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CO2

Le plus grand crime écologique de l'histoire

Par Cahal Milmo
The Independent, le 10 décembre 2007
article original: "The biggest environmental crime in history"

BP, le géant pétrolier britannique qui promet d'aller "Au-delà du Pétrole" en trouvant des moyens plus propres de produire des carburants fossiles, est accusé d'abandonner son "image écologique" en investissant plus de 2,2 milliards d'euros pour extraire le pétrole de la nature sauvage canadienne, utilisant des méthodes qui, selon les écologistes, font partie du "plus grand crime du réchauffement planétaire" de l'histoire.

La multinationale productrice de pétrole et de gaz, qui a fait l'année dernière un bénéfice de 16 milliards d'euros, se retrouve face à une confrontation frontale avec le lobby vert dans les forêts immaculées de l'Amérique du Nord. En effet, Greenpeace a promis une campagne d'action directe contre BP, à la suite de sa décision de faire marche arrière par rapport à sa politique de longue date et d'investir lourdement dans l'extraction de ce que l'on appelle les "sables bitumineux" qui reposent sous la province canadienne d'Alberta et qui forment les deuxièmes plus grandes réserves prouvées du monde après l'Arabie Saoudite.

Produire du pétrole brut à partir des sables bitumeux - un mélange épais de bitume, d'eau, de sable et d'argile - découverts en dessous de plus de 140.000 km² de forêt primaire dans le nord de l'Alberta - une surface grande comme l'Angleterre et le Pays de Galle réunis - génère jusqu'à quatre fois plus de CO2 - le principal gaz à effet de serre - que le forage conventionnel. L'industrie des sables bitumeux en plein essor produira 100 millions de tonnes de CO2 par an (équivalent à un cinquième de toutes les émissions annuelle de la Grande-Bretagne), à l'horizon 2012, garantissant ainsi, selon les militants écologistes, que le Canada échouera à atteindre son objectif d'émissions en vertu du Traité de Kyoto.

Cette course au pétrole marquera aussi à jamais un paysage sauvage : des millions de tonnes de vie végétale et de couche arable dégagées en vastes mines à ciel ouvert et des millions de litres d'eau détournés des fleuves et rivières - jusqu'à cinq barils d'eau sont nécessaires pour produire un seul baril de pétrole brut et ce processus nécessite des quantités considérables de gaz naturel. Cette industrie, qui inclut désormais toutes les majors pétrolières multinationales, dont la Shell anglo-néerlandaise et le groupe américain Exxon-Mobil, vante le fait qu'il faut deux tonnes de sable brut pour produire un seul baril de pétrole. BP insiste sur le fait qu'elle utilisera une méthode d'extraction moins dommageable, mais elle reconnaît que son investissement accroîtra la quantité de gaz carbonique qu'elle émet.

Mike Hudema, le militant climatique et énergétique pour Greenpeace au Canada, a dit à The Independent : "BP a fait un très bon travail ces dernières années pour promouvoir ses objectifs écologiques. En sautant à pieds joints dans l'extraction des sables bitumeux, elle prend part au plus grand crime environnemental de tous les temps et l'image écologique de BP a disparue.

Il faut environ 29kg de CO2 pour produire un baril de pétrole de façon conventionnelle. Ce chiffre peut monter jusqu'à 125kg pour le pétrole issu de sables bitumeux. Cela a aussi le potentiel de détruire ou d'endommager la vaste étendue sauvage de forêt, plus grande que la taille de l'Angleterre et du Pays de Galles réunis [NdT : 1/4 de la France], qui forme une partie des plus grands absorbeurs de gaz carbonique. Que BP soit impliquée dans ce business n'est pas seulement en contradiction flagrante avec son discours mais, dans le domaine du changement climatique, ce business ne devrait même pas se développer. On ne peut pas s'intituler 'au-delà du pétrole' et être impliqué dans l'extraction des sables bitumeux". M. Hudema a déclaré que Greenpeace préparait une campagne d'action directe contre BP, qui pourrait perturber ses activités, lorsque cette société commencera ses travaux de construction dans l'Alberta, l'année prochaine.

