Elaborée au début des années trente par une poignée d'économistes et de juristes allemands en réaction à la désintégration économique et politique de l'Allemagne, cette doctrine néolibérale est connue sous le nom d'ORDOLIBERALISME. C'est en 1933, dans la foulée de l'avènement d'Hitler et en opposition au National-Socialisme - le parti NAZI - qu'est née l'école ordolibérale.
Les ordolibéraux veulent pérenniser le pouvoir privé dans une société libre.
Ils récusent la planification et les nationalisations et ils sont profondément
anti-marxistes et anti-gauchistes. En fait, l'ordolibéralisme c'est la voie
allemande vers le libéralisme.
Constatant que le cœur du problème avait été l'incapacité du système juridique
existant à empêcher la création et les abus de puissances économiques privées,
c'est la lutte contre les monopoles, qu'ils soient publics ou privés, et
l'établissement de règles claires favorisant le jeu de la concurrence qui
permettraient au marché de développer pleinement ses capacités de croissance.
Pour eux, il faut libérer les forces créatrices en favorisant la liberté
individuelle et décentraliser l'économie en soutenant les PME.
L'ordolibéralisme - ou économie sociale de marché (sozialmarktwirtschaft) - est
la doctrine néolibérale des démocrates-chrétiens allemands. Adoptée dès 1949
par la CDU et dix ans plus tard par le SPD, elle devient loi en RFA. D'un côté
elle adopte les principes fondamentaux du libéralisme classique (la concurrence
est nécessaire à l'efficacité économique et la liberté économique est un
composant essentiel de la liberté individuelle) mais d'un autre côté elle
considère que le pouvoir de l'État n'est pas la seule menace à la liberté et
que certaines institutions économiques privées, lorsqu'elles sont puissantes,
peuvent constituer des menaces équivalentes. Il est donc nécessaire de mettre
en place une « constitution économique », afin de consacrer un lien étroit
entre le droit et l'économie. Pour rendre cette constitution économique
efficace, le système légal doit être structuré en conséquence, et le
gouvernement doit mettre en place une politique de régulation destinée à faire
fonctionner ce système (Ordnungspolitik).
Ludwig Erhard, ministre de l'économie d'Adenauer puis Chancelier d'Allemagne,
et encore étroitement lié à la notion du miracle économique allemand, mettra en
œuvre l'économie sociale de marché. Les prix seront d'abord libérés en 1948,
puis une grande loi sur la concurrence, qui sera effective en 1956, se mettra
en place. Le rôle essentiel de l'État est d'assurer un ordre économique tel que
la concurrence puisse s'exercer librement. La dimension sociale, affirmée par
le principe du dialogue social, en découle de manière automatique[1]. (Il faut
se rappeler que l'intégration de la classe ouvrière au système économique
constitue l'un des principes inhérents à la tradition économique allemande.)
Les grandes lignes directrices sont les suivantes[2]:
« - poursuite de la libération du marché, par exemple sous forme de
privatisation du patrimoine de l'État ;
- mise en place d'une loi contre les limitations de la concurrence (la loi des
cartels) et d'un office des cartels, largement indépendant ;
- création d'un institut d'émission (largement) indépendant ;
- élargissement du système d'assurance sociale sur la base du développement
économique. »
Pour les ordolibéraux, l'économie de marché est rendue sociale grâce à une législation fondée sur la notion d'harmonisation sociale et qui n'est pas obtenue par l'État providence. Au contraire, l'harmonisation sociale est obtenue par l'assurance volontaire et la constitution personnelle de fonds de prévoyance. Il insiste sur le rôle de l'état qui n'a pas à être « prestataire de services » mais doit demeurer « le régulateur du marché ».
Après une trentaine d'années de mise en application de ses principes outre-Rhin
et d'alternance entre la CDU et le SPD, l'économie sociale de marché a évolué
pour aboutir à un compromis entre le « laissez-faire les marchés » et un état
régulateur.
