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Crise économique : comment arrêter la gangrène ?

The Independent, samedi 6 août 2011

article original : "So, how do we stop the rot?"

Alors que les décideurs politiques des deux côtés de l'Atlantique luttent contre une crise alimentée les malheurs économiques et les peurs sur les dettes souveraines, certains des plus grands penseurs économiques et des milieux des affaires proposent analyses et solutions.


Mohamed El-Arian

PDG de Pimco

Trois questions dérangeantes provoquent la tension sur les marchés mondiaux : l'affaiblissement synchronisé de la croissance économique dans le monde entier, une réactivité politique limitée et l'aggravation de la crise de la dette européenne. Les décideurs politiques voudraient bien réagir. Ils n'y réussiront que s'ils s'attaquent aux racines du malaise actuel. Ils doivent mettre en place deux ensembles de mesures coordonnées : premièrement, réduire prudemment l'endettement de leurs bilans sur-endettés, deuxièmement, encourager la croissance en supprimant les entraves structurelles. C'est une tâche difficile. Constamment, les décideurs politiques en Europe et aux Etats-Unis ont été franchement décevants. De plus, ainsi que cela a été mis en évidence par les querelles continuelles en Europe, ils ont également échoué à mettre en place une coordination politique efficace. Avec un peu de chance, la débâcle de cette semaine va les réveiller.

Josef Stiglitz

Prix Nobel d'économie, Columbia

Si nous ne réduisons pas les déficits, les marchés réagissent négativement ; et si nous réduisons effectivement les déficits, les marchés réagissent négativement, parce qu'ils s'inquiètent de la capacité pour une économie qui a besoin de stimulation à payer les intérêts sur sa dette. Il y a des moyens de contourner cela, mais il n'y pas de volonté politique. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni se perdent dans une fausse idéologie. Ce que nous devrions faire est dépenser plus d'argent pour les investissements et changer la structure fiscale. Nous devrions taxer plus en haut de l'échelle et moins en bas. Nous devons changer aussi notre façon de dépenser, réduire les dépenses pour la guerre et accroître les dépenses d'éducation qui pourraient stimuler l'économie.

En attendant, personne ne sait à quel point nous sommes, aux Etats-Unis, exposés au risque du défaut de paiement souverain européen à travers les credit default swaps[1], parce que les banques ont résisté si fortement aux nouvelles règles de transparence.

Jim O'Neil

Président, Goldman Sachs Asset Management

Une chose est sûre, pour trouver une solution à cette crise, les décideurs politiques européens devront écourter leurs vacances. Il faut espérer que les dirigeants de la zone euro feront quelque chose rapidement. Cela ne fait que quinze jours qu'ils ont mis au point un ensemble de mesure de sauvetage, mais comme tous les autres depuis mai 2010, celui-ci a vite tourné court.

Bruxelles, Frankfort et Berlin, surtout Frankfort et Berlin, doivent prendre de l'avance sur les marchés. Je pense que les marchés ne reprendront pas confiance dans l'UEM [l'Union Economique et Monétaire] tant qu'ils ne seront pas convaincus que celle-ci ira dans le sens d'une plus grande union fiscale et, avec elle, une véritable obligation libellée en euro [Eurobond].

Jusque-là, la BCE doit apporter un soutien beaucoup plus agressif et non pas se contenter de son mandat étroit sur l'inflation. Autrement, l'automne à venir sera effroyable.

Jon Moulton

Président, Better Capital

Cela ne peut pas être tué dans l'ouf. C'est assez simple : les pays dépensent au-dessus de leurs moyens en accumulant de la dette, et les marchés sont effrayés. Ils ont peur que la dette ne soit pas remboursée ou qu'elle sera réglée par l'inflation. A ce stade, c'est comme essayer de défendre un château de sable de la marée et cela ne s'arrêtera que lorsque les pays ne règlerons pas leurs échéances ou qu'ils feront rentrer leurs dépenses dans le rang.

Cela va bientôt s'étendre au Royaume-Uni [...] notre déficit croît, il ne baisse pas. J'ai répété que nous devons réduire nos dépenses pendant deux ans pour faire disparaître le mal. Un seul pays sur la planète a franchi le pas de la réduction pour sortir de ce merdier, et c'est l'Estonie. Pourtant, les politiciens occidentaux ne veulent pas secouer le cocotier parce que c'est trop douloureux.

Il n'y a pas de volonté politique. On peut réduire drastiquement maintenant et encaisser la douleur ou attendre et avoir beaucoup plus mal lorsque le véritable krach arrivera dans les mois à venir.

Angela Knight

Directrice Générale, British Bankers Association

Nous avons actuellement un mélange de faits et de panique. Certains faits sont justes : le redressement de l'économie américaine semble avoir calé et l'UE a connu plusieurs faux-départs sur la Grèce avant que les vacances parlementaires ne commencent. Il n'est pas surprenant que nous soyons dans une réelle tourmente. J'espère que le bon sens prévaudra ce week-end. La zone euro doit agir. Cela signifie qu'il doit y avoir des déclarations fortes sur la solidité de l'Italie, ainsi que de l'Espagne. Elle [la zone euro] doit agir sur la décision qu'elle a prise, alors que les marchés n'attendront pas que les vacances d'été soient terminées. Le Royaume-Uni pourrait bien subir quelques remous, mais cette tourmente n'a pas été provoquée par le Royaume-Uni.

