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     Mort d'un Représentant de Commerce
    Par Max Boot
Los Angeles Times, le 18 novembre 2004

S'il y a un consensus général dans les cercles politiques américains, c'est pour dire que Colin Powell est un grand Américain mais un piètre secrétaire d'État. Selon la couleur politique, les raisons d'un tel jugement diffèrent. La Droite est vexée car il n'a pas assez soutenu le calendrier belliciste du président. La Gauche est énervée car il n'a pas assez fait pour s'opposer à ce programme. Bien entendu, aucun des deux points de vue ne reflète toute la vérité.

Il est évident que Powell émettait des réserves quant aux actions du président, et particulièrement celle d'envahir l'Irak (il s'était aussi opposé en 1991 à la guerre contre Saddam Hussein), et selon Bob Woodward, il n'avait pas peur de faire connaître à ses journalistes-écrivains préférés son sentiment de gêne . Mais, en bon soldat (même s'il était légèrement mécontent), il a considéré qu'il était de sa responsabilité de la mettre en exécution, une fois que le commandant en chef avait pris une décision.

Il n'y a rien de mal dans cette attitude, ni avec le fait que Powell se soit fait l'avocat de points de vue vraiment différents de ceux de Dick Cheney et de Donald Rumsfeld. Un débat interne sain est toujours bon pour un président, tant que cela ne conduit pas à la paralysie politique, comme cela est parfois arrivé à propos d'autres dossiers vitaux tels que l'Iran et la Corée du Nord. Mais tout n'est pas de la faute de Powell. Une grande partie de la responsabilité en incombe au croche-pied élégant de celle qui lui a succédé, Condoleeza Rice, dont le travail au National Security Council (NSC) consistait à arbitrer les conflits entre les Affaires Etrangères et les départements de la Défense.

Que ce soit parce qu'il n'avait pas le cœur à l'ouvrage ou parce qu'il n'était pas très bon à cela, le vrai problème avec le passage de Powell aux Affaires Étrangères est qu'il n'a pas su vendre la politique du gouvernement. Ce jugement radical doit toutefois être nuancé. Powell a enregistré quelques succès, dont le plus remarquable a été la mobilisation d'une vaste coalition après l'attaque du 11 septembre. Non seulement les forces américaines n'auraient pas pu renverser les Taliban sans avoir eu le droit d'implanter des bases aériennes dans des pays voisins, comme l'Ouzbékistan et le Pakistan. Powell s'est appuyé adroitement sur les dirigeants locaux pour ouvrir la voie aux troupes américaines et couper l'aide aux Taliban.

Powell a rencontré moins de succès dans sa tentative de réunir une coalition pour envahir l'Irak, bien qu'encore une fois, ce n'était pas de sa faute. Il a fait un travail convainquant lorsqu'il a présenté le dossier du gouvernement devant les Nations-Unies en février 2003, même si un grand nombre des preuves qu'il avait présentées alors ont été discréditées depuis. Mais il n'a pas réussi à obtenir de résolution autorisant à passer à l'action militaire, jetant le doute, en premier lieu, sur sa stratégie consistant à s'en remettre à ce point aux Nations-Unies

Encore pire , Powell n'a par réussi à obtenir le soutien de la Turquie pour faire cette guerre, un échec pour lequel nous en payons encore un prix élevé, parce que cela a empêché le transfert du gros de la force armée installée dans le Nord pour écraser la résistance du Triangle Sunnite.

Certains commentateurs ont ridiculisé Powell pour n'être pas allé en Turquie, ainsi que l'avait fait le Secrétaire d'Etat, James Baker, avant la guerre du Golfe persique. Cela a été un triste et typique exemple des années où il était ministre. Il a moins voyagé que n'importe quel autre secrétaire d'état depuis 30 ans. Cela n'a pas été qu'une coïncidence si l'image des Etats-Unis dans le monde s'est dégradée pour atteindre des nouveaux plus bas durant les années Powell où il s'activait à "Brume Profonde".

Si passer des coups de fil et rencontrer des ministres étrangers à New York et à Washington est O.K., cela ne suffit pas si l'on veut gagner la bataille des cœurs et des esprits. Nous avons besoin d'un ministre des affaires étrangères qui voyage constamment pour expliquer et pour défendre la politique américaine.

À l'ère de la télévision par satellite, aucune nation ne peut se permettre d'avoir des diplomates en costume à rayure dont l'activité se limite aux cocktails. […]

Malheureusement, la diplomatie publique a été castrée depuis la fin de la Guerre Froide. Des bibliothèques américaines à l'étranger ont fermé. Des ressources ont été déplacées de l'Agence de Renseignements Américaine, qui a fusionné avec le Département d'État en 1999 suite à l'alliance contre nature entre Madeleine Albright et Jesse Helms.

Et le problème s'aggrave lorsque vient le choix des ambassadeurs pour les affectations de premier plan. Les nominations reviennent à des gros donateurs de campagne — de riches hommes d'affaires qui n'on généralement par les compétences ou l'inclination pour le côté impitoyable du débat public. Le dernier ambassadeur américain à Londres s'intéressait plus à parler de course de chevaux avec la reine qu'à parler de l'Irak avec le pékin moyen dans la rue.

Le défi majeur qui attend le prochain secrétaire d'Etat étant de convaincre tous ceux qui critiquent les Etats-Unis à l'étranger, il aurait été plus judicieux de nommer un politicien chevronné doté d'une crédibilité centriste — quelqu'un comme Sam Nunn, John Danforth ou Joe Lieberman. À la place, Bush a préféré choisir Condi Rice.

Les médias ont surtout insisté pour savoir si la nomination de Condoleeza Rice augure un changement de politique. La réponse est très probablement non, parce que c'est le président qui prend les décisions et il l'a toujours fait.

La vraie question est alors de savoir si elle peut faire un meilleur travail que Powell pour vendre cette politique à l'étranger.

Traduit de l'anglais (américain) par Jean-François Goulon