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Ismail Haniyeh : Dans les pas d'Arafat

Par Amira Hass
Haaretz, 2 février 2006


AFP/PATRICK BAZ
Ismail Haniyeh, tête de liste du Hamas lors des élections législatives, vendredi 27 janvier.

Il était inutile de demander à Ismail Haniyeh, tête de la liste victorieuse du Hamas, si son mouvement reconnaîtrait le droit d'Israël à exister. Et cela, pour deux raisons.

D'abord, sa réponse était évidente - non, le mouvement ne reconnaîtrait pas le droit d'Israël à exister. Certains disent que c'est pour des raisons religieuses, puisque la Palestine est un Waqf[1] musulman. D'autres disent que la raison est purement nationaliste - le parti banni ne peut pas reconnaître le droit de l'occupant d'usurper sa terre. D'autres disent encore que le Hamas est très étroitement lié au mouvement des Frères Musulmans, qui est seul autorisé - mais il est peu probable qu'il le fera - à changer sa position de base.

La suite de cette réponse est tout aussi évidente. Le Hamas, en tant que mouvement pragmatique, ne peut pas ignorer la réalité et les souhaits de sa nation. Lorsque l'Etat palestinien sera établi sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza - c'est à dire, lorsque Israël reconnaîtra le droit des Palestiniens à avoir un Etat viable - il y aura de la place pour parler des relations entre les deux Etats. La réalité est plus forte que tout principe et toute théorie, et si les deux parties entretiennent de bonnes relations de voisinage, pourquoi chacune voudrait-elle détruire l'autre ?

La deuxième raison est que la question découle de la position condescendante d'Israël qui croit à la supériorité des Juifs sur les autres races et notamment les Palestiniens. C'est cette position d'Israël qui dicte le programme des médias, qui dressent le portrait des Palestiniens comme encore un autre persécuteur dans une chaîne historique de persécuteurs des Juifs, et Israël étant la victime. Ces émissions et ces publications dénaturent la réalité plutôt que de l'illuminer.

Israël ne reconnaît pas tous les droits des Palestiniens en matière de logement, de propriété terrienne, d'arbres et de relations familiales ou leurs droits à étudier ou à se déplacer librement. Israël enfreint quotidiennement ces droits. Il sabote systématiquement les chances de faire appliquer une résolution des Nations-Unies en vue d'établir un Etat palestinien aux côtés d'Israël. La victoire du Hamas et sa non-reconnaissance d'Israël sont utilisés par Israël comme prétexte pour stopper des négociations qui de toute façon n'avaient pas lieu. C'est aussi une excuse pour éviter les initiatives de paix qui, en premier lieu, n'ont jamais existées.

La question de la non-reconnaissance est intéressante en tant qu'élément du tableau général que le mouvement du Hamas présente à son public. Mais ce n'est pas la question la plus importante. La non-reconnaissance est présentée comme preuve de la détermination d'un mouvement luttant contre l'occupation ; une détermination qui se trouve à la base de la réussite pratique.

"L'occupation s'est retirée de Gaza et aujourd'hui on parle du retrait d'une grande partie de la Cisjordanie", a déclaré Haniyeh dans une interview qu'il a donnée cette semaine à Haaretz. "La situation à Gaza est meilleure qu'avant et c'est le résultat de la résistance armée". Il a réitéré la croyance qui prévaut parmi les supporters du Hamas selon laquelle la situation économique, sécuritaire et politique d'Israël s'est grandement détériorée. Ceci explique la souffrance subie par leur peuple dans le cycle de violence des cinq dernières années.

S'exprimant sur la libération de Gaza et de l'amélioration de sa situation, Haniyeh ressemble à Yasser Arafat. Arafat se vantait au milieu des années 90 que Jénine était "libérée" parce que l'armée israélienne s'y était retirée, comme elle l'avait fait de Ramallah et même de la plus grande partie de ville d'Hébron. Arafat définissait "l'occupation" d'une façon démodée - juste une présence militaire. Cela occultait le contrôle sur la liberté de choix d'une nation, la manipulation de son présent ou de son futur, et ses options de développement. Il mesurait "l'accomplissement" par le nombre de Palestiniens qu'il contrôlait et qui étaient assujettis à ses branches de sécurité, plutôt que l'extension de leur liberté - parce qu'il n'y a aucune liberté dans des enclaves entourées par une armée d'occupation.

