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Après Gaza : la victoire de Sharon ?

28 août 2005

Mémo A: Fans, Surfeurs, Clients
De: Jude Wanniski
Re: Mon dernier article pour Al Jazeera

La surprise la plus agréable de l'année, jusqu'à présent, a peut-être été l'accomplissement par Israël de sa promesse d'évacuer les 8.000 colons juifs de la Bande de Gaza. Ceux d'entre nous qui doutaient que le Premier Ministre Ariel Sharon mène son plan jusqu'au bout disent à présent que c'est peut-être son "heure de gloire".

Pourtant, il est difficile d'oublier que Sharon fut l'homme qui porte la plus grande responsabilité dans la construction des implantations sur la terre saisie par Israël lors de sa guerre préventive en 1967 contre l'Egypte et la Jordanie.

C'est parce que le retrait de Gaza a été unilatéral de la part de Sharon - il n'a pas été négocié avec l'Autorité Palestinienne - que le monde attend maintenant de voir ce qu'il va faire à propos des implantations de Cisjordanie, où, depuis 1967, quelques 400.000 Juifs y ont construit leurs foyers et leurs entreprises.

À 76 ans, et bientôt face à de nouvelles élections, Sharon est-il préparé pour négocier avec Mahmoud Abbas au sujet des revendications sur le reste des territoires qu'Israël a saisis en 1967 ?

S'il n'a pas quelque chose en réserve, on peut s'attendre à ce que les dirigeants palestiniens associés avec le Hamas menacent de reprendre la violence.

Leur raisonnement est que, sans la toute dernière et très violente Intifada, Sharon n'aurait pas rendu un centimètre carré de Gaza. À elle seule, l'Intifada a permis à Sharon de persuader suffisamment son Parti - le Likoud - qu'il devait faire des concessions (tant que ce n'était pas avec Yasser Arafat, dont la mort l'année dernière a ouvert la porte à un mouvement sérieux dans cette direction).

L'Administration Bush espère bien sûr que les Palestiniens laisseront un peu de temps pour la consolidation avant d'exiger de nouvelles étapes en direction d'un Etat palestinien, qui comprendrait la majeure partie de la Cisjordanie. On dit qu'Abbas a appelé récemment Sharon pour lui dire qu'il espérait que l'expérience de Gaza allait ouvrir une nouvelle page dans les relations, et les deux hommes ont accepté de se rencontrer bientôt.

Tout cela est plein de promesses, mais en même temps Sharon a bien fait comprendre qu'il n'y aurait pas d'autres retraits unilatéraux de Cisjordanie en dehors des quatre petits sites évacués dans la foulée de Gaza. Et il a déclaré qu'il continuerait de construire à l'intérieur des blocs d'implantation existants en Cisjordanie et qu'il essayerait de relier l'un d'eux, Maale Adumim, à Jérusalem.

Ecrivant de Gaza, Steven Erlanger du New York Times nous rappelle qu'il est fort probable que Sharon va désormais se retourner vers sa base la plus à droite du Likoud au fur et à mesure qu'il approche des élections, qui auront lieu peut-être dès le printemps. Tout ceci semble de mauvais augure à Pat Buchanan, un observateur perspicace des complexités du Moyen-Orient:

"Ce qui va se passer maintenant est malheureusement prévisible. Après que Sharon aura retiré le dernier colon, il demandera 2,2 milliards de dollars pour sa réussite héroïque. Cette requête, qui est déjà en cours, revient à 1 million de dollars pour chaque famille qui s'est retirée de Gaza. Bush et le Congrès, qui vient juste d'augmenter les indemnités de décès pour les familles de GI tués en Irak (les faisant passer de $12.000 à $100.000), vont se mettre en quatre pour leur expédier la dernière tranche de nos impôts.

"Ensuite, le scénario se déroulera comme Dov Weisglass, l'ancien chef d'état-major de Sharon, l'a décrit de façon moqueuse. Selon le marché que Weisglass a conclu avec les assistants malléables de Bush en 2004, et ratifié par la lettre publique que Bush a envoyée à Sharon, le désengagement israélien de Gaza et de quelques postes avancés en Cisjordanie "fournit la quantité nécessaire de formaldéhyde[1] afin qu'il n'y ait pas de processus politique avec les Palestiniens".

