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Yasser Arafat, Véritable Artisan de la Paix

7 novembre 2004

Mémo A: Fans du site web, Surfeurs, Clients
De: Jude Wanniski
Re: Désolé, mais j'aime ce type

Vous devez comprendre que Yasser Arafat a été diabolisé par l'establishment politique Américain, à un niveau proche de celui qui les a amenés à régler son compte à Saddam Hussein. Lorsqu'ils agissaient dans l'intérêt des Etats-Unis, ces deux hommes étaient considérés par Washington comme étant du côté des "bons". Mais lorsque le monde s'est tourné vers une autre direction, ils ont été jetés en pâture aux chiens des médias. Alors que Yasser Arafat se trouve apparemment sur son lit de mort, il a encore moins l'occasion de se défendre. Le New York Times d'hier lui a consacré un éditorial qui l'a descendu en flammes, l'accusant d'avoir refusé d'accepter le plan de paix qui lui fut offert à Camp David en 2000 par le Président Clinton. Haro sur le Times ! Ci-dessous vous trouverez un "mémo en marge" que j'ai écrit à propos de ce que l'on appelle le "plan de paix", que le Times ne peut pas contester, mais qu'il préfère ignorer. Mémo 1934

Alors qu'Arafat se trouve à présent sous assistance respiratoire dans un hôpital de Paris, il semble assez évident que le temps du leader palestinien est cette fois-ci terminé. Le réseau islamique d'informations, Al-Jazeera, m'a demandé ce que j'en pensais. Voici ce que j'ai écrit et qui a été mis en ligne hier sur le site web en anglais de ce réseau :


Avant le repos éternel d'Arafat

par Jude Wanniski vendredi 5 novembre

Apprenant la mort de Yasser Arafat qui lui était rapportée durant sa première conférence de presse de réélection, le Président Bush a déclaré que sa première pensée était "Que Dieu bénisse son âme".

Ce fut une réponse laconique correspondant bien au président. En tant que citoyen américain, j'aurai personnellement ajouté : " Il était un homme bon, cordialement détesté dans mon pays, surtout dans les dernières années de sa vie. "

Voici quelles sont mes premières pensées :

Depuis qu'il a serré la main au Premier ministre Yitzhak Rabin, le 13 septembre 1993, je suis devenu un admirateur de Yasser Arafat. La négociation secrète avec Arafat qui a conduit aux accords d'Oslo et fait espérer qu'un règlement durable entre les Arabes et les Israéliens serait atteint, fut la décision de Rabin seul.

Pour moi, il n'est pas surprenant que le Comité Nobel, l'année suivante, ait accordé le Prix Nobel de la Paix à Arafat et à Rabin pour "honorer un acte politique qui a demandé un très grand courage aux deux parties" et pour "encourager tous les Israéliens et tous les Palestiniens qui s'évertuent à établir une paix durable dans la région".

Le plus surprenant est qu'Arafat a semblé perdre sa stature d'artisan de la paix, même si rien de tangible n'a été produit pour justifier une telle déchéance.

De mon point de vue, Arafat a été admirable en faisant du mieux qu'il pouvait avec les cartes que Washington et Tel-Aviv lui avaient distribuées avec partialité, alors qu'il faisait office de paria parmi les dirigeants du monde arabe.

Nous savons tous qu'Arafat, à ses débuts dans l'OLP, était un fantassin "terroriste", mais, à partir de 1974, lorsqu'il est devenu le chef de sa branche politique, il a été clairement établi qu'il a consacré son énergie à la persuasion politique et à la diplomatie, plutôt qu'à la confrontation et au terrorisme.

Aujourd'hui, trente ans plus tard et une décennie après avoir reçu le prix Nobel de la Paix, Arafat semble plus que jamais être tout près de son repos éternel, après avoir été, ces dernières années, quasiment prisonnier du gouvernement israélien dans son enceinte de Ramallah.

Évidemment, l'élévation d'Ariel Sharon au poste de Premier ministre, au printemps 2001, est la raison pour laquelle on a continuellement répété au peuple américain qu'Arafat n'avait aucune "crédibilité" comme négociateur. Cela, parce que l'establishment politique juif aux Etats-Unis a l'habitude de soutenir les désirs de n'importe quel parti au pouvoir en Israël, que ce soit les Travaillistes ou le Likoud.

Lorsque le Parti travailliste était au pouvoir, avec Rabin, Simon Perez ou Ehud Barak, il n'y a pas eu que des discours courtois avec Arafat pour faire avancer le processus de paix dans la région.

La coutume de s'unir entre Juifs américains a fait en sorte qu'Arafat a alors été traité avec respect par les deux principaux partis politiques des Etats-Unis, ainsi que dans les principaux médias d'information.

Tout ceci s'est terminé à cause de l'animosité personnelle de Sharon vis à vis d'Arafat, une haine ardente que j'ai rarement observée chez un dirigeant politique vis-à-vis d'un autre.

Lorsque Sharon a déclaré qu'il ne négocierait en aucune circonstance avec Arafat, il importait peu à la communauté politique américaine qu'Arafat fût le dirigeant choisi et élu de l'Autorité Palestinienne.

