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COMPTE RENDU INTEGRAL

Deuxième séance du vendredi 8 septembre 2006
5e séance de la session extraordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE de M. MAURICE LEROY
vice-président
ENERGIE


M. Jacques Myard -

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question qui nous occupe aujourd’hui – la privatisation partielle de GDF afin de permettre sa fusion ultérieure avec un groupe privé – soulève des questions légitimes, tout en comportant, je vous l’accorde, des atouts indéniables.

C’est une véritable question économique, mais également stratégique et politique, à laquelle on ne peut répondre avec des slogans idéologiques, quels qu’ils soient.

Des atouts, votre texte en a, monsieur le ministre de l’économie, et vous les avez fait valoir : nécessité de doter GDF d’une structure plus souple pour s’adapter aux lois d’un marché vibrionnant et changeant, c’est vrai, et de disposer d’un instrument plus adapté ; nécessité de muscler GDF dans un projet industriel cohérent, permettant de faire appel à des actionnaires futurs. Il existe aussi des complémentarités bien réelles entre GDF et Suez et je vous donne bien volontiers acte que les deux entreprises ne nous ont pas attendus pour nouer des contacts et envisager un avenir commun. Leur objectif est d’avoir une capacité d’achat renforcée et le pouvoir de presser les prix, pour parler français.

Tout cela serait bel et bien s’il ne s’agissait pas du marché international de l’énergie. Inutile de rappeler que l’énergie constitue un enjeu national, nous en sommes tous d’accord. La sécurité d’approvisionnement constitue un objectif géostratégique constant de l’État.

L’État doit donc en garder la maîtrise, sinon directement, du moins indirectement, nous le savons tous. Existe-t-il un marché fluide, diversifié qui permette d’atteindre cet objectif national avec les moyens ordinaires d’un État simple régulateur et non intervenant, comme il l’a été avec EDF, GDF, Elf ou Total ? Rien de tel ! Malheureusement, ce n’est plus le cas.

En matière d’électricité, il n’existe pas de marché international. Pour des raisons physiques, l’électricité, énergie secondaire, est difficilement transportable sur de longues distances. De surcroît, seul le nucléaire est à la hauteur des défis à venir pour faire face aux besoins grandissants. Cela implique un engagement fort de l’État et une politique industrielle qui n’a rien à voir avec le simple jeu des marchés.

Quant au gaz, il n’est plus guère produit en France, presque plus en Europe, sauf en Norvège. Le marché international du gaz est un réel oligopole où règnent et régneront de plus en plus en maîtres les fournisseurs russes et algériens, lesquels viennent d’ailleurs de conclure un accord de coordination pour leur offre.

C’est dans ces conditions de raréfaction de l’offre d’énergie que Bruxelles exige de libéraliser, d’ouvrir les marchés, suite aux décisions du fameux sommet de Barcelone, adoptées à l’unanimité par le gouvernement français de l’époque, et de limiter ainsi l’action des États membres, le tout pour le 1er juillet 2007.

Je le dis comme je le pense, jamais il n’a existé un tel décalage entre une idéologie, celle d’un modèle théorique du tout-concurrence, et les réalités économiques, politiques et géostratégiques.

Dans ces conditions, il est patent que le « tout-marché » de la Commission n’est pas la réponse pour assurer l’indépendance énergétique de la France et répondre à la nécessité d’obtenir les meilleurs prix pour les entreprises et les ménages. En un mot, l’État a-t-il encore les moyens pour maîtriser l’évolution de ce secteur ? Votre projet de loi le permet-il ?

Tout cela m’amène à vous poser quelques questions, au regard de la nécessité pour l’État de ne pas subir, mais de maîtriser ce secteur vital pour l’économie nationale.

Premièrement, la société est-elle opéable ? Vous me l’avez assuré dans un entretien particulier, monsieur le ministre, elle ne l’est pas, l’État conservant la minorité de blocage de 34 %. Je veux bien vous croire, monsieur le ministre, mais que se passera-t-il dans le cas d’une augmentation de capital de la future société ? Ce cas de figure n’est pourtant pas théorique.

