L'Eglise Chrétienne européenne essaye depuis plus de 200 ans d'accepter les Lumières européennes. Comment peut-on réconcilier le royaume de la foi avec celui de la raison, surtout si l'on tient compte du fait que la raison dépasse l'étendue des capacités humaines ? Les deux camps peuvent-ils vivre côte à côte ? Ou la religion est-elle incompatible avec l'exercice de l'intellect ?
Pour un athée comme Richard Dawkins [1], la réponse coule de source. Nous devons déployer notre raison pour reconnaître que la religion est un aveuglement cruel à notre propre égard. Il n'y a aucun Dieu. Mais tandis que les sociétés occidentales sont plus que jamais laïques, il reste un sentiment sous-jacent qui n'abandonnera pas complètement Dieu. Se pourrait-il que la foi, qui a secouru nos ancêtres et qui a contribué si puissamment à notre culture, soit un château de sable ? Les Européens ne vont peut-être pas à l'église, mais peu répudient ouvertement Dieu et prennent la voie de l'athéisme.
L'Ouest ne peut tout simplement pas être identifié comme étant amoral et laïc. Plus exactement, nous vivons dans une tension entre un agnosticisme laïc sain et la reconnaissance de la valeur des vérités morales chrétiennes. Par exemple, en temps de crise, les églises se remplissent. J'ai été consterné par le choix qu'ont fait presque tous mes amis rationnels et agnostiques - et qui sont décédés injustement tôt - d'avoir des funérailles religieuses. Et nous tous, endeuillés, nous y rendons et sommes profondément touchés par cette expérience, malgré notre sécularité et notre indifférence quotidienne sur toute question de foi. Il y a quelque chose qui se passe que nous avons dans la peau.
La semaine dernière, à l'Université de Ratisbonne, le Pape a prononcé un discours sur cette question, intitulée "La foi, la raison et l'université" [2]. Son argument est que, compris correctement, il n'y a aucune tension entre la foi et la raison ; l'esprit de l'enquête intellectuelle libre dans une université est parfaitement compatible avec la croyance en la foi chrétienne. Depuis le début, le Christianisme était une religion prête à s'engager dans toute la "largeur de la raison et pas dans le reniement de sa grandeur". La foi et la raison s'enrichissaient mutuellement.
Le Pape a renforcé son argument en disant que la vraie croyance devait arriver par un processus de réflexion raisonnée et volontaire et qu'elle ne pouvait pas être imposée, en particulier par la violence. Qu'en fait, la violence était incompatible avec toute religion. Pour prouver qu'il avait raison, il a cité un empereur byzantin du 14ème siècle qui avait défendu le même argument, mais qui était allé jusqu'à dire que Mahomet avait outragé ce principe universel. Que les enseignements de l'Islam n'étaient que "diaboliques et inhumains" parce que celui-ci exhortait ses fidèles à "les répandre par le glaive" et non par la raison.
Avant le 11/9, cela n'aurait été qu'un autre discours papal. Mais le 11/9 est arrivé. Le Pape savait précisément ce qu'il faisait. Il avait trouvé un moyen de dire que le Christianisme est une foi supérieure à l'Islam parce qu'il est plus capable par nature de s'adapter à la raison.
La réaction n'était pas moins prévisible. Sa visite prévue en Turquie est en jeu. Son effigie a été brûlée dans tout le monde islamique. Il a gravement offensé les Musulmans, se plaignent les dirigeants islamiques, et il doit faire des excuses. Les relations entre l'Islam et le Catholicisme Romain ont plongé encore plus bas. C'est le clash des civilisations qui se déroule sous nos yeux.
D'un certain côté, le Pape mérite cette réaction, pas tant parce qu'il doit savoir qu'il a tort. Mahomet et l'appel à l'épée du Coran trouvent leur contrepartie dans celui de Jésus : "Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive". En fait, ainsi que Reza Aslan l'explique dans un livre remarquable, "No god but God" [Il n'y a de dieu que Dieu], l'Islam est une foi pacifique, égalitaire et profondément bonne. Mahomet, pas plus que tout prophète chrétien ou juif, n'aurait toléré le 11/9 ou les autres actes de terrorisme islamique. L'univers des Djihads, des fatwas et du terrorisme meurtrier ne trouve aucune validation dans ce que Mahomet a prêché.
