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LES SUITES DE L'AFFAIRE OUTREAU

"Il faut craindre que la droite utilise Outreau
pour mettre au pas les juges d'instruction trop indépendants"

Par Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire,
vice-président de la commission des lois


19 janvier 2006 — Ayons l'honnêteté et le courage de poser franchement la question : la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau peut-elle poursuivre en l'état ses travaux ? Doit-on admettre qu'en fassent partie certains élus dont l'impartialité est plus que douteuse ? Doit-on accepter qu'elle continue de travailler dans le secret du huis clos ? Doit-on enfin cautionner son objectif inavoué : profiter du drame d'Outreau pour faire passer des réformes inavouables qui sommeillent dans les cartons de la chancellerie ?

Comment accorder en effet une quelconque crédibilité à une commission dont l'un de ses membres fait l'objet d'une procédure de mise en examen dans l'affaire des trafics d'armes avec l'Angola ? Cet élu est de plus l'ancien dirigeant d'une association de magistrats inspirée par la droite la plus dure et partisan acharné de la disparition du juge d'instruction. En dehors de toute mise en cause judiciaire, d'autres membres de la commission ont pris dans le passé des positions partisanes qui conduisent à s'interroger sur la réelle objectivité du travail d'enquête de la commission. Jacques Remiller (UMP) a ainsi signé en 2003 une proposition de loi affirmant le principe de la «présomption de crédibilité de la parole de l'enfant». Jean-Paul Garaud (UMP), vice-président, n'est autre que l'ancien directeur de la formation à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) à l'époque de formation du juge Burgaud, juge instructeur de l'affaire d'Outreau. Elisabeth Guigou (PS), qui s'est retirée provisoirement des travaux de la commission pour protester contre le maintien du huis clos, est pour sa part, malgré elle, en tant qu'ancien garde des Sceaux, impliquée dans les débats dans la mesure où elle a proposé la nomination du juge Burgaud, alors jeune auditeur, dans le tribunal Boulogne-sur-Mer. Elle devra certainement, à ce titre, être entendue par la commission en tant que témoin. Sans parler du rapporteur Philippe Houillon (UMP) qui a mis publiquement en doute la qualité de la formation des magistrats, et qui donc logiquement devrait demander à son vice-président, Jean-Paul Garaud, de témoigner...

Et pourtant, il ne faut pas voir dans cette composition, très contestable, la véritable raison de l'entêtement de la commission à maintenir le huis clos. Toutes les parties concernées par l'affaire ont réclamé la publicité des débats. Les treize acquittés, en premier lieu, qui estiment «insupportable d'imaginer que les élus de la République aient décidé de travailler dans le secret», Roselyne Godard refusant pour sa part de témoigner tant que le huis clos serait maintenu. Le juge Burgaud, directement mis en cause, demande à être entendu publiquement. Quant aux magistrats de la cour de Douai, qui étaient chargés de contrôler l'instruction d'Outreau, ils soupçonnent les politiques de vouloir «régler leur compte aux juges "en faisant" fuiter dans la presse ce qui les arrange». Les syndicats de magistrats (USM et SM) réclament la levée du huis clos comme Christophe Caresche (PS), vice-président de la commission, Michel Hunault (UDF), son secrétaire, et dernièrement Elisabeth Guigou. En vain.

Officiellement, la commission a pour tâche de lancer une réflexion sur les dysfonctionnements de l'appareil judiciaire. Ne nous leurrons pas : les résultats des travaux de la commission d'enquête sont certainement déjà écrits dans certaines têtes. Ils sont dans les cartons de la chancellerie. Le PS, en acceptant la présidence de cette instance, en viendra de facto à valider implicitement les projets gouvernementaux.

Ces projets, on les connaît. Il s'agit, à partir de la stigmatisation du travail d'un juge d'instruction, bouc émissaire idéal, d'éviter de poser la question de l'énorme pression répressive que la droite sarkozienne a mise sur les tribunaux et les magistrats. C'est cette droite qui impose la détention provisoire à tout venant, devenue en quelque sorte un principe de précaution définitivement destructeur de l'innocence et contre laquelle nul n'ose plus s'élever : justice d'abattage, pauvre et sous-administrée, aux réflexes répressifs excessifs et pavloviens. Mais au lieu de poser ces questions sérieuses et réelles devant l'opinion, la droite veut se servir de cette affaire dramatique pour régler au passage, ses derniers comptes avec les juges d'instruction encore trop indépendants à ses yeux du pouvoir.

Car en fond de décor s'active un lobby prônant la suppression du juge d'instruction et la mise en place d'une procédure accusatoire à l'anglo-saxonne. La disparition du juge d'instruction indépendant des pouvoirs, quels qu'ils soient, et de la puissance des lobbies économiques est un rêve qui se présente à la portée de la main de la droite. Pourquoi ne se saisirait-elle pas de cette magnifique occasion ? Voilà à quoi va servir cette commission d'enquête parlementaire. Ayons l'honnêteté de reconnaître que les socialistes n'ont pas grand-chose à faire dans cette commission, à moins de risquer eux-mêmes de se déjuger.

Arnaud MONTEBOURG