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     Et si Al-Qaeda n'était que le Croquemitaine de Bush ?
    Par Robert Sheer
11 janvier 2005; Los Angeles Times

Est-il concevable qu'al-Qaeda, que le Président Bush présente comme étant le centre d'une vaste conspiration terroriste internationale très bien organisée, n'existe pas ?

Le simple fait de soulever cette question, en pleine hystérie inspirée par les autorités — et particulièrement dans le contexte de soumission des médias américains face aux affirmations du gouvernement US concernant la sécurité nationale —, est une véritable hérésie. Pourtant un nouveau film brillant de la BBC, produit par un des plus grands réalisateurs de documentaires, le conteste. Il met aussi en doute de nombreux autres articles de foi résignés dans la lutte contre le terrorisme.

"The Power of Nightmares : The Rise of the Politics of Fear" [Le Pouvoir des Cauchemars : La Montée de la Politique de la Peur], est un film historique de trois heures réalisé par Adam Curtis et récemment diffusé par la BBC. Ce film argumente de façon cohérente que beaucoup de choses que l'on nous a dites au sujet de la menace du terrorisme international "est un conte de fée qui a été exagéré et déformé par les politiciens. Il s'agit d'une illusion sombre qui a été répandue par les gouvernements de planète, les services de sécurité et les médias internationaux, sans qu'on la mette en doute".

Sujet vraiment grave ! Mais il faut prendre en considération quelques-unes unes des nombreuses questions posées par ce programme :

· Si Oussama ben Laden dirige vraiment une vaste organisation terroriste internationale avec des agents entraînés dans plus 40 pays — comme le prétend George Bush — alors pourquoi, malgré la torture exercée sur les prisonniers, son administration n'a pas réussi à produire de preuves valables ?
· Comment se fait-il que depuis le 11 sept. 2001, 664 personnes soupçonnées de terrorisme ont été détenues en Grande-Bretagne, mais que seulement 17 d'entre elles ont été déclarées coupables, la plupart sans lien avec des groupes islamistes et qu'il n'ait été prouvé que la moindre d'entre elles faisait partie d'al-Qaeda ?
· Pourquoi avons-nous entendu tant de discours plus effrayants les uns que les autres sur les "bombes sales", alors que les experts disent que c'est la panique plutôt que la radioactivité qui causerait la mort des gens ?
· Pourquoi Donald Rumsfeld, le ministre de la défense, a-t-il prétendu en 2001 sur "Meet the Press" qu'al-Qaeda contrôlait d'immenses complexes de souterrains high-tech en Afghanistan, alors que les forces militaires britanniques et américaines n'ont rien découvert de tout cela ?

Bien sûr, ce documentaire ne met pas en doute qu'un Saoudien aigri, de bonne famille et riche, qui s'appelle Oussama ben Laden a aidé à financer différents groupes de fanatiques islamiques partageant des intérêts communs et qui se sont engagés dans le terrorisme, y compris dans les attaques du 11 septembre. Il ne met pas non plus en doute la notion selon laquelle une version terrifiante de l'Islam fondamentaliste a conduit à une série de violence épouvantable à travers le monde. Mais ce film, à la fois plus sobre et plus profondément provocateur que "Fahrenheit 9/11" de Michael Moore, conteste directement ce qui est communément admis en apportant des arguments très convaincants selon lesquels l'administration Bush, menée par une cabale unie de néoconservateurs machiavéliques, a saisi la fausse image d'une menace terroriste internationale unifiée pour remplacer l'ancien empire soviétique [dans son rôle de croquemitaine] afin de faire passer en force un programme politique.

Le terrorisme est profondément menaçant, mais il apparaît être un phénomène bien plus fragmenté et complexe que ne le suggère l'image du réseau tentaculaire d'al-Qaeda, avec ben Laden à sa tête.

Alors que le documentaire de la BBC rend compte que la menace terroriste est à la fois réelle et grandissante, il conteste le fait que cette menace soit centralisée :

"Il y a des individus et des groupes dangereux et fanatiques dans le monde qui ont été inspirés par des idées islamiques extrémistes et qui utiliseront les techniques du terrorisme de masse — les attaques sur l'Amérique et sur Madrid sont suffisamment claires. Mais la vision cauchemardesque d'une unique organisation puissante et cachée attendant de porter ses attaques contre nos sociétés est une illusion. Partout où l'on peut chercher cette organisation al-Qaeda, des montagnes d'Afghanistan aux 'cellules dormantes' en Amérique, les Britanniques et les Américains poursuivent un ennemi fantôme."

La vérité, c'est que malgré les efforts de plusieurs commissions gouvernementales et une vaste armée d'enquêteurs nous n'avons toujours pas un récit crédible de cette "guerre contre le terrorisme" qui est menée dans l'ombre.

Considérez par exemple que ni la commission du 11/9, ni aucun tribunal n'ont été capables d'obtenir des preuves directes de la part des terroristes-clés détenus après le 11/9 par les Etats-Unis. Tout ce que nous savons provient de deux bords qui ont tous deux un grand intérêt à exagérer la menace posée par al-Qaeda : les terroristes eux-mêmes et les agences militaires et de renseignements qui ont un intérêt personnel à maintenir la façade d'un ennemi extraordinairement dangereux.

Un tel état d'ignorance nationale au sujet d'une guerre sans fin est, comme "The Power of Nightmares" le montre clairement, simplement inacceptable dans une démocratie qui fonctionne.



Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Goulon