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Succession d'Arafat : Une Période Périlleuse en Perspective

Par Laura King, rédactrice au Los AngelesTimes

11 novembre 2004


JERUSALEM - La mort de Yasser Arafat pourrait aider à faire sauter le blocage dans les initiatives de paix israélo-palestiniennes et permettrait peut-être aussi d'ouvrir la voie à un réalignement politique, ont déclaré les commentateurs et les dirigeants politiques du Moyen-Orient.

Pourtant, la période de transition sera périlleuse. Il est probable qu'elle sera marquée non seulement par des batailles de succession entre les factions palestiniennes mais aussi par l'apparition d'un changement tant attendu dans une société qui, comme son ancien dirigeant, a semblé quelque peu figée dans le temps.

Arafat, qui est mort aujourd'hui, était tout à fait dans le moule des dirigeants autocratiques du Moyen-Orient qui n'ont rendu leur pouvoir que dans la mort.

Bien que le dirigeant âgé de 75 ans ait plutôt présidé un mouvement national qu'une nation, il é été pendant des décennies synonyme, aux yeux de son peuple, d'un état palestinien en devenir.

Le prestige personnel d'Arafat parmi les Palestiniens lui a conféré l'autorité pour prendre des décisions capitales, telles que l'adoption des accords de paix intérimaires d'Oslo - scellés par sa fameuse poignée de main sur la pelouse de la Maison-Blanche en 1993 avec le premier ministre israélien de l'époque, Yitzhak Rabin - et qui furent censées avoir été le point culminant de l'établissement d'un état palestinien [1]

Mais son statu, disent certains politologues, a aussi donné à Arafat la capacité de déjouer unilatéralement les initiatives de paix. Israël le considérait comme l'architecte en chef du soulèvement palestinien sanglant qui entre aujourd'hui dans sa cinquième année - bien que des députés israéliens de première importance reconnaissent en privé les graves erreurs et les occasions manquées de leur côté aussi.

Plus d'un an avant la mort d'Arafat, Israël et les Palestiniens ont tout simplement cessé de se parler. La dernière rencontre à haut niveau a eu lieu en été 2003, entre le premier ministre israélien Ariel Sharon et Mahmoud Abbas, qui était alors le premier ministre palestinien. Mis à part quelques pistes de négociation informelle, elles se sont toutes asséchées longtemps avant cette date.

"C'est une occasion unique pour Israël de changer le cours des choses," a dit Ephraïm Sneh, un député israélien d'opposition et autrefois ministre adjoint à la défense. La disparition d'Arafat "exige une adaptation avec la nouvelle direction palestinienne," a-t-il dit. "C'est une vraie chance, et si nous la ratons, nous le regretterons pendant des générations."

Mais personne ne croit que le rétablissement des relations sera chose facile.

"Une fenêtre va s'ouvrir, mais dans l'avenir immédiat, puisque le successeur d'Arafat ne sera pas une seule personne, mais plutôt un groupe de personnes qui rempliront ensemble les rôles qu'Arafat tenaient lui-même" a déclaré Amos Malka, un ancien chef des renseignements militaires israéliens "les deux parties ont besoin de temps pour avancer."

Ni les observateurs israéliens, ni les observateurs palestiniens ne rejètent la possibilité d'une éruption sérieuse de violence lors de la course au pouvoir de l'ère post-Arafat. Même si son influence s'est estompée dans ces dernières années, particulièrement dans la Bande de Gaza, Arafat a toujours été capable de maintenir un équilibre fragile entre les factions rivales.

"Il est clair que notre nation traverse une étape dangereuse," a dit Cheik Ibrahim Moderis, l'imam d'une mosquée prédominante de Gaza City. "Personne ne peut nier qu'Arafat a été une sorte de soupape de sécurité."

Le premier test d'une toute nouvelle relation israélo-palestinienne pourrait survenir avant qu'Arafat ne soit enterré. Israël a vraiment peur qu'une éventuelle éruption de troubles surgisse en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza en relation avec ses funérailles.

Dans l'entrefaite, de nombreux commentateurs israéliens préconisent que l'activité militaire soit réduite au minimum afin d'éviter de mettre le feu à une confrontation inopportune.

"Clairement, Israël doit tout faire pour restreindre l'activité militaire - il ne doit pas initier de nouvelles opérations, et devrait stopper celles qui étaient déjà planifiées," a écrit le commentateur aux affaires militaires, Zeev Schiff, dans le quotidien Haaretz. "L'armée ne doit réagir qu'aux 'bombes à retardement' qui mettent en danger les vies d'Israéliens."

Si les deux parties parviennent à éviter de glisser dans cette sorte de bataille en règle qui a caractérisé les premières années de l'Intifada, les principaux groupes militants palestiniens, y compris le Hamas et le Djihad Islamique, pourraient rechercher au moins une trêve informelle avec Israël.

La mort d'Arafat pourrait, en particulier, donner le moyen au Hamas de sauver la face, et de mettre l'accent sur la recherche d'un partage du pouvoir politique dans une nouvelle structure dirigeante palestinienne plutôt que sur la lutte armée. Ces derniers 18 mois, Israël a assassiné pratiquement tous les dirigeants du Hamas à Gaza, et a éliminé des douzaines de ses principaux agents sur le terrain.

