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TERRORISME
     Arrestation du cerveau d'al-Qaeda du 11 septembre :
on nage en plein mystère !
  3 mars 2003; The Independent
Par Phil Reeves, Correspondant en Asie

Les Etats-Unis avaient désespérément besoin de remporter une grande victoire dans leur guerre contre al-Qaeda afin de faire taire les critiques qui disent que ce réseau violent fanatiquement anti-occidental représente pour les Américains une menace bien plus grande et plus immédiate que l'Irak.

Mais aujourd'hui, pendant que les généraux et les stratèges du Pentagone apportent leurs dernières touches à leurs plans pour envahir Bagdad et renverser Saddam Hussein, les Etats-Unis déclarent que c'est précisément de lui qu'ils se protègent.

Des agents pakistanais qui ont travaillé avec la CIA et le FBI ont capturé, avec un timing parfait, un homme qui est, selon eux, pratiquement aussi important qu'Oussama ben Laden lui-même. Il s'agit du cerveau présumé des atrocités du 11 septembre qui ont déclenché la crise actuelle. Selon le Washington Post, cet homme est doté d'un tel génie criminel qu'il est surtout connu dans le monde du contre-espionnage sous le nom du "Cerveau". Presque toutes les grandes attaques de ces dix dernières années contre les Américains et leurs alliés, perpétrées par des extrémistes islamiques, ont été reliées à Khaled Cheikh Mohammed. Arrêté au Pakistan le week-end dernier, en pleine confusion entre Américains et Pakistanais qui se disputaient sa garde, ce dernier a disparu la nuit dernière pour un endroit secret.

La Maison Blanche le dépeint comme le planificateur central des attaques du 11 septembre sur New York et Washington, et l'un des "planificateurs-clés d'al-Qaeda". D'autres ont dit de lui qu'il était le chef-officier des opérations militaires d'al-Qaeda, fournissant argent, hommes et plans, pour l'ensemble du Moyen-Orient, de l'Asie du Sud-Est et de l'Europe.

On a pensé qu'il était impliqué dans les attentats à la bombe des ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie en 1998, qui firent 224 victimes.

Des agents des services de renseignements philippins pensent qu'il faisait partie d'une cellule qui complotait de tuer le Pape en 1995. Son nom a été associé à l'attaque contre le vaisseau de guerre américain USS Cole, en 2000 au Yémen, où 17 marins américains périrent.

Ce fut sa main, suppose-t-on, qui tenait le couteau qui trancha la gorge d'un Daniel Pearl terrifié, le reporter du Wall Street Journal enlevé et tué à Karachi alors qu'il enquêtait sur des groupes islamiques extrémistes. On dit qu'il a 27 identités différentes, qu'il parle cinq langues, et qu'il est — selon les Américains — aussi paisible et imperturbable dans un night-club louche ou dans un restaurant de Caroline du Nord (où il a fait des études d'ingénieur au Chowan College) qu'il l'est dans une maison islamique ultra-conservatrice au Pakistan.

Si toutes ces accusations sont vraies — et il y a bien un "si" — alors, il est aussi impitoyable et sinistre qu'on le dit. Un homme qui a le sang de milliers de personnes sur les mains et dont la tête est mise à prix pour 25 millions dollars.

Sa "carrière" est un récit fascinant. Il faut noter que beaucoup de détails ont été rendus publics par d'infatigables "sources américaines" anonymes, qui ont intérêt à présenter leur opposant — et désormais captif — comme un vrai gros poisson. Quatrième fils de Cheikh Mohammed Ali, un prêcheur bien en vue de la mosquée al-Ahmadi, Khaled Cheikh Mohammed est né au Koweït il y a 37 ans [en 1966]. Mais sa famille est originaire de la province pakistanaise du Baloutchistan — larges étendues le long de l'Afghanistan et foyer des Islamistes anti-occidentaux les plus radicaux.

Au Koweït, alors qu'il était encore adolescent, il est censé avoir rejoint les Frères Musulmans, la plus grande organisation islamiste internationale fondée en Egypte en 1928.

En 1983, il s'est rendu à Chowan pour étudier et l'on se souvient de lui comme d'une personne à la fois très intelligente et psycho-rigide, qui gardait ses distances avec les non-Musulmans et les non-Arabes. Rapidement, en vendant des fripes pour le "djihad" afghan, fondé par la CIA, il leva des fonds pour lutter contre les occupants soviétiques.

