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Les Insultes Papales

Une Provocation Bavaroise

par Tariq Ali

CounterPunch, 17 septembre 2006
article original : "A Bavarian Provocation"

La toute dernière provocation de Benoît XVI a-t-elle été accidentelle ou délibérée ? Ce Bavarois est un ecclésiastique réactionnaire tranchant. Un homme qui organise sa propre succession à la Papauté avec une purge impitoyable des dissidents potentiels et qui supervise la sélection des cardinaux avec énormément de soin ne laisse pas beaucoup de place au hasard.

Je pense qu'il savait ce qu'il disait et pourquoi il le disait.

Le choix d'une citation de Manuel II Paléologue, qui ne fut pas le plus intelligent des dirigeants byzantins, manquait de sincérité, surtout à la veille de sa visite en Turquie. Il aurait pu trouver des citations plus efficaces et plus proches de chez lui. Ce fut peut-être son unique tribut à Oriana Fallaci.

Peut-être.

Le monde musulman, avec deux de ses pays — l'Irak et l'Afghanistan — directement occupés par les troupes occidentales, n'a pas besoin qu'on lui rappelle le langage des Croisades. Dans un monde néolibéral qui souffre de la dégradation environnementale, de la pauvreté, de la faim, de la répression, une "planète de bidonvilles" (pour reprendre la phrase imagée de Mike Davis[1]), le Pape a choisi d'insulter le fondateur d'une foi rivale.

La réaction du monde musulman était prévisible, mais, et c'est déprimant, insuffisante. La civilisation islamique ne peut pas se réduire à la puissance du glaive. Elle fut la passerelle vitale entre le monde antique et la Renaissance Européenne. Ce fut l'Eglise catholique qui déclara la guerre à l'Islam dans la Péninsule Ibérique et en Sicile. Des expulsions, des tueries, des conversions forcées massives et une Inquisition brutale pour maintenir l'ordre dans une Europe nettoyée et surveiller l'armée réformiste protestante.

La furie contre les "hérétiques" a conduit à incendier les villages cathares dans le Sud de la France. Juifs et Protestants, de la même manière, se virent accorder refuge par l'Empire Ottoman — refuge qui leur aurait été refusé si Istanbul était demeurée Constantinople. "Serviteurs, obéissez en tout à vos maîtres qui sont la chair. [...] c'est le Seigneur Jésus Christ que vous devez servir", à dit Paul (Epître aux Colossiens 3: 22-24), établissant ainsi une tradition collaborationniste qui est tombée à genoux devant la richesse et la puissance et qui a atteint son apogée durant la Deuxième Guerre Mondiale, lorsque la direction de l'Eglise a collaboré avec le fascisme et n'a pas élevé la voix contre le judéocide ou la boucherie sur le Front de l'Est. L'Islam n'a pas besoin de recevoir de leçons de cette Eglise.

Il y a toujours eu de la violence et elle n'est pas la prérogative de quelque religion que ce soit. Il suffit pour s'en convaincre de voir l'occupation incessante de la Palestine par les Israéliens. Pendant la Guerre Froide, le Vatican, à de rares exceptions, a soutenu les guerres impériales. Les deux camps furent bénis pendant la Première et la Deuxième Guerres Mondiales ; le Cardinal étasunien Spellman fut un combattant acharné dans les batailles pour détruire le Communisme pendant les guerres de Corée et du Vietnam. Plus tard, le Vatican a puni la libération des théologiens et des prêtres-paysans en Amérique Latine. Certains furent excommuniés.

Tous les Chrétiens ne se sont pas joints aux Croisades, ni aux anciennes, ni à la nouvelle. Lorsque le Pape Urbain II lança les croisades, le roi normand de la Sicile refusa d'envoyer des troupes dans lesquelles les Musulmans siciliens seraient forcés de combattre contre les Musulmans orientaux. Son fils, Roger II, refusa de soutenir la Deuxième Croisade. En agissant ainsi, ils montrèrent plus de courage que les dirigeants de l'Italie contemporaine, qui ne manquent pas de bonne volonté pour rejoindre les croisades impériales contre le monde musulman.

"Pour être sûr d'avoir raison en toutes choses", disait le fondateur des Jésuites, Ignatius Loyola, "nous devrions toujours nous en tenir au principe selon lequel je devrai croire que ce que je vois blanc est noir si la hiérarchie de l'Eglise en décide ainsi".

Aujourd'hui, la plupart des prélats catholiques occidentaux (y compris le Bavarois qui occupe le Vatican) et les politiciens de centre-droit et de centre-gauche vénèrent le véritable Pape qui vit à la Maison-Blanche et qui leur dit quand ce qui est noir est blanc.

Amen.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

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Notes :

[1] Mike Davis : Ethnologue, sociologue, historien américain né en 1946. Il débuta comme ouvrier des abattoirs, puis entreprit des études et s'intéressa au marxisme. Il a pu aborder de nombreux sujets, et notamment la lutte des classes à travers l'étude des problèmes fonciers de Los Angeles, et la militarisation de la vie sociale à travers les mesures sécuritaires. (source : Wikipédia)