Le politologue Shaul Lishal de l'Université de Tel-Aviv a déclaré qu'il pensait qu'une coalition entre le Hamas et le Fatah - la faction d'Arafat - n'était pas du tout improbable. Une grande part de leur inimitié passée provenait de l'animosité personnelle profondément ancrée entre Arafat et des dirigeants du Hamas comme le Cheik Ahmed Yassin, qui fut assassiné par Israël en mars dernier.

"Ce qui a semblé impensable pourrait devenir un développement tout à fait plausible dans le futur," a dit Mishal.

Pendant ces dernières années, Arafat n'a produit aucun effort visible pour freiner le Hamas et le Djihad Islamique alors qu'ils étaient entrés dans une campagne d'attaques suicides visant des villes israéliennes. À la place, face au soutien populaire grandissant pour le Hamas, il a en fait rivalisé avec eux. Les Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa, une milice affiliée au Fatah, ont aussi commencé à organiser des attaques suicides.

Sharon a longtemps insisté pour dire qu'il ne traiterait pas avec tout dirigeant palestinien qui refuse de sévir contre les groupes radicaux. Mais le successeur ou les successeurs d'Arafat risquent de saper leur propre soutien intérieur s'ils paraissent céder aux exigences israéliennes, surtout au tout début de la période de transition.

La mort d'Arafat laisse Sharon dans une situation compliquée alors qu'il lutte pour faire avancer le plan israélien unilatéral de retrait de la Bande de Gaza. Faisant face à une opposition furieuse à l'intérieur de son propre parti, le Likoud, le premier ministre a soutenu pendant des mois qu'il n'y avait aucun intérêt à obtenir des concessions en échange du renoncement aux territoires parce que tant qu'Arafat restait au pouvoir, Israël n'avait aucun partenaire pour négocier. Un changement dans la direction palestinienne met fin à ce prétexte.

On dit du camp de Sharon qu'il s'inquiète qu'avec sa réélection, le Président Bush pourrait faire pression sur le premier ministre pour revenir à un plan de paix soutenu par les Etats-Unis, et connu sous le nom de "feuille de route". Ni Israël, ni les Palestiniens, n'ont avancé sérieusement pour mettre en place les exigences de ce plan, qui comprend le démantèlement par Israël de plus de 100 implantations avancées illégales en Cisjordanie.

Du côté palestinien, la méfiance à l'égard de Bush a grandi au fur et à mesure qu'il s'est rapproché de Sharon. Les Palestiniens furent rendus furieux, en avril, lorsque le Président Bush a approuvé le but affiché du dirigeant israélien de garder le contrôle de vastes blocs d'implantation en échange de la restitution de Gaza.

La disparition d'Arafat prédit déjà un plus grand désengagement des voisins arabes du conflit israélo-palestinien.

Les relations d'Arafat avec presque tous les dirigeants arabes étaient empoisonnées par l'aversion et la méfiance. Le roi de Jordanie, Abdallah II, le président égyptien Hosni Moubarak et d'autres sont restés en grande partie sur la ligne de touche partiellement à cause de leur aversion à traiter avec Arafat, comme avec Sharon.

"Moubarak considérait Arafat comme un obstacle. Le roi Abdallah n'a jamais cessé de le suspecter de comploter pour mettre le feu à la Jordanie. Les dirigeants des émirats du Golfe Persique n'ont jamais pardonné à Arafat sa coopération avec [l'ancien président irakien] Saddam Hussein lors de la première Guerre du Golfe," a écrit le politologue Smadar Peri dans le journal Yediot Aharonot.

"L'Arabie Saoudite, la Syrie et la Libye n'ont pas laissé Arafat entrer dans leur pays depuis plus de 10 ans. Le Liban… se considère lui-même victime du terrorisme d'Arafat, et le président Syrien Bashar Assad a hérité du mépris et de la répugnance que son père éprouvait vis à vis d'Arafat," a ajouté Peri. Assad a succédé à la mort de son père, Hafez, comme dirigeant de la Syrie.

Un changement seul de dirigeant ne garantit pas la réconciliation palestinienne avec Israël, a dit le politologue Daniel Polisar, directeur académique du groupe de réflexion Shalem Center à Jérusalem. Selon ce dernier et d'autres politologues, il est peut-être plus capital que ce soit l'occasion de réformes sociales et politiques - étouffées continuellement par Arafat - et qui en retour pourraient galvaniser les initiatives de paix.

"Arafat a fait de son mieux pour marginaliser ces forces de la société palestinienne, intéressées par un système plus ouvert," a dit Polisar. "À chaque fois qu'il y a eu des pressions pour permettre de plus grandes libertés politiques et civiles dans la société palestinienne, la réponse qu'Arafat a donnée est que se concentrer sur de telles questions heurterait les intérêts nationaux palestiniens dans le conflit avec Israël."

De nombreux politologues ont fait remarquer qu'avec la mort d'Arafat , Israël n'a plus de bouc-émissaire pour son blocage diplomatique avec les Palestiniens, et pour le massacre qui s'ensuit. "Dans un certain sens, Arafat était un adversaire commode," a écrit le commentateur politique Nahum Barnea dans Yediot Aharonot. "C'était facile de l'exclure et de le diaboliser… Maintenant les choses seront beaucoup plus compliquées."


Traduit de l'anglais (américain) par Jean-François Goulon


[1] [N.d.T. : C'est la version habituelle des Américains, des Israéliens et des sionistes en général. En fait, le point culminant ont été les négociations de Taba, interrompues pour cause de campagne électorale en Israël et qualifiées par le gouvernement d'Ehud Barak comme étant une avancée sans précédent en vue d'un accord de paix.

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