Se substituant aux états, il appartient aujourd'hui à la commission européenne
de réguler les marchés et de favoriser le dialogue social.
Dans la théorie ordolibérale, chaque intervenant économique trouve pleinement
sa place dans la société en participant au bien-être de tous. C'est la
politique de l'ordre.
Mais, les limites de l'économie sociale de marché sont celles de l'idéologie
anglo-saxonne. En effet, chez les anglo-saxons, l'individualisme est au cœur du
raisonnement sociétal, et lorsque la puissance privée est mise à mal par des
revendications sociales justifiées, l'individualisme laisse toujours sa place
au nationalisme. Ceci peut expliquer pourquoi les Britanniques sont les
champions de l'euro scepticisme.
Le traité issu des travaux de la convention trouve sa base dans les fondements
de l'ordolibéralisme, qui est une doctrine développée outre-Rhin par les
démocrates-chrétiens. Les chrétiens-démocrates français, éminemment représentés
par Valéry Giscard-d'Estaing et ayant depuis longtemps marqués leurs distances
vis-à-vis des socialistes ont globalement rejoint les thèses allemandes, qui ne
sont d'ailleurs pas dénuées d'humanisme. Les anglo-saxons, quant à eux, ont
obtenu la quasi impossibilité d'harmoniser la fiscalité en Europe (vote à
l'unanimité) et la préservation de leurs paradis fiscaux (île de Man, îles
Anglo-normandes, etc.).
La question est donc : faut-il voter pour ou contre la Constitution européenne
? En d'autres termes, avance-t-on ou recule-t-on avec ce traité ?
Si l'on étudie les fondements de l'ordolibéralisme, force est de constater que
ses principes de base sont la régulation par la loi, alors que les principes de
l'économie anglo-saxonne sont la régulation par les marchés. Dans ces deux
systèmes libéraux, l'état providence est réduit à sa portion congrue. Mais
l'ordolibéralisme consacre l'état comme régulateur lorsque les anglo-saxons
accordent beaucoup plus de liberté aux marchés. En ce qui concerne la dimension
sociale, les ordolibéraux accordent une grande place à la co-gestion entre
patronat et syndicats lorsque les libéraux anglo-saxons achètent la paix
sociale en exacerbant les égoïsmes.
Avec l'économie sociale de marché, le principe de base est « le refus des monopoles publics ou privés ». Il faut donc mettre en place une vaste politique de concurrence. Bien entendu chacun sait que la concurrence parfaite n'existe pas, aussi la concurrence n'a pas besoin d'être absolue mais elle doit être suffisante, effective et praticable. L'économie sociale de marché est une économie fondée sur une concurrence régulée par un cadre juridique dont la hiérarchie des normes est la suivante : la Loi, le contrat et, seulement en dernier recours l'intervention de la puissance publique. L'intervention de la puissance publique doit s'exercer dans le domaine de la mise en place et du respect du Droit économique et seulement subsidiairement dans l'économie. En résumé, la mise en place d'une économie sociale de marché à l'échelle européenne, et par voie constitutionnelle, limitera de fait l'intervention des états en matière économique et par conséquent, empêchera vraisemblablement toute politique expansionniste (de type keynésienne) en période de récession économique. Enfin, même si les principes de l'économie sociale de marché sont louables et défendent une idée de développement économique basé sur le dialogue social, celle-ci risquera de bloquer toute alternative, telle que le développement d'une économie d'échange social basée sur autre chose que l'argent. D'une certaine manière, le risque encouru en gravant dans la Constitution européenne cette « économie sociale de marché », d'inspiration ordolibérale, tout en bloquant tout projet d'harmonisation fiscale et en préservant les paradis fiscaux, est de lier notre sort aux marchés financiers qui dicteraient de fait (et c'est déjà largement le cas) la politique économique à suivre pour l'ensemble de notre continent.
L'aventure
du capitalisme rhénan
Economie sociale de marché
: facteur d'intégration ?
Qu'est-ce
que le néo-libéralisme ?
