accueil > archives > éditos


Laissez le Liban vivre !

Par Zvi Bar'el,

Haaretz, dimanche 24 juillet 2006

Ces 10 derniers jours, le Liban a été transformé en un pays transparent. Un demi-million de réfugiés libanais, le chaume des maisons démolies et les convois de nourriture et de médicaments, qui n'atteignent pas leur destination, ne sont rien d'autre qu'un décor insignifiant. Pour la communauté internationale et sûrement aux yeux d'Israël, voilà à quoi cela ressemble. On peut supposer que si Israël avait forcé un demi-million de Palestiniens à s'enfuir pour survivre, il se retrouverait en ce moment-même devant un tribunal international. Mais au Liban, tout passe.

L'absurdité de cette position condescendante qui place la responsabilité sur le gouvernement libanais pour ce qui est arrivé et qui arrivera, dérive de cela. C'est aussi la raison du mensonge grossier et qui gagne du soutien, selon lequel les Libanais veulent que les FDI continuent de pilonner leur pays au nom de la guerre contre le Hezbollah.

Avant cette guerre, le Liban était le rêve de tous ceux qui croient au multiculturalisme. C'est le seul Etat qui garantit les mêmes droits à quelques 18 groupes ethniques et sectes, qui a réussi, bien qu'avec grande difficulté, à construire un système politique équilibré et qui a reçu du monde entier, l'année dernière, des applaudissements nourris pour avoir chassé un occupant étranger : la Syrie. Ce pays allait dans la bonne direction, la croissance économique surgissait, les réserves en devises étrangères s'empilaient - atteignant quelques 9 milliards d'Euros - et le tourisme était florissant. On prévoyait que cette année serait la meilleure de toutes pour le tourisme.

Pour les esprits militaires qui ne s'intéressent qu'aux cibles, le Liban était un pays qui avait beaucoup à perdre. Mais il avait fait aussi beaucoup pour neutraliser les dangers qui se trouvaient à ses portes. Le dialogue national en cours dans le pays avait pour but d'établir une formule, que toutes les factions politiques, y compris le Hezbollah, accepteraient, pour une application raisonnable de la Résolution 1559 du Conseil de Sécurité de l'ONU. La nouvelle direction libanaise avait compris que pour désarmer le Hezbollah elle devrait libérer les Fermes de Shaba.[1] Des pourparlers avaient d'ailleurs déjà commencé sur le sujet, avec le raisonnement que si Israël acceptait de se retirer de Shaba, le Hezbollah n'aurait plus d'excuse pour porter les armes. Des pourparlers étaient aussi en cours afin de coopter les hommes du Hezbollah et leurs armes au sein de l'armée libanaise et aussi de discuter - certains appellent cela des accords - des moyens pour préserver la tranquillité au sud-Liban.

Plus important, la nouvelle direction politique et le public libanais avaient renforcé le Hezbollah dans sa compréhension que pour continuer d'exister en tant qu'entité politique, il ne suffit pas de résister à Israël et de lui faire la guerre. Les positions pro-syriennes, pro-iraniennes et même pro-palestiniennes ne pouvaient plus servir de symbole de l'honneur pour une organisation qui voulait se présenter comme libanaise dans l'âme et en esprit. Officiellement, Hassan Nasrallah soutenait même le désarmement des Palestiniens vivant à l'extérieur des camps de réfugiés, à condition que cela n'ait pas d'effet sur ses rangs.

La reconnaissance de cette structure politique aurait aussi évité l'argument illogique selon lequel le kidnapping des soldats était destiné à supprimer les obligations internationales de l'Iran. Si Nasrallah ne s'attendait pas à une réaction israélienne aussi dure - selon un expert, "il a été sincèrement étonné" - il n'aurait pas eu la garantie que son "show" déplace le centre d'intérêt de l'Iran.

En fait, il serait plus futé d'arriver à la conclusion que cette attaque-kidnapping est le résultat de la politique intérieure libanaise. Entre autre, Nasrallah a besoin de pouvoir, afin de montrer sa force face aux pressions intérieures qui se resserrent sur lui et pour libérer les prisonniers qu'il a promis de libérer. Pourquoi quelque chose, qui semble naturelle pour un Etat, paraît inappropriée pour une organisation ?

