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   Ségolène Royal : le pari perdu
d'une gauche à l'ouest
    Par Jean-François Goulon
questionscritiques, le 5 mai 2007


© 2007 Dave Brown - The Independent

Après le choc de 2002, qui a vu le candidat du PS céder sa place pour le second tour au représentant de l'extrême droite, il y aura dans l'histoire du PS le choc de 2007. À l'heure où j'écris cet article, rien n'est théoriquement joué puisque nous sommes à 24 heures de l'ouverture du scrutin. Pourtant, à titre personnel, et sans prendre beaucoup de risques, je parie que Ségolène recevra une sacrée gifle à 20 heures dimanche soir. Sept, huit, dix points d'écart ? Mais peut-être que le match sera-t-il plus serré que prévu...

Que s'est-il donc passé ?

D'abord, une lente dérive du Parti Socialiste qui, depuis la disparition de François Mitterrand, n'a pas su tirer le bilan des erreurs passées. Souvenons-nous que Lionel Jospin voulait déjà, dès 1993, se retirer de l'avant-scène politique en sollicitant un poste d'ambassadeur auprès d'Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères. Le refus de ce dernier remit plus ou moins par hasard l'ancien trotskiste en selle qui, après une campagne plus qu'honorable mais infructueuse en 1995, succéda — ironie de l'histoire ! — à ce même Juppé, à Matignon (1997).

Après des débuts prometteurs, portés par une conjoncture favorable, les socialistes sont retombés dans les travers du passé : deuxième loi Aubry sur les 35 heures appliquée à la hussarde, report aux calendes grecques de la réforme des retraites, mollesse du ministre de l'intérieur qui ne comprenait toujours pas sur quelle poudrière la France était assise... A cela, il faut rajouter une approche à contre-courant des grands problèmes de la planète : une ministre de l'environnement bataillant contre la chasse à la bécasse et ne trouvant rien à dire face à la catastrophe de l'Erika, une dérive anti-arabe qui conduisit au "caillassage" du Premier ministre à l'Université de Bir-Zeit (Palestine) et un désintérêt (ou lâcheté ?) pour la question européenne, alors que L'Europe était alors très majoritairement "rose". Le Traité de Nice tristement célèbre restera dans les annales des ratés jospiniens.

La suite, on la connaît : Jospin raide comme une trique face aux "Lu" ; Jospin bavant sur l'âge du capitaine et qui dit sans rire au journal de 20 heures sur TF1 "Je ne me reconnais pas, ce n'est pas moi…" ; Jospin affirmant qu'il ne gouvernera pas à gauche, etc. On peut toujours dire que Chevènement fut responsable du désastre ou que c'est "TF Haine" qui fit passer la droite, le champion de la gauche plurielle, lui, nous a quittés la queue entre les jambes sans même tenter de nous protéger de la dérive très à droite d'un Chirac élu avec les voix de la gauche : "Je tire les conséquences…", exit Jospin !

Demain, plus rien ne sera jamais comme avant !

Revenons à ce qui nous préoccupe, c'est à dire l'élection de demain. Nicolas Sarkozy récoltera une forte majorité qui lui permettra de réaliser le programme qu'il a promis. Mais cette majorité considérable, c'est à la gauche la plus bête du monde (pour paraphraser Philippe Vasseur, "La droite la plus bête du monde" - 1988) que Sarkozy la devra. Pour être juste, c'est aussi un peu grâce à son talent.

Cette gauche socialiste, dirigée par un esprit brillant — tellement brillant que sa personnalité est d'une "ternitude" affligeante —, rejeté à ce point par les Français qu'il n'a jamais osé se présenter lui-même, a préféré laisser son clone féminin partir dans la bataille. Forcément, un parti en panne d'idées s'est rabattu sur l'argument choc : une femme présidente pour changer la France… La France Présidente !

On a vu la suite : boulettes après boulettes au point que les écoliers ont inventé une nouvelle blague, "Aujourd'hui, couscous royal !" Une candidate répondant aux questions les plus dérangeantes par "Je ferai ce que voudront les Français…", summum de la République participative où la future présidente nous promet qu'elle gouvernera par référendums interposés ! Après avoir éliminé les meilleurs éléphants de son parti, DSK en tête, la candidate a passé son temps à bredouiller sur les questions essentielles : l'Iran nucléaire, le Proche-Orient, la Turquie, les sous-marins nucléaires, l'EPR, la Chine, les retraites, etc.

