syrie et la renvoyer à ses dimensions naturelles et misérables est aussi une aspiration constante américaine, vu les provocations et les obstacles, sur tous les fronts, que Bashir el-Assad, le président syrien, met en travers de cette administration. Il estime que le bras de l'Amérique est trop court pour lui faire mal en ce moment. À tel point, qu'il est même possible de trouver des gens à Washington qui sont légèrement déçus par la décision d'Israël de ne pas attaquer la Syrie en même temps.

Martin Indyk, l'ancien sous-secrétaire d'Etat dans l'administration Clinton et ancien ambassadeur [américains] en Israël, expliquait à Haaretz hier que les Etats-Unis ne disposent d'aucun levier sur le Hezbollah, à part "à travers l'usage de la force par Israël". Par conséquent, Israël a trouvé le moyen de récompenser l'administration [Bush] pour son attitude de soutien pendant les six années de l'administration Bush et de prouver ce qui, dans certains cercles, a été presque oublié : l'importance de la puissance de cette région pour le grand pouvoir. Ce que le Président John F. Kennedy fit dans les années soixante à contre-cœur lorsqu'il menaça du fouet israélien le panarabisme déchaîné égypto-syrien, Bush le fait aujourd'hui sans état d'âme dans un Moyen-Orient qui est difficilement moins turbulent et moins dangereux.

Est-ce un problème (d'être un outil comme cela) ? a-t-on demandé hier à un responsable israélien. Israël veut-il vraiment être le messager de mort de l'intérêt américain ? Tout d'abord, a-t-il répondu, il y a aussi un intérêt pour les Israéliens, ici — donc il n'existe pas de réel dilemme —, et, deuxièmement, il vaut mieux qu'Israël soit utilisé de cette façon, ce qui assure que ce n'est pas que le sourire enchanteur du Premier ministre Ehoud Olmert qui motive le soutien américain à Israël, qui lui sera aussi nécessaire dans le futur.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon