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Pour éviter la victoire du non, Chirac devrait, dès à présent, promettre la révision juste après le vote.

Une piste pour revoir le traité

Libération / Rebonds , jeudi 21 avril 2005
par Jean-Luc Delpeuch


Le président de la République a eu raison de soumettre le projet de Constitution européenne à un référendum : c'était la seule façon de permettre l'appropriation citoyenne d'un texte d'une telle ambition. C'était la seule voie permettant de rompre réellement avec les méthodes technocratiques qui avaient jusque-là présidé à l'élaboration et l'adoption des traités européens. C'était l'aboutissement logique de la méthode novatrice de la convention, où pour la première fois, parlementaires nationaux et parlementaires européens avaient eu voix au chapitre de l'Union.

La grande valeur ajoutée d'un référendum, c'est le débat citoyen qu'il provoque. Celui qui se déroule actuellement en France est d'une impressionnante qualité. Qui aurait parié que le projet de Constitution européenne remporte un tel succès de librairie ? Qui aurait imaginé l'intensité des débats, dans la presse et dans les réunions publiques ?

Mais à un mois de l'échéance, la forte montée du non dans les sondages est à mettre en parallèle avec la découverte du texte par un nombre croissant de citoyens : on a donné le projet de Constitution européenne à lire aux citoyens, ils l'ont lu et n'ont pas été convaincus. Si les articles portant sur les valeurs et les objectifs de l'Union, ceux de la charte des droits fondamentaux, ou ceux portant sur le fonctionnement des institutions sont rarement remis en cause, la partie III, en revanche, plombe le projet. Regroupant 321 articles sur les 448 que compte au total le projet de Constitution, et consacrée aux règles détaillées qui s'appliquent aux politiques sectorielles, en particulier dans le domaine économique et monétaire, la partie III est un copié-collé, à peine toiletté, d'extraits du traité de Nice et des traités antérieurs.

C'est sur ce pavé à la tonalité très libre-échangiste, que les adversaires du traité concentrent leurs critiques : d'une part, le projet de Constitution, lesté de ces longs développements, perd une grande partie de sa portée symbolique ; d'autre part, le contenu même de cette partie III qui n'a pas fait l'objet d'un véritable travail de la convention européenne, est souvent en décalage avec les valeurs et objectifs actés par les conventionnels dans les autres parties du texte. Ce n'est d'ailleurs qu'en toute fin des travaux de la convention, dans la précipitation et sans véritable débat, que la partie III a été intégrée à la demande des gouvernements.

Dès lors, deux scénarios sont imaginables.

Soit le processus en cours se poursuit, et le rejet du texte par la France devient inéluctable. Le paradoxe de ce scénario, c'est qu'il pérennise le traité de Nice et conserve donc la substance de la partie III qui en est directement extraite, alors qu'il sacrifie les éléments les plus innovants du projet avorté de Constitution.

Soit le chef de l'Etat prend acte de l'avertissement adressé par les citoyens. Sans attendre le 29 mai, il prend l'engagement solennel devant la nation, devant ses collègues chefs d'Etat, et devant le Parlement européen, de demander la révision du traité constitutionnel dès son adoption, avec pour objectif la réécriture de l'actuelle partie III et son détachement du corps de la Constitution pour la rendre révisable, à l'avenir, par codécision du Parlement et du Conseil.

Ce deuxième scénario cumulerait de nombreux avantages : il prendrait acte du débat public, donnant ainsi au processus un caractère pleinement démocratique ; au lieu de marginaliser la France, il la replacerait au coeur de l'initiative européenne, il permettrait d'engranger les avancées proposées par les parties I et II ; il offrirait aux Etats membres qui ne se sont pas encore prononcés sur le texte de s'engouffrer dans la brèche ouverte par la France ; parmi les partisans actuels du non, il permettrait la différenciation entre les souverainistes, d'une part, qui maintiendraient leur opposition au texte et les authentiques «mieux-disants européens» d'autre part, qui pourraient se rallier à une démarche faisant directement écho à leurs revendications et permettant, au-delà de la campagne référendaire, la consolidation de l'Europe politique.

Quelles seraient les chances d'aboutissement d'un tel engagement du président de la République ? Très fortes, car l'article IV-443 qui définit les modalités de révision de la Constitution, une fois celle-ci adoptée, précise que sur la base de l'initiative d'un seul Etat membre, il suffit d'une majorité simple des chefs d'Etat pour qu'une convention européenne soit convoquée afin d'élaborer un texte révisé prenant en compte la demande de modification.

Certes, le texte révisé qui sortirait de la convention devrait être approuvé par les chefs d'Etat et approuvé par les citoyens pour entrer en vigueur. Mais si le non l'emportait le 29 mai, non seulement l'approbation de tous les Etats membres et la ratification des citoyens seraient tout aussi nécessaires pour approuver un substitut au projet mort-né, mais la renégociation se ferait sur la base du traité de Nice avec des risques évidents de blocage, voire de recul. Dans le second scénario au contraire, on engrange toutes les avancées de la Constitution et on poursuit le mouvement dans la bonne direction.

«D'abord continuer, ensuite seulement commencer» prophétisait Jean Monnet au sujet de l'Europe citoyenne. Visiblement, le moment est venu de commencer.

Jean-Luc Delpeuch ancien secrétaire général adjoint du Comité interministériel pour les questions européennes.