Tandis que certaines réactions du marché ont été excessives, il semble qu'une réévaluation fondamentale du redressement économique de certains pays, comme les Etats-Unis, soit en cours.

Stephen Hester

PDG, RBS

Deux catégories d'actions sont nécessaires.

D'abord, les gouvernements confrontés à de graves questions économiques ont besoin que l'on s'occupe d'eux. La zone euro doit donner l'assurance que ses membres joueront leur rôle pour apporter la stabilité et la liquidité aux autres gouvernements. Ce processus aux Etats-Unis a été un exemple moins que parfait, là où le Royaume-Uni paraît engagé dans une voie positive.

Deuxièmement, la confiance doit être restaurée sur les marchés mondiaux. Les banques centrales doivent travailler ensemble pour traiter ce problème. Nous devons voir les gouvernements se rassembler au sein de la zone euro et agir rapidement et clairement. C'est beaucoup demander et il n'est pas facile de faire les choses rapidement dans les démocraties. C'est toute la question de la confiance économique mondiale qui est en jeu.

Au Royaume-Uni, la filialisation des activités bancaires de détail [ring-fencing][2] est la mauvaise réforme au mauvais moment. Cela pourrait accroître le risque du système bancaire britannique et coûter à chacun beaucoup d'argent.

Sir Martin Sorrell

Directeur Général, WPP Group

Résoudre cette crise est une question de leadership. L'accord passé aux Etats-Unis ne semble pas s'occuper des fondamentaux, il repousse plutôt le problème.

La situation en Europe est aussi arrivée à cause d'un manque de leadership. Ils n'ont pas voulu et ont été incapables de prendre les décisions vraiment sévères. Les marchés ne croient pas que les décisions qui ont été prises puissent répondre aux problèmes de l'Italie et des l'Espagne.

Il y a peut-être une récession en double creux et, au strict minimum, le redressement pourrait être très lent. Ceci nécessite un leadership politique et institutionnel. Cela n'affecte pas actuellement les entreprises, mais dans un tel environnement embaucheront-elles ? Non. Les consommateurs vont-ils continuer à dépenser ? Non. Cela devient un cercle vicieux. Il y a une cassure. Les marchés ont rarement tort et ils sont très nerveux en ce moment.

Stephen King

Chef économiste, HSBC

La Banque Centrale Européenne doit accroître fortement son bilan afin de créer un risque différent pour les obligations italiennes, espagnoles et autres. En agissant ainsi, le coût pour les spéculateurs de parier sur l'effondrement de l'euro augmenterait de façon significative.

A plus long terme, la seule solution réaliste pour traiter la crise de la zone euro est de se diriger vers une union fiscale. Annoncer un calendrier pour permettre aux pays d'avoir leurs propres débats à propos de l'entrée dans une union fiscale serait une étape utile pour changer les règles politiques.

Bien que les unions monétaires aient échoué, y compris l'effondrement récent de la zone rouble à la suite du démantèlement de l'Empire soviétique, d'autres unions monétaires ont fleuri parce qu'elles bénéficiaient d'une union politique et fiscale. Les parfaits exemples sont les Etats-Unis et le Royaume-Uni. L'alternative à une union fiscale pourrait être l'effondrement total du projet de l'euro.

Gilles Moec

Codirecteur du département économique, Deutsche Bank

A court-terme, il n'y a aucun moyen d'échapper au programme de rachat d'obligations par la Banque Centrale Européenne.

Plus loin, certaines choses sont sous le contrôle de l'UE et d'autres non. L'une de ces choses est la promesse de tenir ses engagements quant au Fonds Européen de Stabilité Financière en septembre prochain. En plus de cela, il y a probablement maintenant un besoin pour plus de progrès sur l'union fiscale et pour commencer la discussion sur le principe d'un Eurobond [une obligation européenne]. Les marchés ne s'attendent pas à ce qu'un Eurobond soit mis en place dans un futur proche, mais des discussions préliminaires seraient les bienvenues.

L'économie mondiale n'est pas sous le contrôle [de l'UE]. La pression croissante sur l'Italie est arrivée parce que dans un environnement économique plus mou le marché observe les pays à croissance plus faible. Il n'y a rien que l'UE puisse faire là dessus.

Copyright 2011 The Indepedent / traduction [JFG-QuestionsCritiques]

Notes :
_______________________

[1] Credit Default Swaps [littéralement : permutation de l'impayé] : Objets financiers ou produits dérivés sur les évènements de crédit, qui permettent la couverture de la défaillance du remboursement de prêts. En savoir plus : voir l'article sur wikipedia.

[2] Ce débat sur la séparation des activités bancaires de dépôt et des activités bancaires d'investissement [comprendre : spéculation] n'est pas nouveau. Outre-atlantique, le ring-fencing est connu sous le nom de Glass-Steagall Act. C'était la Loi Bancaire de 1933 aux Etats-Unis, prise au plus fort de la Grande Dépression, qui avait instauré une incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d'investissement. Battu en brèche depuis le milieu des années 1970 et largement contourné par l'ensemble de la profession bancaire, le Glas-Steagall Act a finalement été abrogé le 12 novembre 1999 par le Financial Services Modernization Act, dit Gramm-Leach-Bliley Act, juste à temps pour permettre la fusion constitutive de Citigroup.


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