L'avenir
de la politique de concurrence européenne
Cette disposition rappelle la disposition législative de la Constitution française depuis 1958 (et controversée par nombre de parlementaires) qui confère le soin de fixer l'ordre du jour du Parlement par le gouvernement. Ainsi, le Parlement européen deviendra-t-il une simple chambre d'enregistrement des directives législatives initiées par la Commission ? L'initiative parlementaire en matière législative risquera d'être bloquée, ce qui est contraire aux lois fondamentales de la démocratie.
l'avenir
de l'institution parlementaire
le déficit
démocratique
L'objectif principal du Système européen de banques centrales est de maintenir la stabilité des prix : Une toute petite phrase pour définir quelle devra être la politique monétaire de tout un continent... gravée dans le marbre de la Constitution Européenne. L'essence même du sociétal et du politique, la monnaie : retirée du champ d'action politique !
Si aucun contrôle ne peut être exercé sur la BCE, c'est elle qui exercera de
fait un contrôle sur les politiques économiques des états membres.
Comme nous allons le voir dans la section consacrée à la politique économique
et monétaire de l'Union, le véritable risque est de confier le contrôle
économique et monétaire du continent aux marchés financiers.
L'expertise économique
de la FED contribue largement aux débats publics
Contrôle
démocratique de la banque centrale européenne
La
banque centrale européenne : éléments critiques
Porte ouverte à toutes sortes d'abus, de fraudes et de contournement des réglementations nationales. Facilitation des réseaux de fraude organisée, notamment par l'intermédiaire des multinationales européennes de prestation de services, qui disposent de filiales dans des sites offshore et au Luxembourg.
La directive Bolkestein sur la libéralisation des services
Les états-membres n'ont pas la possibilité de choisir la politique économique
et monétaire qu'ils souhaitent mener, puisque l'article I-3 dit que l'Union est
fondée sur l'économie sociale de marché et que la Constitution oblige à la
stabilité des prix et empêche les déficits excessifs.
S'il n'est pas possible de financer les déficits par la création de monnaie, ni
de mener en temps de crise une politique de relance par l'investissement public
(principe de base du Keynésianisme), ils ne reste plus aux états membres que de
réduire les dépenses publiques. Et c'est bien ce qu'ont voulu les ordolibéraux
: l'état n'a pas à être prestataire de service (les services sont donc confiés
au secteur privé). Certes, l'état établira une liste de missions de service
public qui feront l'objet de négociation avec les acteurs privés et se contera
de financer les surcoûts occasionnés.
La stabilité des prix limitera l'érosion monétaire et profitera de fait aux
rentiers. Dans ce système, ce seront les emprunteurs qui seront défavorisés au
profit des créanciers, ce qui pénalisera les entrepreneurs (et surtout les PME)
ainsi que les jeunes ménages.
La modification des statuts de la BCE ne pourra se faire sans accord. Ainsi la
BCE sera juge et partie.
C'est le parlement européen qui devrait exercer le contrôle de la BCE et définir conjointement avec le gouvernement économique (ou conseil européen des ministres des finances) la politique économique et monétaire du continent. Enfin, les statuts de la BCE devraient pouvoir être modifiés librement par le Parlement européen.
Politique
agricole commune
L'humiliation
de la chair chez Ivan Illich
Sur
la crise de l'élevage en France et en Europe
L'agriculture et
l'Union européenne
L'agriculture
biologique et l'INRA
[1] "Cet ordre, aussi éloigné de l'omnipotence étatique que de la liberté sans bornes qui conduit à la concentration nuisible du pouvoir économique et au conflit entre l'intérêt individuel et le bien public, est considéré comme social per se, la justice de l'efficacité et du rendement de l'économie sociale de marché étant confondue avec la justice sociale".Professeur Frédéric Hartweg, in Les démocrates-chrétiens et l'économie sociale de marché.
[2]Professeur Joachim Starbatty in Les démocrates-chrétiens et l'économie sociale de marché. Economica. 1988