En ce moment même, il y a pratiquement un consensus sacré selon lequel cette guerre dans le Nord est une guerre juste et que la moralité est de notre côté. La vérité amère doit être dite : ce consensus sacré se base sur une mémoire sélective à courte-portée, une vue introvertie du monde et un double langage.
Cette guerre n'est pas une guerre juste. Israël utilise une force excessive sans faire la distinction entre la population civile et l'ennemi, dont le seul but est l'extorsion. Cela ne veut pas dire que la moralité et la justice sont du côté du Hezbollah. Pas le moins du monde ! Mais le fait que le Hezbollah "l'ait commencée" lorsqu'il a kidnappé des soldats en traversant une frontière internationale ne commence même pas à faire pencher de notre côté la balance de la justice.
Commençons par quelques faits ! En 1982, nous avons envahi un Etat souverain et occupé sa capitale. Dans le processus de cette occupation, nous avons largué plusieurs tonnes de bombes par voies aérienne, terrestre et maritime, ce qui a tué et blessé des milliers de civils. Environ 14.000 civils ont été tués entre juin et septembre 1982, selon des estimations conservatrices. La majorité de ces civils n'avaient rien à voir avec l'OLP, qui a fourni le prétexte officiel pour mener cette guerre.
Dans les opérations "Rendre des Comptes" et "Raisins de la Colère", nous avons causé, à chaque fois, la fuite massive d'environ 500.000 réfugiés du sud-Liban. Il n'y a pas de données exactes sur le nombre des pertes lors de ces opérations, mais on peut se souvenir que dans l'Opération Raisins de la Colère, nous avions bombardé un abri dans le village de Kafar Kana qui causa la mort de 103 civils. Le bombardement a peut-être été accidentel, mais cela n'a pas rendu cette opération plus morale.
Le 28 juillet 1989, nous avons kidnappé Cheikh Obeid et, le 12 mai 1994, nous avons kidnappé Moustafa Dirani, qui avait capturé Ron Arad. Israël détenait ces deux personnes et une vingtaine d'autres détenus libanais sans procès, pour servir de "monnaie d'échange". Bien sûr, ce qui nous est permis est interdit au Hezbollah.
Le Hezbollah a traversé une frontière reconnue par la communauté internationale. C'est vrai. Mais ce que nous oublions, c'est que depuis notre retrait du Liban, l'Armée de l'Air d'Israël a mené des sorties quotidiennes de photo-surveillance dans l'espace aérien libanais. Tandis que ces vols n'ont causé aucunes victimes, les violations de frontière sont des violations de frontière. Là encore, la moralité n'est pas de notre côté.
Voilà pour l'histoire de la moralité. Maintenant, voyons les affaires actuelles. Quelle est la différence exacte entre lancer des Katyusha sur des centres peuplés en Israël et l'Armée de l'Air israélienne bombardant des centres peuplés au sud de Beyrouth, à Tyr, Sidon et Tripoli ? Les FDI ont tiré des milliers d'obus sur les villages du sud-Liban, prétendant que les hommes du Hezbollah se cachent parmi la population civile. À ce jour, environ 25 civils israéliens ont été tués à la suite des tirs de missiles Katyusha. Au Liban, le nombre de morts, dont la vaste majorité comprend des civils qui n'ont rien à voir avec le Hezbollah, est de plus de 300.
Pire encore, bombarder des cibles d'infrastructures telles que des centrales électrique, des ponts et autres équipements civils, fait de l'ensemble de la population libanaise une victime et un otage, même si nous ne touchons pas les civils physiquement. L'utilisation des bombardements pour atteindre des objectifs diplomatiques - pour appeler un chat un chat : exercer des moyens de coercition sur le gouvernement libanais pour qu'il applique la Résolution 1559 du Conseil de Sécurité de l'ONU - est une tentative de chantage politique et rien de moins que le kidnapping des soldats des FDI par le Hezbollah a pour objectif d'amener à un échange de prisonniers.
Il y a un aspect de propagande dans cette guerre et cela implique une concurrence sur celui qui est le plus malheureux. Chaque côté essaye de persuader le monde qu'il est le plus malheureux. Comme dans toute campagne de propagande, l'utilisation de l'information est sélective, déformée et auto-satisfaisante. Si nous voulons baser notre information (ou devrions-nous dire propagande ?) sur la supposition que l'environnement international va acheter la marchandise douteuse que nous lui vendons, que ce soit à cause de l'ignorance ou de l'hypocrisie, alors parfait. Mais en termes de notre propre débat intérieur national, nous nous devons de confronter la vérité amère - peut-être gagnerons-nous ce conflit sur le terrain militaire, peut-être engrangerons-nous quelques gains diplomatiques, mais sur le plan moral, nous ne disposons d'aucun avantage et nous n'avons pas de statut particulier.
L'auteur de cet article est professeur de sciences politiques à l'université de Tel Aviv.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]