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   RDCongo :
Les jeux sont faits… Rien ne va plus ?
    Jean-François Goulon
le 10 novembre 2006


Le deuxième tour des présidentielles en République Démocratique du Congo propulsera-t-il ce pays-continent vers la démocratie ou un nouveau chaos ?

La communauté internationale a investi 480 millions d'euros dans le processus électoral — du jamais vu ! 25 millions d'électeurs recensés, 50.000 bureaux de vote, 85.000 observateurs internationaux, des urnes transportées par hélicoptères vers les territoires les plus difficiles d'accès… et une participation supérieure à 60%. Parfois, les électeurs ont dû marcher pendant des jours pour se rendre aux urnes dans ce pays plus grand que l'Union Européenne !

Après deux guerres qui ont fait 4 millions de morts (en partie dus à la famine et aux maladies), après le renversement du "Maréchal" en 1997 et l'assassinat de son remplaçant en 2001, après les difficiles accords de Sun City (Afrique du Sud) qui ont lancé le processus de démocratisation en 2003, nous voici dans la dernière ligne droite. Qui de Joseph Kabila ou de Jean-Pierre Bemba remportera le deuxième tour des élections présidentielles et sera de ce fait le premier président démocratiquement élu de la RDCongo?

Mauvaise question !

Jean-Pierre Bemba remportera haut la main l'Ouest du pays et Joseph Kabila, de manière encore plus flagrante, l'Est. Tout le problème est là : à l'Ouest on vote Lingala, à l'Est Swahili.

La première tâche qui attendra donc le futur président est celle de la réconciliation nationale. Kabila ne pourra pas gouverner sans Bemba, comme Bemba ne pourra pas gouverner sans Kabila. Car si la légitimité des deux hommes est incontestable sur une moitié du pays, aucun des deux n'en disposera sur l'ensemble du territoire.

Regardons cela de plus près. 11 provinces. À l'Ouest : le Bas-Congo, Kinshasa, le Bandundu, l'Equateur, les deux Kasaï. À l'Est, le Katanga, les deux Kivu, le Maniema, la province Orientale. Selon les résultats déjà publiés (plus de 60% des suffrages) voici la répartition des voix entre les deux candidats :

Bas-Congo . . . . . . . — Bemba : 75,17 % - Kabila : 24,83 %
Kinshasa . . . . . . . . — Bemba : 68,00 % - Kabila : 32,00 %
Bandundu . . . . . . . — Bemba : 70,12 % - Kabila : 29,88 %
Equateur . . . . . . . . — Bemba : 96,73 % - Kabila : 03,27 %
Kasaï Occidental . . . — Bemba : 85,82 % - Kabila : 14,18 %
Kasaï Oriental . . . . . — Bemba : 82,58 % - Kabila : 17,42 %
Maniema . . . . . . . . . — Bemba : 02,95 % - Kabila : 97,05 %
Katanga . . . . . . . . . — Bemba : 10,14 % - Kabila : 89,86 %
Sud-Kivu . . . . . . . . . — Bemba : 01,74 % - Kabila : 98,26 %
Nord-Kivu . . . . . . . . — Bemba : 03,30 % - Kabila : 96,70 %
Province Orientale . . — Bemba : 16,11 % - Kabila : 83,89 %

En langage électoral, cela s'appelle des scores sans appels — avec un bémol, toutefois, en ce qui concerne Kinshasa. À l'Ouest, les Congolais ne veulent pas de Kabila, à l'Est, c'est Bemba qu'ils rejettent. Le défi consiste donc à réconcilier entre eux les Congolais. La rencontre de mercredi entre le Président Joseph Kabila et son vice-Président Jean-Pierre Bemba est une première étape dans le processus de réconciliation et il y a de quoi se réjouir. Mais la rhétorique est un peu faible. Pour l'instant, les deux camps se sont contentés d'annoncer qu'ils ne recourraient pas à la violence pour contester les résultats et appellent leurs troupes au calme. Cela augure donc que les résultats seront contestés, selon toute vraisemblance, par le camp du vaincu. Or, comme nous venons de le voir, chaque camp gagnera magistralement sur une moitié du territoire et, par conséquent, perdra tout aussi magistralement sur l'autre.

Certains prétendent que les Occidentaux soutiendraient Joseph Kabila contre Jean-Pierre Bemba pour mettre la main sur les richesses de la RDCongo. Rien n'est plus faux ! Certes, les ressources naturelles font l'objet des plus grandes convoitises, mais il y a belle lurette que les Etats occidentaux ne les contrôlent plus. À l'heure de la mondialisation, ce sont certaines multinationales peu regardantes qui tentent de faire la pluie et le beau-temps et c'est plutôt sur les dictatures qu'elles s'appuient.

Les richesses de la RDCongo doivent bénéficier d'abord au peuple congolais. Il convient donc de ne pas confondre exploitation des richesses avec leur pillage.

Pour l'exploitation, la RDCongo a sûrement besoin des investissements et du savoir-faire étrangers. Pour le pillage, des voisins mal-intentionnés et des bandes armées suffisent — avec la collaboration des fonctionnaires corrompus du cru. Et c'est là que l'on touche le cœur du problème : la corruption généralisée érigée en système économique — ou plutôt en système anti-économique.

Le chantier qui attend la future équipe dirigeante est immense : lutte contre la corruption, établissement d'un système politique démocratique viable, engagement vers le développement économique, lutte contre la faim, contre le sida, protection de la flore et de la faune équatoriales, etc. Il faudra aussi sécuriser les frontières. Les pressions ougandaises, rwandaises, angolaises, soudanaises . . . doivent être repoussées. Les milices Interahamwe [Hutus extrémistes, auteurs en partie du génocide rwandais et ayant fui vers le Congo] devront être dissoutes d'une manière ou d'une autre . . . sans provoquer l'intervention du Rwanda comme vient de le menacer son président, Paul Kagame, lors de son voyage à Tokyo.

Seule l'unité des Congolais — de tous les Congolais — pourra lancer la RDCongo dans une nouvelle ère ! Et si les Congolais faisaient leur la devise de leur ancien colonisateur ? L'Union fait la Force . . .



JFG

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