accueil > archives > éditos


Le Mémo Secret de Downing Street

1er mai 2005
The Sunday Times
Traduit par Jean-François Goulon

SECRET ET STRICTEMENT PERSONNEL - UK EYES ONLY

DAVID MANNING
De : Matthew Rycroft
Date : 23 juillet 2002
S 195 /02

Cc : Defence Secretary, Foreign Secretary, Attorney-General, Sir Richard Wilson, John Scarlett, Francis Richards, CDS, C, Jonathan Powell, Sally Morgan, Alastair Campbell

IRAK: CONSEIL DES MINISTRES, le 23 JUILLET

Les destinataires de cette copie et vous-même avez rencontré le Premier Ministre le 23 juillet pour discuter de l'Irak.

Ce mémo est extrêmement sensible. Aucune autre copie ne doit être faite. Il ne devrait être vu que par ceux qui ont une vraie nécessité de connaître son contenu.

John Scarlett a résumé les renseignements dont nous disposons et les dernières affirmations de JIC. Que le régime de Saddam était dur et basé sur une peur extrême. Que le seul moyen de le renverser était certainement au moyen d'une action militaire. Que Saddam était inquiet et qu'il s'attendait à être attaqué, probablement par voie aérienne et par voie terrestre, mais qu'il n'était pas convaincu que cela se produise immédiatement ou que cela se fasse d'une manière écrasante. Que son régime s'attendait à ce que ses voisins s'alignent derrière les Etats-Unis. Que Saddam savait que le moral de l'armée régulière était bas. Que la base du soutien à Saddam dans le public était probablement étroite.

C a fait son rapport sur les récentes discussions qu'il a eues à Washington. Qu'il y avait un changement perceptible d'attitude. Qu'une action militaire était à présent inévitable. Que Bush voulait renverser Saddam ayu moyen d'une action militaire, justifiée à la fois par le terrorisme et par les ADM. Mais que les renseignements et les faits étaient arrangés pour servir la politique. Que le NSC n'avait aucune patience par rapport à la feuille de route de l'O.N.U. et aucun enthousiasme pour publier des documents relatifs aux archives du régime irakien. Qu'il y avait peu de débat à Washington sur ce qui se passerait après l'action militaire.

CDS a déclaré que les planificateurs militaires informeraient CENTCOM les 1er et 2 août, Rumsfeld le 3 et Bush le 4 août.

Les deux grandes options des Etats-Unis sont :

(a) Déclenchement préparé. Une lente accumulation de 250.000 soldats américains, un courte campagne aérienne (72 heures), puis une montée sur Bagdad à partir du Sud. Délai de 90 jours (30 jours de préparation plus 60 jours pour le déploiement au Koweït).
(b) Déclenchement ouvert. Utiliser les forces déjà en présence (3 x 6.000), une campagne aérienne continue, initiée par un casus belli de la part de l'Irak. Délai total de 60 jours avec la campagne aérienne pouvant même commencer plus tôt. Une option risquée.

Les Etats-Unis considéraient le Royaume-Uni (et le Koweït) comme essentiel, avec les bases de Diego Garcia et de Chypre cruciales quelle que soit l'option retenue. La Turquie et d'autres Etats du Golfe étaient aussi importants, mais moins vitaux. Les trois grandes options pour l'implication du Royaume-Uni étaient :

(i) Les bases de Diego Garcia et de Chypre, plus trois escadrilles des Forces Spéciales.

(ii) Idem, avec des forces maritimes et aériennes additionnelles.

(iii) Comme ci-dessus, plus une contribution terrestre de 40.000 soldats, peut-être avec un rôle discret, en entrant par le nord de l'Irak à partir de la Turquie et en immobilisant deux divisions irakiennes.

Le Secrétaire à la Défense a déclaré que les Etats-Unis avaient déjà commencé "des actions de provocation" pour mettre la pression sur le régime. Qu'aucune décision n'avaient été prise, mais qu'il pensait que dans l'esprit des Américains, le meilleur moment pour passer à l'action militaire était le mois janvier, avec un calendrier débutant 30 jours avant les élections parlementaires américaines.