Weisglass a déclaré : "Ce que j'ai vraiment accepté avec les Américains était qu'une partie des implantations resterait complètement en dehors de tout accord, et le reste ne sera pas négocié tant que les Palestiniens ne seront pas devenus des Finlandais". Weisglass a tout simplement déclaré au quotidien Ha'aretz que la "feuille de route" - le plan de paix accepté par les Etats-Unis, l'ONU, l'Union Européenne et la Russie - est morte et enterrée.

Si Sharon déclare au Président Bush qu'Israël a sacrifié Gaza, et qu'aucun progrès ne peut être fait en direction d'un Etat palestinien viable tant que toute violence n'aura pas cessé et tant que le Hamas et le Djihad Islamique ne seront pas désarmés, que fera Bush ?

Buchanan répond à sa place : "Rien".

Personnellement, je n'en suis pas si sûr et je pense que si Buchanan est aussi sceptique c'est parce qu'il a conscience que la communauté juive américaine dit déjà que rien d'autre ne peut être entrepris à moins que l'Autorité Palestinienne oblige le Hamas et le Djihad Islamique à désarmer.

Si Sharon lui-même se place derrière cette exigence, nous saurions de toute évidence qu'il aurait l'intention de bloquer toute nouvelle négociation. Mais je suspecte un complot fomenté par les opposants catégoriques à un Etat palestinien au sein du Likoud, désormais dirigé par Benjamin Netanyahou, et qui a démissionné pour protester contre le retrait de Gaza.

Netanyahou peut toujours compter sur ses alliés faucons au cabinet du Vice-président Cheney pour faire pression sur le Président Bush afin qu'il soutienne de telles exigences, que Mahmoud Abbas ne peut accepter en aucune façon.

Le Djihad Islamique est déjà en train de faire cliqueter ses épées pour la prochaine étape dans son objectif de chasser Israël des territoires occupés. Et si Abbas lève le petit doigt pour obtenir du Hamas qu'il dépose ses armes, il peut s'attendre à être obligé de quitter son cabinet.

Tout cela conduira Sharon à ébaucher des plans approximatifs en vue d'un accord respectable, de son point de vue. Il n'a probablement aucun plan en tête pour la démolition des "implantations" en Cisjordanie, qui sont plus proches désormais de bourgades et de petites villes. Une solution consisterait à impliquer la démocratie palestinienne pour qu'elle offre à ces 400.000 Juifs l'option de rester là où ils sont et d'accepter la citoyenneté du nouvel Etat palestinien.

Pour que cela marche, il faudrait que l'Etat palestinien s'engage à transférer aux habitants ce qui est en ce moment la propriété publique d'Israël. Ils pourraient ainsi vendre leurs titres de propriété s'ils désirent partir pour résider en Israël ou ailleurs.

Ainsi que George Melloan du Wall Street Journal le fait remarquer, la plupart des problèmes dans les territoires occupés proviennent de ce que ni les Arabes, ni les Juifs ne détiennent de titre de propriété où ils travaillent et où ils habitent. La privatisation des terrains serait une aide précieuse pour tous.

Pat Buchanan a conclu ainsi son point de vue sceptique concernant la suite des événements : "Lorsqu'il n'y a pas de vision, le peuple périt". Pourtant, la vision de ce à quoi le Moyen-Orient devrait ressembler a été dite, "une terre faite de lait et de miel". Dans ce sens, nous pouvons aujourd'hui être plus optimistes sur l'avenir que nous ne l'avons été pendant plusieurs décennies.


[1] Parabole pour dire que ce désengagement agira comme si l'on plongeait les Palestiniens dans le formaldéhyde (ou formol). Voir à ce sujet, l'excellent article dans Counterpunch la solution au formol ? Ou le plan de Condi Rice et des néocons pour les Palestiniens.

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Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Goulon
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