Deuxièmement, cette fameuse action spécifique de l’État est-elle eurocompatible ? Une étude fort détaillée, écrite dans un idiome barbare par la Commission en juillet 2006 concluait que tel n’était pas le cas. Comme l’a répété M. McCreevy, toutes ces golden shares sont totalement contraires au marché unique. Mais je prends acte de sa récente lettre. Même s’il avance à reculons, il vous donne acte que le futur décret fondé sur l’article 10 de la loi de 1986 modifiée en 2000 peut permettre, sous des réserves de vocabulaire, de maintenir cette action spécifique – pour l’instant…

Troisièmement, les tarifs régulés, nécessaires au regard des missions de service public, seront-ils eurocompatibles après le 1er juillet 2007 ? Permettez-moi d’avoir des doutes, car je ne suis pas certain que cela soit le cas. Sur ce point, j’attends vos explications.

Ces questions et leurs réponses sont nécessaires pour savoir où l’on va. Ma conviction personnelle est que si l’on s’en tient à ces questions, il y a une solution, l’État pouvant conserver la maîtrise des choses.

Toutefois, une autre question se pose, à mes yeux encore plus fondamentale et qui dépasse largement l’enjeu de la baisse de la part de l’État de 70 % à 34 % dans le capital de GDF. Monsieur le ministre, supposons que la passion retombe, que nos collègues de gauche soient frappés par la grâce – le risque est faible – bref, que le projet de loi soit voté et que les réponses aux questions que je vous ai posées soient positives. Nous aurions alors un marché ouvert, avec des tarifs régulés pour éviter les hausses, une action spécifique, une minorité de blocage et une multitude de fournisseurs utilisant les réseaux nationaux. Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes… Oui, mais c’est là que survient Gazprom.

Rien n’empêchera en effet Gazprom de se placer sur le marché de l’énergie et de mettre à la disposition de nos concitoyens du gaz à un prix très bas, et de sortir ainsi GDF du marché. Cette hypothèse a rarement été évoquée à cette tribune. Pourtant, elle existe bel et bien. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer en Allemagne, avec la complicité de l’ancien chancelier, et je trouve cela un peu fort !

L’État, dans ces conditions, avec tout ce qu’il garderait au sein de GDF, serait mis « hors course ». Il lui resterait, je vous l’accorde, les tarifs régulés, mais il perdrait un outil nécessaire pour faire face aux besoins des Français.

Dans ces conditions, on voit bien qu’au-delà du projet de loi, c’est le cadre européen qui est totalement décalé par rapport à la réalité du marché international de l’énergie, à un moment où les Russes ont parfaitement compris qu’on pouvait substituer la dissuasion énergétique à la dissuasion nucléaire ! C’est une question géopolitique, qui dépasse largement le projet industriel.

Je le dis comme je le pense, ce n’est pas votre projet de loi qui est problématique, c’est le cadre posé par Bruxelles pour traiter cette question fondamentale de l’énergie qui me paraît totalement décalé vis-à-vis des réalités du monde. La théorie de M. Gordon Brown sur le level playing field, c’est-à-dire une économie fonctionnant avec des entreprises sans la moindre aspérité et sans aucune intervention de l’État, me paraît totalement utopique. Pourtant, c’est celle-ci qui règne en maître à Bruxelles.

C’est la raison pour laquelle on ne s’en sortira pas sans réviser les règles de Bruxelles. On ne s’en sortira pas sans une réelle politique industrielle française et européenne pour maîtriser le marché de l’énergie, qui ne peut être laissé aux foucades du marché.

Si vous recherchez la quadrature du cercle, vous ne la trouverez pas avec ce projet de loi car, vous le savez très bien, un grand nombre d’éléments vous échappent. Les Français ont voté « non », ce n’est pas tout à fait un hasard mais la preuve qu’ils n’acceptent pas que la maîtrise de leur destin puisse leur échapper. Il est temps d’en tirer les conclusions, de reprendre la gouvernance, tant à Bruxelles qu’ici. C’est la raison pour laquelle, dans l’état actuel de ce texte et du cadre européen, je m’abstiendrai sur le projet.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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