La structure politique du Liban existe toujours et il y a des forces qui peuvent établir l'ordre du jour. À ce moment de la guerre, lorsqu'une partie des Libanais sera prête à retourner sa colère contre le Hezbollah et pas seulement contre Israël, il se pourrait que la politique libanaise accomplisse des choses très impressionnantes. Peut-être pas le désarmement, mais peut-être le déploiement de l'armée libanaise au sud ; peut-être pas un retour immédiat des soldats, mais un refus de légitimer les activités militaires du Hezbollah. Ce ne sont pas des objectifs mineurs, surtout quand il n'y a aucune certitude que les actions militaires d'Israël au Liban, qui ne font que s'intensifier dans leur brutalité, aboutiront à quelque chose de mieux. Et à condition que nous laissions le Liban vivre !
_________________________

Note :

[1] [NdT] : Ces terres en litige, connue sous le nom "Les Fermes de Shaba" sont situées le long de la frontière entre le Liban et Israël, à la pointe nord du Plateau du Golan, des terres détenues par Israël depuis la fin de la Guerre des Six Jours, en 1967. [Les Fermes de Shaba sont nommées par les Israéliens "Har Dov" - le Mont David] Les terres des Fermes de Shaba sont considérées par Israël comme des terres prises à la Syrie.

La frontière internationalement reconnue entre le Liban et Israël se base sur la ligne de démarcation entre la Palestine, la Syrie et le Liban, dont les Français et les Anglais ont fait l'étude topographique en 1923. Cette même frontière a été établie comme la Ligne de Démarcation d'Armistice (LDA) par l'Accord Général d'Armistice Israélo-libanais, signé le 23 mars 1949, à la fin de la Guerre d'Indépendance. Jusqu'en 1978, ni le Liban, ni Israël n'occupaient aucun territoire en violation de la ligne de démarcation.

Lorsque les Forces Israéliennes envahirent le Liban en 1978, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies vota la Résolution 425, qui appelait Israël à "retirer sur-le-champ ses forces de tout le territoire libanais" et qui établissait la Force Intérimaire des Nations-Unies au Liban [la FINUL], "dans le but de confirmer le retrait des forces israéliennes". La position officielle de l'O.N.U. a toujours été que la Résolution 425 exigeait le retrait des forces israéliennes à la ligne de séparation d'avant 1978, c'est à dire, la LDA de 1949.

Jusqu'en 1999, le Liban appuyait cette position ; la LDA de 1949 était considérée comme étant la frontière et la Résolution 425 signifiait le retrait de l'autre côté de cette ligne. Les fermiers libanais étaient autorisés à traverser la frontière pour travailler dans les champs qui se trouvaient du côté sud, considérés être en Israël. Mais fin 1999, le Liban, sous la pression de la Syrie, commença à émettre des revendications territoriales sur les villages de la zone des Fermes de Shaba, au sud de la LDA de 1949.

Lorsque les contrôleurs de l'O.N.U. marquèrent la Ligne Bleue entre le Liban et Israël en été 2000, après le retrait d'Israël du Liban, ils déterminèrent que les Fermes de Shaba se trouvaient du côté israélien, c'est à dire, sur des terres qui serait sujettes à des négociations de paix entre Israël et la Syrie, à un moment ou à un autre dans le futur.

Depuis le retrait israélien, le Hezbollah a gardé sur le feu la querelle concernant Les Fermes de Shaba, affirmant qu'il détenait des preuves soutenant la revendication libanaise sur ces terres. Cette affaire leur donne un prétexte pour attaquer Israël, qui détient des terres que le Hezbollah considère toujours comme faisant partie du Liban ; donc, le Hezbollah soutient qu'Israël ne s'est pas encore totalement retiré du Liban.

Mais les Nations-Unies sont d'accord avec Israël, comme cette citation du rapport de leur Secrétaire Général le montre clairement :

Le 15 mai 2000, les Nations-Unies ont reçu une carte, datée de 1966, de la part du gouvernement libanais qui reflétait la position du Gouvernement selon laquelle ces terres arables étaient situées au Liban. Cependant, les Nations-Unies sont en possession de 10 autres cartes émises après 1966 par différentes institutions libanaises, y compris le Ministère de la Défense et l'armée, toutes plaçant ces terres arables dans la République Arabe Syrienne. Les Nations-Unies ont aussi examiné six cartes émises par le Gouvernement de la République Arabe Syrienne, y compris trois cartes postérieures à 1966, qui placent ces terres arables à l'intérieur de la République Arabe Syrienne.

La Syrie et l'Ian ont apporté leur soutien au Hezbollah, afin de maintenir la pression sur Israël et les Etats-Unis. Identifiant cela, Israël a choisi de répondre à certaines attaques du Hezbollah contre les FDI en attaquant des cibles syriennes au Liban ; parmi elles, une position radar syrienne à Dahar al-Bader, sur l'autoroute Damas-Beyrouth. Cela faisait clairement comprendre qu'Israël avait la capacité d'attaquer directement le patron du Hezbollah - la Syrie - lorsqu'il est suffisamment provoqué. En mars 2002, tandis qu'Israël menait son Opération Bouclier de Défense, le Hezbollah accrut du Liban ses attaques transfrontalières, comme "deuxième front" en soutien aux Arabes palestiniens.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]