L'entreprise s'était tenue à l'écart des sables bitumeux, considérés jusqu'à récemment comme économiquement non viables et écologiquement désagréables. Lord Browne of Madingley, qui était le directeur général de BP jusqu'à mai dernier, a vendu en 1999 les intérêts qui lui restaient dans les sables bitumeux et il a déclaré, pas plus tard qu'en 2004, qu'il y avait des "tonnes d'opportunités" au-delà de ce secteur. Mais alors que les prix du pétrole tournent autour de 100 dollars le baril, le successeur de Lord Browne, Tony Hayward, a annoncé que BP était entrée en partenariat avec Husky Energy, détenue par le milliardaire hongkongais Li Ka-Shing, pour développer une installation de sables bitumeux qui sera capable de produire 200.000 barils de pétrole brut par jour à partir de 2020. En échange de la moitié des parts du champ pétrolier "Sunrise" de Husky, dans la région Athabasca de l'Alberta, l'épicentre de l'industrie des sables bitumeux, BP a vendu à son partenaire 50% des parts de sa raffinerie de Toledo dans l'Ohio. Les deux sociétés investiront 5,5 milliards de dollars dans ce projet, faisant de BP l'un des plus gros acteurs dans l'extraction des sables bitumeux.

M. Hayward a bien fait comprendre que BP considérait que cet investissement donnait le coup d'envoi d'une présence à long terme dans l'Alberta. Il a déclaré : "L'entrée de BP dans les sables bitumeux est une occasion de construire une position matérielle stratégique et le potentiel énorme de Sunrise est le point d'entrée idéal pour BP dans les sables bitumeux canadiens".

Le Canada dit disposer de 175 milliards de barils de pétrole récupérables dans l'Alberta, ce qui place cette province juste derrière l'Arabie Saoudite en richesses pétrolières prouvées et provoque une "ruée vers le pétrole" à 75 milliards d'Euros, alors que les investisseurs américains, chinois et européens se précipitent pour profiter des prix élevés du pétrole. Malgré des coûts de production évalués à 22/23 euros par baril, à comparer avec un coût de 1,5 € en Arabie Saoudite, la province canadienne espère pomper cinq millions de barils de brut par jour d'ici à 2030.

BP a déclaré qu'elle utilisera une technologie qui envoie de la vapeur chauffée au gaz naturel dans des puits verticaux pour liquéfier les sables bitumeux solidifiés et les pomper à la surface d'une façon qui est moins dommageable que des mines à ciel ouvert. Mais les militants ont dit que cette méthode nécessite 300 mètres-cubes de gaz pour produire un baril de bitume non raffiné - la même quantité que ce dont a besoin un foyer britannique moyen pour se chauffer pendant 5 jours et demi.

Un porte-parole de BP a ajouté : "Ce sont des ressources qui, de toute façon, auraient été exploitées".

Des licences ont été émises par le gouvernement de l'Alberta pour extraire 350 millions de m3 d'eau de la rivière Athabasca chaque année. Mais l'eau utilisée dans le processus d'extraction, disent les militants, est tellement contaminée qu'elle ne peut pas retourner à l'écosystème et doit, à la place, être stockée dans de vaste "bassin de rétention" qui couvrent jusqu'à 25 km² et il y a des preuves d'augmentation du taux de cancers et de sclérose en plaque dans les communautés en aval du fleuve.

Les experts disent que les promesse de restaurer toutes les mines à ciel ouvert pour les remettre dans leur précédente condition immaculée se sont avérées lettres mortes. David Schindler, professer d'écologie à l'Université d'Alberta, a déclaré : "En ce moment-même, la grosse pression est d'extraire cet argent du sol, pas de reconquérir ce paysage. Je ne serais pas surpris que l'on puisse voir ces mines depuis les satellites dans mille ans."



Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]