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La France mondiale

Jacques Myard
Député des Yvelines
Président du CNR
publié le 8 février 2008


La France s’apprête à ratifier le Traité de Lisbonne, qui, aux dires même du Président Valery Giscard d’Estaing, est identique, à quelques nuances près, à la Constitution européenne, pourtant rejetée à une écrasante majorité par les Français et les Néerlandais au printemps 2005.

Ce traité est conforme à la vision d'une Europe " integrationniste " , celle d'un super-Etat parlant d’une seule voix sur la scène internationale.

Le processus d'intégration s'appuie, notamment, sur un transfert quasi généralisé de la compétence législative des Etats à l'Union. Le traité de Lisbonne accélère ce centralisme et confère à Bruxelles 54 nouvelles compétences; en définitive, près de 80% de notre droit provient désormais de Bruxelles, faisant du Parlement national un théâtre d'ombres. Gare au réveil des nationalismes car il n'est pas sans danger de faire fi de l’hétérogénéité et des intérêts divergents fondamentaux des peuples et des Etats européens - 27 Etats, 23 langues officielles - .

Au fond, ce projet est-il une réponse adéquate à la réalité du monde? En d’autres termes, la volonté de créer un nouveau bloc que serait une Europe sur le plan diplomatique et militaire n’est-elle pas une réponse dépassée à un monde qui n’existe plus?

Ce projet demeure, intellectuellement et culturellement, dans la droite ligne de la conférence de Messine de 1955, qui a lancé la construction européenne au moment ou le monde était divisé en blocs. Prise en tenaille entre le bloc soviétique et la puissance américaine, certains rêvaient alors d’une troisième force, l’Europe. Il s'agit, hélas, d'une conception périmée.

Sur le plan économique, certes, les entreprises européennes nouent des alliances entre elles, mais les rapprochements entre Renault et Nissan, Alcatel et Lucent, entre Mercedes et Chrysler montrent bien que la donne est devenue mondiale. En outre le vieillissement du continent européen nous pousse à regarder au delà, pour nos exportations, notre croissance!

Sur le plan politique, aucun de nos partenaires européens ne prend au sérieux la proposition française de créer une défense européenne. La France est l'un des rares Etats européens à contribuer à l'Eufor, comme au Tchad pour aider les réfugiés du Darfour, ou au Kosovo; nos partenaires, pour la plupart, sont incapables d'y pourvoir en raison de la médiocrité de leur budget de défense. Il est vrai, beaucoup ne jurent que par l'OTAN et le parapluie américain. Ce tropisme s'explique pour nombre de pays dont les flux de migrants ont fortement alimenté la population américaine - ainsi les Allemands voient-ils dans les Etats-Unis une Allemagne qui a réussi -.

Enfin sur le plan des valeurs, les droits de l'Homme, concept universel, ne sont plus le monopole des seuls Européens, Rome n'est plus dans Rome.

Il faut se rendre à l' évidence, on ne vit plus en 1950 ! La chute du mur de Berlin et la dislocation des blocs, la globalisation qui a fait du monde un village planétaire,la montée en puissance des relations entre les différents acteurs de la société internationale, sont à la source d'interdépendances multiples qui enjambent l’isthme européen, créant à chaque fois de nouvelles solidarités, multiples et croisées.

L’échec des politiques unilatéralistes, y compris de la première puissance militaire au monde, acculée à l'impasse dans le bourbier irakien, nous fait entrer aujourd’hui de plain-pied dans l’ère des puissances relatives.

La société internationale se structure désormais conformément à la théorie des jeux où les alliances peuvent se nouer sur un point, se défaire le lendemain, se renouer sur une autre combinaison le jour d’après. En perpétuel mouvement, ce monde n'est pas instable ni imprévisible car toute velléité de domination d'une puissance suscite une réponse immédiate des autres puissances; l'interpénétration des relations interétatiques se révèle, pour ainsi dire, autobloquante.

Dans ce nouvel environnement, la France a une carte maîtresse à jouer. Elle a la taille critique pour se faire entendre et entraîner les autres, à la condition de garder la maîtrise de ses décisions et son indépendance. 5ème puissance économique, 3ème ou 4ème puissance militaire possédant le 2ème réseau diplomatique au monde, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies, animant une langue largement reconnue comme une langue internationale et parlée par 175 millions de francophones sur les cinq continents du globe, membre du G8, la France a des atouts. Ce qui manque, cependant, le plus à nos élites, c’est de croire à son avenir et de tourner le dos aux déclinologues avides de succès en librairie.

La France n’a donc rien à gagner à se fondre dans une Europe intégrée qui la ferait rentrer dans le rang et finalement disparaître. On le voit bien: la France qui propose, à juste titre, de créer une Union méditerranéenne conforme à ses intérêts et aux nouveaux défis du monde, rencontre le scepticisme, voire l'hostilité de ses partenaires européens.

L’Europe demeure une zone dans laquelle nous devons favoriser des coopérations multiples et renforcées, mais le champ d’action de la France doit demeurer, plus que jamais, le monde dans lequel elle dispose de tous les moyens pour se faire entendre. Mieux qu'une France européenne, nous voulons une France mondiale.

Paris, le 8 février 2008