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La Grande-Bretagne se retrouve à présent
face à la désinformation propagée à l'étranger
par ses propres services secrets

Les intérêts des services de renseignement pourraient
contrecarrer l'enquête sur les attentats à la bombe de juillet

Par Michael Meacher
The Guardian, samedi 10 septembre 2005


La bande vidéo du kamikaze Mohammed Sidique Khan a détourné l'attention sur les attentats à la bombe de Londres du point de vue de l'establishment selon lequel les assassins étaient des individus auxquels on avait lavé le cerveau et mis en lumière une réalité politique plus crue. Alors qu'il ne peut y avoir aucune justification pour des meurtres horribles de ce genre, ils doivent être compris par rapport à l'effervescence de ces dix dernières années qui ont radicalisé la jeunesse musulmane d'origine pakistanaise vivant en Europe.

Pendant l'occupation soviétique de l'Afghanistan, dans les années 80, les Etats-Unis ont financé un grand nombre de Djihadistes par l'intermédiaire des services secrets pakistanais - ISI. Plus tard, les Etats-Unis ont voulu faire naître un autre corps de Djihadistes, utilisant une nouvelle fois des mandataires, pour aider les Musulmans bosniaques à affaiblir la mainmise du gouvernement serbe sur la Yougoslavie. Il se trouve que parmi ceux-ci il y avait des Pakistanais de Grande-Bretagne.

Selon un rapport récent de l'Observer Research Foundation, basée à Delhi, un contingent fut aussi envoyé par le gouvernement pakistanais, dirigé alors par Benazir Bhutto, à la demande de l'administration Clinton. Ce contingent était formé à partir du groupe terroriste Harkat-ul-Ansar (HUA) et entraîné par l'ISI. Ce rapport estime qu'environ 200 Musulmans pakistanais vivant au Royaume-Uni se sont rendus au Pakistan, se sont entraînés dans les camps de l'HUA et ont rejoint le contingent de l'HUA en Bosnie. Ce qui est le plus révélateur, c'est que cela c'est fait "avec la connaissance et la complicité totales des agences de renseignement britanniques et américaines".

Ainsi que le rapport de 2002 du gouvernement néerlandais sur la Bosnie le montre clairement, les Etats-Unis ont donné le feu vert à des groupes inscrits comme organisations terroristes sur la liste du Département d'Etat, dont le Hezbollah basé au Liban, pour opérer en Bosnie. Cet épisode met en doute la crédibilité de la "guerre contre le terrorisme" ultérieure.

Pendant près de dix années, les Etats-Unis ont aidé les insurgés islamistes liés à la Tchétchénie, l'Iran et l'Arabie Saoudite à déstabiliser l'ancienne Yougoslavie. Ces insurgés reçurent aussi l'autorisation de se déplacer plus loin à l'Est vers le Kosovo. A la fin des combats en Bosnie, il y avait des dizaines de milliers d'insurgés islamistes en Bosnie, en Croatie et au Kosovo ; nombre d'entre eux se sont ensuite retirés vers l'Autriche, l'Allemagne et la Suisse.

Ce qui est moins connu est la preuve que le gouvernement britannique entretenait des relations plus étendues avec ce réseau terroriste islamiste. Lors d'une interview sur Fox TV cet été, l'ancien procureur fédéral des Etats-Unis, John Loftus, a rapporté que les services de renseignements britanniques s'étaient servis du groupe al-Mouhajiroun à Londres pour recruter des militants islamistes munis de passeports britanniques pour la guerre contre les Serbes au Kosovo. Depuis juillet, Scotland Yard s'est intéressé à un membre supposé d'al-Mouhajiroun, Haroun Rachid Aswat, dont certaines sources ont suggéré qu'il pourrait avoir été derrière les attentats à la bombe de Londres.

Selon Loftus, Aswat a été détenu au Pakistan après avoir quitté la Grande-Bretagne, mais fut libéré au bout de 24 heures. Par la suite, il a été retourné à la Grande-Bretagne par la Zambie, mais il y est uniquement détenu en vue de son extradition vers les Etats-Unis,. Pas pour être interrogé sur les attentats à la bombe de Londres ! Loftus prétend qu'Aswat est un agent-double soutenu par les Britanniques, poursuivi par la police mais protégé par le MI6.

