Au moment où un accord est intervenu au Conseil de Sécurité afin de faire cesser les combats et rechercher un règlement politique "durable", on est en droit de se demander s'il n'est pas trop tard pour modifier l'inéluctable cours de l'Histoire au Proche-Orient.
Ces cinquante dernières années n'y ont été en effet qu'une suite d’affrontements, de guerres ouvertes ou larvées qui rappellent étrangement la Pharsale de Lucain[1]: " Des guerres plus que civiles, l'apparence du droit donné au crime lui même, le crime se revêtant du droit, toutes les forces mélangées du monde s'affrontant dans un commun désastre."
Rien ne semble pouvoir briser cet enchaînement implacable, chacun voyant dans l'autre l'ennemi à détruire, chacun étant le terroriste de l’autre, qualifié d'islamiste intégriste ou d'Etat terroriste. La notion d'agresseur agressé perd toute pertinence, tant il est vrai qu'il existe des deux cotés une protohistoire qui justifie aux yeux de chaque partie l'utilisation de la force pour effectuer des représailles !
Certes, il y eut des moments d'intenses espoirs, engendrés par les accords de Camp David (1978) ou d'Oslo (1993), qui ont semblé pouvoir conjurer le sort et arrêter la machine infernale, mais aujourd'hui, après l'Intifada et un mois de guerre, tout semble irrémédiablement consommé. Cette nouvelle guerre entre Juifs et Arabes a fait prendre à ce conflit une toute nouvelle dimension dont il n'est pas certain que Tel Aviv et Washington en aient appréhendé toutes les conséquences.
Cette guerre a "fusionné" en un seul et unique conflit les crises - déjà fort compliquées - du Proche et du Moyen-Orient. Il est désormais patent que les causes chiites et sunnites sont soudées contre Israël et les Etats-Unis, Téhéran ayant réussi à créer un front commun au delà des rivalités entre Musulmans chiites et sunnites. Ce front commun est scellé dans l'opinion publique arabe et islamique par-delà les réticences et les craintes des gouvernements arabes sunnites - dits modérés - qui sont dépassés par ce mouvement. Ils suivront de plus en plus leurs opinions publiques pour ne pas être débordés, voire balayés.
C'est bien en cela que ce conflit est d'une autre nature que les précédents. Il s'inscrit dans une réalité annoncée, mais à laquelle l’Occident se refusait à croire vraiment : le choc des civilisations et même les guerres de religions. Il ne fait plus aucun doute qu'après l'entrée des Américains en Irak, cette guerre constitue un formidable et nouvel accélérateur de la rupture entre les pays occidentaux, identifiés aux Etats-Unis et leur tête de pont Israël, et le monde arabo-musulman. Ben Laden s'en frotte les mains.
La cause des extrémistes islamistes est, de surcroît, servie par la médiatisation planétaire du conflit. Les médias ne sont désormais plus contrôlés par les Occidentaux. Chaque nouvelle victime arabe fait l'objet de reportages abondants dans les médias arabes et est présentée comme un nouveau martyr qui attise la haine contre les Israéliens et les Américains. Israël est en train de perdre la guerre de l'information, or comme le relevait justement Donald Rumsfeld dans un article du Council on Foreign Relations "La lutte sera remportée ou perdue devant le tribunal de l'opinion publique".
Peut-on accepter cet enchaînement fatal qui peut mener à une déflagration incontrôlable et conduire à une sorte de troisième guerre mondiale larvée et rampante? Bien évidemment non ! Dès lors, que faire ? Face à l'Orient compliqué tenons-nous en à quelques idées simples !
- Personne, ni Israël, ni la future force multinationale ne pourra éradiquer le Hezbollah. Il n'existe pas de solution militaire !
- Il est impérieux de briser le lien qui est établi entre les crises du Proche et du Moyen-Orient. Il importe donc de diviser pour régner en imposant en priorité un règlement politique à la crise proche-orientale. A ce titre, Israël doit accepter la création d'un Etat palestinien viable, le retrait de Gaza n'est pas suffisant dès lors que l'Etat hébreu renforce sa présence en Cis-Jordanie et hypothèque gravement la réalisation de tout Etat palestinien viable. Seule la création de cet Etat amènera les autorités palestiniennes à prendre leurs responsabilités et à mettre leurs extrémistes hors d'état de nuire !
- La Syrie doit revenir dans le jeu diplomatique, elle n'est pas la clé de toute la crise, mais rien ne se fera sans elle, notamment pour canaliser le Hezbollah et le contraindre à intégrer une solution politique.
-Israël ne peut pas sécuriser son avenir en ayant tous ses voisins ligués à la mort contre lui ! Il ne peut se contenter comme seul atout pour assurer sa sécurité de compter sur la force militaire. Comment ne pas être d'accord avec Pierre Vidal-Naquet : "A l'opposé de la logique guerrière nous pensons que des victoires militaires ne garantissent pas l'avenir d’Israël". Son alliance avec Washington ne le fera pas davantage, les Israéliens devraient méditer les mots de Virgile "Jamais de confiance dans l'alliance avec un puissant", le gouvernement de Saigon l'a appris à ses dépends ! Dans ces conditions, Israël doit tout mettre en oeuvre pour parvenir à un accord avec les Palestiniens et les Syriens.
- Quant au Moyen-Orient, il faut se rendre à l'évidence que l'Iran est non seulement la puissance régionale émergente contre laquelle rien ne se fera, mais qu’il contrôlera même de plus en plus la situation en Irak. La politique américaine en Irak est un échec sanglant et total. Les Etats-Unis et les Européens doivent rechercher un accord global avec Téhéran qui devra intégrer la question nucléaire en contrepartie du retrait des Américains d'Irak. Cette réalité, quoique fortement déplaisante pour Washington est incontournable !
Le temps est compté pour agir car la situation évolue dans le domaine de la foi religieuse qui se radicalise, des soldats israéliens l'ont bien compris en soulignant que la dissuasion n'avait aucun effet sur les hommes du Hezbollah déterminés à se sacrifier pour leur cause !
La France a su garder la tête froide en adoptant une position équilibrée et équitable. Elle doit continuer à conduire sa politique en toute indépendance en s'opposant fermement au manichéisme simpliste et fantasmatique des uns qui rêvent d'exporter la démocratie à l'occidentale clé en mains, mais elle doit aussi rappeler avec fermeté aux autres qu'Israël est un Etat du Proche-Orient qui doit vivre en sécurité. La voie n'est pas aisée mais elle est la seule pour sauver cette région et peut être aussi le monde d'un désastre annoncé !
Jacques Myard
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Notes :
[1] La Pharsale est un poème latin de Lucain. Le sujet est la guerre civile que se livrent César et Pompée et dont le titre est emprunté de Pharsale, ville de Thessalie.