Arrive le clou du spectacle : le débat du mercredi 3 mai. Il n'a pas fallut sept minutes à Royal pour qu'elle annonce une nouvelle mesure digne de Bécassine. Raccompagner chez elles les policières qui quittent tard leur travail ! Face à un Sarkozy d'un calme olympien, elle a enfoncé le clou avec son envolée sur Handiscol'. En plus de proférer un mensonge éhonté, sa vraie nature s'est révélée, celle d'une harpie colérique. Passons sur l'EPR, ces centrales nucléaires de troisième génération que la société AREVA a tenté de vendre à la Chine, qui lui en a pris trois ou quatre (grâce à notre VRP N°1, Jacques Chirac). La Chine ayant préféré l'offre de l'américaine Westinghouse sur une vingtaine de centrales classiques. Soit dit en passant, les centrales nucléaires EPR représentent la meilleure chance, pour l'instant, de ralentir le réchauffement planétaire. Ne nous étonnons pas si demain soir la gauche aura la gueule de bois !

Mais après ? Le raz-de-marée UMP qui pourrait se produire aux législatives, risquera fort de conduire le Parti Socialiste à imploser. A son aile gauche Henri Emmanuelli appelle déjà à une re-fondation (un grand parti progressiste face à un parti conservateur - selon ses mots qui "doit surmonter la division artificielle - purement verbale et théorique - entre réformistes - ce que nous sommes - et anti-libéraux") qui pourrait intégrer peut-être un jour des Besancenot ou des Bové, de même que les restes du Parti Communiste. A son aile droite, une union avec le Mouvement Démocrate de François Bayrou ? Rocard en rêve. Certes, ce n'est pas une bonne nouvelle pour la France que l'opposition de gauche se retrouve laminée. Mais à qui la faute ? Depuis le temps qu'elle aurait dû faire son aggiornamento, c'est un nouveau parti social-démocrate à la française qui pourrait bien sortir des décombres. Bonne nouvelle ! Cette nouvealle sociale-démocratie, dont les prémisses ont été formulées lors du débat Bayrou-Royal, est peut-être l'avenir de cette gauche archaïque qui ne veut décidément pas comprendre que la donne a changé.

Un président de tous les dangers

Demain soir, nul doute que Sarkozy sortira vainqueur des urnes, pour un avenir de la France incertain. Autour de lui, une équipe constituée de purs réactionnaires (Hortefeux, Lellouche ou Estrosi) côtoiera d'anciens fachos (Devedjian, Madelin, Goasguen, Longuet — co-fondateurs, dans les années 60, du groupuscule d'extrême-droite "Occident" — la rupture annoncée avec mai 68 ?) et une droite d'ouverture (Borloo, Robien, Morin,…) auxquels des transfuges de gauche viendront prêter main-forte (Besson, Tapie, Allègre -?- ).

Certes, dans cette fin de campagne, Nicolas Sarkozy a semblé prendre de la hauteur (quelques centimètres de plus ?) et il se pourrait qu'une fois le but de sa vie atteint (devenir président de la république) il se révèle moins diviseur et plus rassembleur. Cependant, les craintes sont bien là : son Atlantisme qui est aux antipodes de la continuité présidentielle depuis le Général de Gaulle, sa volonté d'introduire une forte dose de libéralisme anglo-saxon dans l'économie française (peut-être pour le meilleur, mais surtout pour le pire), sa raideur géopolitique refusant catégoriquement de tendre la main à la Turquie, prenant excessivement le parti d'Israël et se quasi-contrefichant de l'Afrique (sans parler de son idée saugrenue de casser l'axe franco-allemand…). Et puis, il y a sa réponse à la délinquance axée essentiellement sur la répression qui pourrait mettre le feu aux banlieues.

Mais tout cela n'est encore que de la science-fiction. Il reste à espérer que la réalité du pouvoir l'amènera à plus de raison.