Le Secrétaire aux Affaires Etrangères a dit qu'il discuterait de cela cette semaine avec Colin Powell. Qu'il semblait clair que Bush avait l'intention de passer à l'action militaire, même si sa programmation n'était pas encore décidée. Mais que la justification était ténue. Que Saddam ne menaçait pas ses voisins et que ses capacités en ADM étaient moindres que celles de la Libye, de la Corée du nord ou de l'Iran. Que nous devrions mettre au point un plan pour lancer un ultimatum à Saddam afin qu'il permette le retour des inspecteurs en armement des Nations-Unies. Que cela permettrait aussi de donner une justification légale à l'usage de la force.

Le Ministre de la Justice a déclaré que le désir de changement de régime ne constituait pas une base légale pour une action militaire. Qu'il y avait trois bases légales : l'autodéfense, l'intervention humanitaire ou l'autorisation du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. La première et la deuxième ne pouvant s'appliquer à cette affaire. Que s'appuyer sur la Résolution 1205 de l'ONU, datant d'il y a trois ans, serait difficile. Que la situation pourrait bien sûr changer.

Le Premier Ministre a dit que cela ferait une grosse différence, tant sur le plan politique que sur le plan légal, si Saddam refusait l'entrée aux inspecteurs de l'ONU. Que le changement de régime et les ADM étaient liés, dans le sens où c'était le régime qui fabriquait les ADM. Qu'il y avait des stratégies différentes concernant la Libye et l'Iran. Que si le contexte politique était OK, les gens soutiendraient un changement de régime. Que les deux questions clés étaient : 1- Le plan militaire marche-t-il ? et 2- Disposons-nous de la stratégie politique pour donner au plan militaire l'espace pour qu'il fonctionne ?

Sur la première, CDS a dit que nous ne savions pas encore si le plan de bataille américain pouvait marcher. Que l'armée continuait à poser beaucoup de questions.

Par exemple, qu'elles seraient les conséquences si Saddam utilisait les ADM le premier jour ou si Bagdad ne tombait pas et qu'une guérilla urbaine commençait ? Vous avez dit que Saddam pourrait aussi utiliser ses ADM contre le Koweït. Ou contre Israël, a ajouté le Secrétaire à la Défense.

Le Secrétaire à la Défense pensait que les Etats-Unis ne mettraient pas en action leurs plans militaires s'ils n'étaient pas convaincus que c'était une stratégie gagnante. Que sur ce point, les intérêts américains et britanniques convergeaient. Mais que sur la stratégie politique, il pourrait y avoir des divergences entre les USA et le Royaume-Uni. Que, malgré la résistance des Américains, nous devrions étudier discrètement cet ultimatum. Que Saddam continuerait son bras de fer avec l'ONU.

John Scarlett a affirmé que Saddam ne laisserait revenir les inspecteurs que lorsqu'il pensera que la menace militaire est réelle. Le Secrétaire à la Défense a dit que si le Premier Ministre voulait que l'armée britannique soit impliquée, il aurait besoin de le décider rapidement. Il a prévenu que nombreux sont ceux aux Etats-Unis qui pensaient que suivre la feuille de route de l'ultimatum était inutile. Qu'il serait important que le Premier Ministre fasse part du contexte politique à Bush.

Conclusions :

(a) Nous devrions travailler sur l'hypothèse que le Royaume-Uni prendra part à toute action militaire. Mais nous aurions besoin d'une vision complète des plans américains avant de pouvoir prendre des décisions définitives. CDS devrait dire aux militaires américains que nous prenons en considération toute une gamme d'options.

(b) Le Premier Ministre reviendrait sur la question de savoir si des fonds pouvaient être attribués à la préparation de cette opération.

(c) CDS enverrait au Premier Ministre les détails complets de la campagne militaire proposée et les contributions possibles du Royaume-Uni d'ici à la fin de la semaine.

(d) Le Secrétaire aux Affaires Etrangères enverrait au Premier Ministre les détails sur les inspecteurs de l'ONU et étudierait discrètement l'ultimatum fait à Saddam.

Il ferait part aussi au Premier Ministre de ses sentiments sur les positions des pays de la région, surtout la Turquie, et des Etats membres clés de l'UE.

(e) John Scarlett enverrait au Premier Ministre une mise à jour complète des informations recueillies par les Services Secrets.

(f) Nous ne devons pas ignorer les questions légales : le Ministre de la Justice prendrait conseil auprès des conseillers juridiques FCO/MOD.

(J'ai écrit séparément à la commission ce compte-rendu.)

MATTHEW RYCROFT

(Rycroft était un assistant de Downing Street à la politique étrangère)