Peu importe qu'il soit toujours aimé par les peuples arabes, et même par les chefs d'Etat arabes. C'est parce que Sharon voulait qu'Arafat soit discrédité, voire diabolisé, que la nature-même du processus politique américain, à ce moment de l'histoire, a fait en sorte que cela se produise ainsi.

La Conférence des Présidents des Principales Organisations Américaines Juives a parlé d'une seule voix, à la fois au Président Bush et aux Républicains, et au Sénateur Kerry et aux Démocrates.

Les leaders juifs [aux Etats-Unis] peuvent être divisés devant le peuple américain sur tous les autres sujets politiques, mais lorsque l'on en vient aux désirs d'Israël, et parce qu'ils disposent d'un pouvoir énorme, ils garantissent la promotion de ses idées.

Il peut sembler étrange aux supporters de la cause palestinienne que le Président Bush ait reçu Ariel Sharon dans le Bureau Ovale plusieurs fois par an, au cours des trois dernières années, et qu'il n'ait pas contacté une seule fois Yasser Arafat. Ce qui me surprend encore plus est que presque tous les Américains que je connais croient qu'Arafat a été le principal obstacle au processus de paix.

En vérité, le Président Clinton, qui a contribué en 1993 à pousser Yitzhak Rabin vers Oslo et le processus de paix, voulait tellement parvenir, dans les derniers mois de son mandat, à un règlement, qu'il a tout fait pour qu'Arafat avale un plan bancal. Et c'est par rancour que Clinton a répandu dans le monde entier l'idée qu'Arafat avait tourné le dos à Camp David, quand bien même Ehoud Barak lui avait offert 95% de ce qu'il demandait.

La plupart des Américains ignorent toujours qu'Arafat n'a pas "tourné le dos". Au contraire, il s'est arrangé pour poursuivre les négociations avec les Israéliens, à Taba, en Égypte, loin de Camp David et des projecteurs.

En six jours, le plan était presque entièrement ficelé. A tel point qu'après l'avoir suspendu le temps des élections israéliennes, les deux parties ont fait une déclaration commune dont voici un extrait :

"Les délégations israélienne et palestinienne ont conduit pendant ces six derniers jours une discussion sérieuse, approfondie et réaliste dans le but d'aboutir à un accord permanent et stable entre les deux parties.

"Les discussions de Taba sont sans précédent, tant par leur ambiance que par leur formulation, qui ont été positives dans la volonté mutuelle de satisfaire aux besoins nationaux, sécuritaires et existentiels des deux parties. Etant données les circonstances et les contraintes du calendrier, il a été impossible de s'accorder sur toutes les questions, et ce, malgré le progrès substantiel qui a été atteint pour chaque question sur lesquelles nous avons discuté. Les parties déclarent qu'elle n'ont jamais été aussi proches d'atteindre un accord et que nous partageons la croyance commune que les divergences qu'il nous reste à combler pourraient l'être avec la reprise des négociations après les élections israéliennes.

"À la lumière du progrès significatif accompli dans la réduction des différences entre les deux parties, celles-ci sont convaincues que d'ici peu de temps, et eu égard à l'effort intensif et à la reconnaissance de la nature urgente et essentielle d'aboutir à un accord, il sera possible de combler les différences restantes et d'aboutir à un règlement permanent pour la paix entre les deux parties. A cet effet, les deux parties sont confiantes dans le fait qu'elles peuvent commencer à aller vers ce processus à la première occasion réaliste."

Ce qui s'est passé, bien sûr, est que Barak a été renvoyé du pouvoir au profit de Sharon. Non seulement le premier ministre du Likoud n'a pas repris les discussions de Taba, il a bousillé l'idée même de discuter, reflétant le fait que le Likoud s'oppose officiellement à l'idée-même d'un état palestinien.

Je peux au moins imaginer personnellement que si Taba avait repris et avait abouti sous les auspices du Labour, une des motivations essentielles ayant conduit au bombardement suicide du 11 septembre, plus tard dans la même année, aurait disparue et il se peut que les Tours Jumelles soient encore debout.

Ce sont des pensées qui viennent naturellement à tous ceux qui savaient combien Yasser Arafat était sérieux dans sa recherche de la paix. Ces pensées ne viennent pas à l'esprit de la plupart des Américains, pour les raisons que j'ai exposées plus haut, mais cependant, je me demande pourquoi elles ne sont pas venues à l'esprit des dirigeants de la Ligue Arabe.

Un Arabe américain que je connais me dit que c'est parce que, contrairement aux populations arabes qui aimaient Arafat et qui s'inquiètent désormais de sa grave maladie, les dirigeants arabes ont chacun leur propre soupe sur le feu avec Washington et que la fidélité d'Arafat envers ses objectifs est souvent devenue une entrave aux leurs.

Dans ce cas, si Arafat mourait, à ce moment crucial, il ferait son dernier cadeau au peuple palestinien. Il ne peut plus servir d'excuse à Tel Aviv, Washington ou à la Ligue Arabe pour reporter une fois de plus la réalisation de son rêve de toute une vie, son rêve d'un Etat palestinien.

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Jude Wanniski est un ancien rédacteur en chef du Wall Street Journal.

Vous pouvez retrouver cet article en anglais sur le site web d'Al-Jazeera

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Traduit de l'américain par Jean-François Goulon
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