Six mois après avoir passé ses examens d'ingénieur en mécanique, on pense qu'il a déménagé pour Peshawar au Nord-Ouest du Pakistan, où il se serait lié plus tard à ben Laden. Selon le Financial Times, qui a enquêté en détail sur son parcours, il s'est consacré à la cause des moudjahidin afghans pendant cinq bonnes années.

Il a été en relation avec Ramzi Ahmed Youssef. Ce dernier purge une peine à perpétuité dans la prison la mieux gardée au monde — la "supermax" en Floride — pour l'attentat à la bombe contre le World Trade Center en 1993 — autre attaque que certains ont attribuée à Khaled Cheikh Mohammed — ainsi que le camion bourré d'explosifs qui a explosé en avril 2002 à l'extérieur d'une synagogue tunisienne, tuant 21 personnes, dont de nombreux allemands.

Selon le New York Times, dans les mois qui suivirent le 11 septembre, son importance au sein d'al-Qaeda n'était pas très claire aux yeux des enquêteurs américains, jusqu'à ce que son nom commence à être mentionné, lors d'interrogatoires d'agents d'al-Qaeda. Il apparaissait en être un acteur essentiel — notamment en tant que lien entre les 19 pirates de l'air et le commandement du réseau. Les responsables américains disent qu'il se peut qu'il ait rendu visite aux pirates de l'air, lorsque ces derniers étaient à Hambourg, en Allemagne. En 2002, l'enquête conjointe du Congrès sur les attaques terroristes émit des critiques contre la CIA pour ne pas avoir compris, avant les attaques du 11/9, l'importance que jouait Khaled Cheikh Mohammed dans al-Qaeda.

Six ans plus tôt [en 1997], il avait attiré une première fois l'attention de la CIA et du FBI. En effet, il faisait partie d'un groupe de militants aux Philippines, groupe dont Ramzi Youssef faisait partie. Ils planifiaient des attentats à la bombe simultanés contre 11 avions de ligne américains. Selon ce plan, leurs agents devaient acheter des billets sur une douzaine de vols commerciaux américains vers des destinations dans le Pacifique, placer des bombes à bord et ensuite descendre à une escale intermédiaire avant les explosions.

Ce plan fut contrecarré par l'incendie de l'appartement de Manille où ils l'avaient mis au point et cela permit aux autorités philippines de mettre la main sur un ordinateur qui contenait les détails des attaques prévues. Le rôle que Khaled Cheikh Mohammed avait joué dans cette opération était suffisant pour garantir son inculpation aux Etats-Unis par une chambre d'accusation.

Il semble qu'il ait été à deux doigts de se faire arrêter, et ce, à plusieurs reprises. En 1996, les services de renseignements américains reçurent un tuyau selon lequel il vivait au Qatar, mais lorsqu'une équipe du FBI arriva à Doha pour l'arrêter, il avait disparu. On pense aussi qu'il a séjourné en Amérique du Sud, en Allemagne et en Afghanistan. L'année dernière, à Karachi, il aurait réussi à s'enfuir de justesse.

A partir de la fin des années 90, il était en Afghanistan et il y planifiait, semble-t-il, la plus grande des atrocités. En mai 2002, il a déclaré à la chaîne arabe de télévision par satellite, al-Jazeera : "Environ deux ans et demi, avant les raids sacrés sur Washington et New York, le comité militaire a organisé une réunion durant laquelle nous avons décidé de commencer à planifier une opération martyre à l'intérieur de l'Amérique." Il s'agissait d'une opération complexe. Selon l'enquête du Financial Times, Khaled Cheikh Mohammed y a joué un rôle dans les montages financiers complexes pour alimenter les 19 pirates de l'air, afin qu'il puissent faire face à leur part de dépense aux Etats-Unis. Moustafa Ahmed Aden al-Hawsawi — était un personnage central de ce plan. C'est à lui que trois des pirates, juste avant de se rendre à la mort, ont viré un total de 25.000 dollars de fonds inutilisés.

Les archives bancaires ont montré que al-Hawsawi avait une deuxième carte Visa pour les retraits, à un autre nom. Lorsque les enquêteurs virent la photo d'identité sur le dossier de demande de carte, le visage était bien celui de Khaled Cheikh Mohammed.

La fiabilité de telles accusations ne pourra être établie que lorsque ce dernier sera conduit devant un tribunal. Cependant, si la moitié seulement des accusations émises par les autorités s'avère être vraie, ce sera une bonne nouvelle pour la guerre contre le terrorisme.


Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Goulon