L'Islam n'est pas moins capable de s'adapter à la raison ou aux valeurs des Lumières. Vraiment, l'argument d'Aslan est que les concepts islamiques tels que la choura (consultation tribale) et l'idjma (consensus juridique devenant loi) sont parfaitement compatibles avec la démocratie représentative et la responsabilité gouvernementale et que, petit à petit, les Lumières islamiques sont en marche. La terreur fondamentaliste devrait être vue comme une réaction au processus d'édification des Lumières par lequel l'Islam est en train de passer, mais ne devrait pas cacher ses capacités sous-jacentes à arriver à la même destination que le Christianisme.
Aslan est persuasif, mais la réaction de certains dirigeants islamiques à la provocation du Pape contredit son optimisme. Ils peuvent choisir d'ignorer le pontife, de le contester ou de démontrer qu'il a tort en faisant référence aux propres enseignements de l'Islam. À la place, ils mettent l'accent sur l'offense énorme qui leur a été faite. Il n'y a là aucun sens d'engagement vers le pluralisme ou la tolérance mutuelle. La croyance de base est que la supériorité de la foi islamique est exprimée de multiples façons.
Dans des formes extrêmes, cette asymétrie de croyance insiste pour dire que la Grande-Bretagne doit accepter les normes islamiques, disons, sur le traitement des femmes ou des gays sans aucune reconnaissance réciproque que les citoyens islamiques devraient accepter les normes britanniques. Cela se voit, aussi, dans la lettre infâme que des députés travaillistes musulmans ont envoyée au Premier ministre, affirmant que la politique étrangère britannique avait poussé de jeunes britanniques islamiques vers le terrorisme. Le message implicite était que la Grande-Bretagne devrait reconnaître la validité d'une moralité islamique qui excuse le meurtre d'innocents pour signifier sa protestation politique.
Quelque chose d'aussi illogique doit être contesté. Oui, l'Islam est une grande religion pacifique. L'Islam est aussi capable que le Christianisme de réconcilier la foi et la raison.
Il n'est, toutefois, qu'une grande foi parmi de nombreuses autres. Il ne peut en aucune façon prétendre à être particulièrement vénéré par les autres, pas plus qu'il devrait accepter une telle prétention si elle est faite en son nom. La seule issue doit être une coexistence pacifique entre les religions, que Mahomet lui-même requérait de ses adeptes. C'est la raison pour laquelle, nous, en Occident, pouvons condamner l'ignorance du Pape et la provocation gratuite vis-à-vis d'une autre religion.
Le principe de tolérance est un principe sur lequel l'Occident ne peut jamais faire de compromis. Toutefois, le Pape avait raison sur une chose : l'Ouest, y compris ses religions, accepte la grandeur de la raison. Par conséquent, l'Islam devra finir par l'accepter.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]
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Notes :
[1] Richard Dawkins est un biologiste néodarwinien. Théoricien de l'évolution, il se fait connaître en instaurant le concept de gêne égoïste. Ensuite, il étend l'approche Darwinienne en introduisant le concept de mème (analogue mental du gène). Pour lui, un mème est un objet mental qui, tel une créature biologique, lutte pour sa survie. A l'instar du gène égoïste, le mème se sert de l'individu qui en est porteur afin de se disséminer. Cette dissémination n'est pas, au contraire du domaine biologique, uniquement liée à une activité de reproduction mais dépend des moyens de communication offerts à l'individu. Or la variété de ces derniers, depuis la banalisation de l'accès aux moyens de télécommunication, est de plus en plus aisée. Dawkins voit donc le champ culturel comme le siège d'une activité dans laquelle les mèmes interagissent par le biais de leurs véhicules humains.
En savoir plus :
Richard Dawkins et les Mèmes
[2] Le discours de Benoît XVI à Ratisbonne