À l'instar de beaucoup au sein du mouvement du Fatah et du camp de la paix israélien, Arafat croyait qu'Israël était un partenaire dans la logique du processus d'Oslo, qui parlait d'un retrait progressif de l'occupation. D'abord, 4% de la Cisjordanie devaient être "libérés" et ensuite le reste. Le problème est que les gouvernements successifs d'Israël, de Yitzhak Rabin à Shimon Pérès en passant par Ehud Barak et Ariel Sharon, ont pris avantage du processus progressif pour fixer la définition des "frontières" des enclaves palestiniennes au moyen d'implantations, de routes et de confiscation de terres. Ils ont exploité le principe de la progressivité pour améliorer leur contrôle non-militaire sur les Palestiniens, essentiellement en imposant de façon croissante des restrictions plus dures sur leur liberté de mouvement.

Il s'avère que Haniyeh croit aussi en un retrait progressif de l'occupation, ignorant la façon habile avec laquelle Israël perpétue pendant ce temps son accaparement des terres de Cisjordanie. Comme Arafat, Haniyeh utilise la vieille définition de l'occupation consistant à une présence militaire, ignorant les méthodes de l'occupation qui limitent la liberté de son peuple.

Il est raisonnable de supposer que le Hamas pourra apporter une part considérable des biens que Haniyeh promet aujourd'hui à son peuple : améliorer le fonctionnement du secteur public, la gestion propre des finances, l'écoute du public et même la sécurité publique. Mais la libération ? La liberté ? Avec les moyens qui étaient supposés libérer Gaza ? Il semble que Haniyeh ne sous-estime pas seulement le contrôle d'Israël sur la Bande de Gaza, mais qu'il a surtout des difficultés à imaginer ce qui se passe en Cisjordanie. Par conséquent, il pourra louer les retraits attendus, unilatéraux et irrévocables en Cisjordanie et les présenter comme une autre victoire de la résistance palestinienne.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon

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[1] Qu'est ce que le Waqf ?

Le Waqf qui signifie étymologiquement " l'emprisonnement d'un bien légué dans le but de l'exploiter à des fins autres que son propre usage " , est l'immobilisation d'un bien pour le faire fructifier et en donner le bénéfice aux pauvres. En d'autres termes, le Waqf est une sadaqa ou aumône continue dont les récompenses, l'utilité et les effets qui en découlent augmentent durant la vie du donateur et continuent après sa mort ; ses bénéfices étant distribués chaque année (fonds de roulement).

Un des premiers Waqf a été fait par Omar Ibn Al Khattâb (compagnon du Prophète) qui est venu voir un jour le Prophète en disant : "Oh! Prophète de Dieu, j'ai gagné à Khaybar des richesses comme je n'en ai jamais gagné auparavant. Que veux-tu que j'en fasse ? "Le Prophète d'Allah (SWS) dit :" Si tu le veux, tu peux conserver la partie initiatrice et donner ses bénéfices en charité de telle sorte que cette partie initiatrice ne puisse être vendue, achetée, donnée en cadeau ou léguée. "

Pendant ses années de prospérité, la nation musulmane a entrepris de continuer la sunna du Waqf, conservant la partie investie tout en affectant les bénéfices et les produits des rentes aux causes nobles. Ceci devînt une grande ressource pour les causes charitables au sein de la communauté musulmane.

L'histoire témoigne de l'importance du Waqf dans l'édification des mosquées et des institutions scientifiques ainsi que la prise en charge de l'hébergement des étudiants et les salaires des professeurs.

Dans le domaine de l'éducation et de la recherche scientifique, les fonds du Waqf financèrent quelques-uns parmi les plus grands travaux médicaux tels que le livre de Ibn-Rushd (Averroès) " Al-Kuliyât Fit-tibb " qui fut plus tard traduit dans plusieurs langues et devint la référence de base pour enseigner la médecine dans le monde occidental. Il faut citer aussi le livre d'Al-Kazi " Al-Haawi "'le livre de Ibn-Sina (Avicenne) " Al-Qânoun " et " Al-Kuliyât " le livre écrit par Ali Ibn-Issa, l'ophtalmologue renommé.

Dans le domaine des services de la santé, les fonds du Waqf ont été utilisés pour la construction de l'hôpital et l'école de médecine de Dar Al-Shifa en Egypte en 875 AH, le complexe médical Mouristâne à Bagdad et l'hôpital Mansûri, pour les bénéfices desquels Ibn-Annafîss - celui qui découvrit le système circulatoire - donna sa maison et sa bibliothèque comme Waqf. Dans la seule cité d'Andalousie de Cordoba, il y avait quelque 500 hôpitaux soutenus par les Waqfs.

De riches musulmans donnèrent en Waqf les terres situées dans un rayon de 100 mètres de chaque côté de la ligne de chemin de fer s'étendant depuis Istanbul jusqu'à Bagdad et Médine. Sans compter les milliers d'auberges pour les voyageurs, les provisions pour les orphelins et les fontaines.

(source : secours islamique)