Omar Saïd Cheikh, un autre Britannique musulman d'origine pakistanaise, diplômé de la faculté des Sciences économiques de l'Université de Londres, a été radicalisé par la guerre civile en Yougoslavie. Il se trouve aujourd'hui en prison au Pakistan, condamné à la peine de mort pour le meurtre en 2002 du journaliste américain Daniel Pearl - bien que beaucoup de personnes (y compris la veuve de Pearl et les autorités américaines) doutent qu'il soit le coupable de ce meurtre. Toutefois, des rapports en provenance du Pakistan suggèrent qu'Omar Cheikh continue d'être actif de sa prison, restant en contact avec ses amis et ses partisans en Grande-Bretagne.

Lorsqu'il était étudiant, Omar Cheikh fut recruté par le Jaish-e-Mohammed (JeM - l'Armée du Prophète) qui dirige un réseau en Grande-Bretagne. Le JeM a activement recruté des Britanniques dans les universités et les facultés depuis le début des années 90, et s'est vanté de ses nombreux volontaires britanniques musulmans. Des enquêtes au Pakistan ont suggéré que lors de ses visites à Shehzzad Tanweer, l'un des kamikazes de Londres, il a contacté des membres de deux groupes locaux illégaux et s'est entraîné dans deux camps, à Karachi et près de Lahore. Ce réseau de groupes, désormais découvert au Pakistan, pourrait vraiment pointer vers des agents supérieurs d'al-Qaïda qui ont joué un rôle dans la sélection des membres des cellules des poseurs de bombes. L'Observer Research Foundation a soutenu qu'il y a même des "raisons de suspecter que les explosions [de Londres] ont été orchestrées par Omar Cheikh de sa prison au Pakistan".

Mais pourquoi ne s'occupe-t-on pas d'Omar Cheikh alors qu'il est déjà condamné à mort ? D'une façon étonnante, son appel auprès d'une cour supérieure contre sa sentence a été ajournée pour la 32ème fois en juillet et celle-ci a été reportée indéfiniment. Tout ceci est extrêmement remarquable lorsque l'on sait que c'est le même Omar Cheikh qui, sur l'ordre du Général Mahmoud Ahmed, le chef de l'ISI, a transféré 100.000 dollars à Mohammed Atta - le chef des pirates de l'air du 11/9 - avant les attaques de New York, ainsi que Dennis Lormel, le directeur de la section financière du FBI, l'a confirmé.

Pourtant, ni Ahmed ni Omar ne semblent avoir été recherchés pour être interrogés par les Etats-Unis à propos du 11/9. En vérité, le Rapport officiel de la Commission sur le 11/9, publié en juillet 2004, a cherché à minimiser l'importance du Pakistan avec le commentaire suivant : "A ce jour, le gouvernement des Etats-Unis n'a pas été capable de déterminer l'origine des sommes utilisées pour les attaques du 11/9. En fin de compte, cette question n'a pas beaucoup de signification pratique" - déclaration d'un manque de sincérité à couper le souffle.

Tout cela met en lumière la résistance dans la recherche de la vérité au sujet des attaques du 11/9 et dans la prise de mesures sévères et efficaces contre les forces qui fomentent des attentats terroristes en Occident, y compris en Grande-Bretagne. L'indulgence extraordinaire des Etats-Unis vis-à-vis d'Omar Cheikh, leur modération vis-à-vis du père de la bombe atomique pakistanaise - le Dr AQ Khan - qui a vendu les secrets nucléaires à l'Iran, à la Libye et à la Corée du Nord, la colossale assistance militaire prodiguée par les Etats-Unis au Pakistan et la décision prise l'année dernière par les Etats-Unis, qui ont désigné le Pakistan comme principal allié extérieur à l'OTAN en Asie du Sud, laissent présager un ensemble stratégique plus approfondi d'objectifs que la véritable priorité dans leur relation avec le Pakistan. On peut imaginer que le Pakistan fournirait des contingents militaires de grande dimension pour remplacer les soldats américains en Irak ou que les troupes pakistanaises remplaceraient les forces de l'Otan en Afghanistan. Ou bien cela pourrait impliquer l'utilisation des bases militaires pakistanaise pour une intervention en Iran ou le renforcement du Pakistan comme point de départ pour les relations avec l'Inde et la Chine.

Que la chasse à ceux qui sont derrière les poseurs de bombes de Londres puisse prévaloir contre ces puissantes forces politiques reste à voir. Cela pourrait vraiment dépendre de si Scotland Yard, dans sa tentative de découvrir la vérité, peut prévaloir sur le MI6, qui essaye de brouiller les pistes et a, en pratique, toutes les possibilités d'opérer au-dessus de la loi sous le prétexte de la sécurité nationale.

. Michael Meacher est le député travailliste d'Oldham West et de Royton ; il a été ministre de l'environnement de 1997 à 2003.

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Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon